La paix, par le travail aussi

Tweet du 11 novembre 2014

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Au moment où l’Europe célèbre la fin de la Première guerre mondiale, ce 11 novembre, après avoir célébré les 25 ans de la chute du Mur de Berlin, le pape François reparle de paix dans un tweet posté sur son compte @Pontifex_fr, mais il évoque une paix également sociale, que garantit l’emploi pour tous.

Il écrit en effet ceci en 97 caractères: « Comme le travail est important : pour la dignité humaine, pour former une famille, pour la paix ! »

Le pape ne cesse de plaider pour l’emploi, qui permet de gagner le pain quotidien et assure la dignité du travailleur et de sa famille. 

On se souvient peut-être de son grand plaidoyé pour le travail depuis Cagliari, en Sardaigne, le 22 septembre dernier, lors de son pèlerinage à Notre Dame de Bonaria – qui a donné son nom à Buenos Aires -. C’était, de façon voulue et symbolique, son premier rendez-vous de sa journée sur l’île.

Le pape François a appelé à « lutter pour le travail », mais plus encore, il s’est engagé à faire tout son possible pour cela, car le travail veut dire dignité, rapporter pain à la maison, savoir aimer : il s’est fait l’avocat des travailleurs, des entrepreneurs qui se battent, dans la crise économique, pour un travail digne, et animés par le service du bien commun et l’espérance chrétienne.

Il a prié pour le don du travail sur l’île. C’était le premier grand discours social du pape argentin.

La prière et les larmes

Il a fustigé la recherche du profit et le travail précaire ou au noir. Il a dénoncé l’idolâtrie de l’argent qui laisse de côté les personnes âgées et les jeunes, et met au centre l’argent, qui « commande » et non pas l’homme, la femme, la famille: un système économique globalisé « sans éthique ». Il a invité à lutter avec astuce et ensemble contre ce système. Il a invité à affronter ce qu’il appelle un « défi historique » avec solidarité et intelligence.

Un ouvrier, une entrepreneuse, et un syndicaliste ont accueilli le pape qui a ensuite prononcé son discours et prié avec tous les travailleurs présents, avant de saluer personnellement une dizaine d’entre eux. Applaudissements et larmes ont scandé le discours.

Dans sa prière finale, spontanée, le pape a dénoncé l’injustice du système, demandant la force de « lutter pour le travail » : «  Les idoles veulent nous voler la dignité, les systèmes injustes veulent nous voler l’espérance. Seigneur, ne nous laisse pas seuls, aide-nous à nous aider les uns les autres, que nous oubliions un peu l’égoïsme, et sentions dans le cœur le « nous », nous, le peuple qui veut aller de l’avant. Seigneur Jésus, que le travail ne nous manque pas. Donne-nous du travail. Et enseigne-nous à lutter pour le travail. »

« Ici », a dit le pape après avoir rappelé la souffrance et la solidarité d’une autre île, Lampédouse, où il s’est rendu le lundi 8 juillet, « je trouve aussi de la souffrance ; une souffrance dont l’un de vous a dit qu’elle t’affaiblit et finit par te voler l’espérance. Une souffrance, le manque de travail, qui te conduit – excusez-moi si je suis un peu fort, mais je dis la vérité -, qui te conduit à te sentir sans dignité. Et là où il n’y a pas de travail, manque la dignité. »

Un système global sans éthique

Le pape a pris du recul en dénonçant le choix d’un système global qu’il qualifie de « tragédie » : « Ce n’est pas un problème de la Sardaigne seulement – même s’il est fort ici –, ce n’est pas un problème de l’Italie ou de certains pays d’Europe, c’est le résultat du choix mondial d’un système économique qui conduit à cette tragédie : un système économique qui a au centre une idole qui s’appelle l’argent. Et Dieu a voulu qu’au centre du monde il n’y ait pas une idole, mais l’homme, l’homme et la femme, qui fassent avancer le monde par leur travail. »</p>

Qui dit choix dit donc des responsables pour un tel choix. Or, au lieu de dénoncer des personnes de désigner des coupables, le pape a dénoncé le vice à l’origine d’un tel système « sans éthique », car l’idolâtrie en cause c’est l’idolâtrie d’un Moloch qui s’appelle « argent » : « Au centre de ce système sans éthique, il y a une idole, et le monde est devenu idolâtre de ce dieu argent : c’est l’argent qui commande, et toutes les choses qui servent à cette idole. »

C’est à cause de cette idolâtrie qu’il y existe une « euthanasie cachée » des personnes âgées et le chômage des jeunes : « Pour défendre cette idole, tous se rassemblent au centre et les extrémités tombent: les personnes âgées tombent parce qu’il n’y a pas de place pour eux dans ce monde. Certains parlent de cette habitude d’euthanasie cachée, qui est de ne pas s’en soucier, de ne pas les prendre en compte, de les laisser tomber. Et ils tombent les jeunes qui ne trouvent pas de travail, leur dignité. Mais pensez-y : un monde dans lequel les jeunes, des générations (deux) de jeunes, ne trouvent pas de travail, n’a pas d’avenir. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas de dignité. C’est difficile d’avoir une dignité sans travail. »

Organiser la résistance

Le pape a au contraire invité à résister à un tel système, à refuser une telle culture, en remettant au centre le souci de l’homme : « Le travail veut dire dignité, veut dire rapporter du pain à la maison, le travail veut dire aimer. Et pour défendre ce système économique idolâtre, on instaure la culture du rebut, on rejette les jeunes et on rejette les anciens. Et nous devons dire non à cette culture du rebut, nous devons dire que nous voulons un système juste qui nous fasse aller de l’avant. Nous devons dire que nous ne voulons pas de ce système économique globalisé qui nous fait tant de mal. Au centre il doit y avoir l’homme et la femme, comme Dieu le veut, et non pas l’argent. »

Un des ressorts intérieurs de cette résistance, c’est, pour le pape, l’espérance, qu’il tient à distinguer de « l’optimisme », mais une espérance ensemble, pas individualiste : « A vous tous qui avez du travail et à vous qui n’avez pas de travail, je dis : ne vous laissez pas voler l’espérance. Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Peut-être l’espérance est-elle comme les braises sous la cendre. Aidons-nous par la solidarité, en soufflant sur les cendres pour que le feu vienne à nouveau. Mais l’espérance nous fait avancer. Ce n’est pas de l’optimisme, c’est une autre chose. Mais l’espérance n’est pas d’un seul. L’espérance, nous la faisons tous. L’espérance, nous devons la soutenir tous, vous tous, et nous tous qui sommes loin. L’espérance est une chose qui est vôtre et nôtre. Elle est à tous. C’est pourquoi je vous dis : ne vous laissez pas voler l’espérance ! »

Etre plus malins que le système injuste

Le pape François indique aussi une autre façon de résister à une telle idolâtrie : il faut être astucieux, malin, créatif pour remettre « au centre » de la société et du système économique l’humain, la famille: « Soyons malins, parce que le Seigneur nous dit que les idoles sont plus malines que nous. Le Seigneur nous invite à avoir l’astuce du serpent en même temps que la bonté de la colombe. Ayons cette astuce. Et appelons les choses par leur nom. En ce moment, au centre de notre système économique, de notre système globalisé qu’on nous propose pour notre vie, au centre il y a une idole. Et cela ne peut pas se faire. On ne peut pas le faire. Luttons tous ensemble pour qu’au centre au moins de notre vie il y ait l’homme et la femme, la famille, nous tous, afin que l’espérance puisse aller de l’avant que qu’on ne se laisse pas voler l’espérance. 

Le pape s’est inscrit ce matin dans la grande tra
dition du christianisme social et dans le sillage de ses prédécesseurs : il cite Jean-Paul II et Benoît XVI. Selon la pédagogie ignatienne du discernement des esprits, il n’accuse personne, mais il dévoile la racine du mal, dans une attitude profonde : l’idolâtrie, et l’idolâtrie de l’argent. Voilà l’origine de cette « tragédie » d’un système économique global « sans éthique » dont jeunes et vieux font les frais: l’homme, la femme, la famille, ne sont pas au centre du système, mais le culte du profit.

On évoquait, officieusement, il y a quelques semaines, la préparation d’une encyclique sur la pauvreté : ce matin, à Cagliari – après Rome, avec les jeunes détenus et les réfugiés, Lampédouse, et Rio de Janeiro -, le pape en offert les premières pages à une foule suspendue à ses lèvres, émue et à laquelle il était venu insuffler une espérance neuve.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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