André Charton

ROME, lundi 10 septembre 2012 (ZENIT.org) – Imaginez une cathédrale catholique romaine néogothique, destinée à être lieu de pèlerinage marial, se dressant au beau milieu de la steppe kazakhe, et qui plus est dans un pays ex-communiste, où la population est musulmane à plus de 50%, sur le sol du « Karlag »,  sinistre camp du Goulag, immortalisé par Soljenitsyne. Ne serait-ce pas une sorte de mirage, de phantasme fou ?  Et pourtant à en croire ses yeux, il n’en est rien. La construction est bel et bien là, de belles dimensions, pas encore terminée certes, mais déjà impressionnante. L’architecte, un Russe orthodoxe, m’avait un jour confié fièrement dans son allemand balbutiant : « Le style gothique, il n’y a pas au-dessus ! »

Une équipe de maçons et de tailleurs de pierre du Daghestan (république voisine située dans le Caucase à quelque 3.000 km à l’ouest), au demeurant tous musulmans ( !), a réalisé entre 2004 et 2006 un travail remarquable à partir de la pierre de parement originaire de leur pays. Car l’ « âme »  du bâtiment est en brique pleine et c’est cette jolie pierre du Caucase qui recouvre tous les murs et qui donne à l’édifice une noblesse qui attire les regards.

Genèse du projet

Du Kazakhstan faisons un vol de quelque 6.000 km à l’ouest pour nous retrouver dans un petit coin idyllique d’Autriche non loin du Lac de Constance. C’est là que tout a commencé dans ce petit hameau nommé Viktorsberg dans le Vorarlberg entre Bregenz et Feldkirch à 900 m d’altitude. Une dame du nom d’Agnès Ritter, âgée aujourd’hui de 74 ans, y a tenu un hôtel-restaurant dans un site exceptionnel. Le nom de l’établissement : « Bellevue » - « Schöne Aussicht » - n’est pas usurpé. Agnès a mené son affaire rondement avec tout le dynamisme des gens de la montagne.

Et voici qu’un jour, c’était en 1975, elle se sentit poussée par la Vierge Marie à construire en son honneur une église en Altaï. Cette église porterait le nom d’ « Église de toutes les Nations » (*).

Après une réflexion qui prit quelques années, mais finalement Agnès, après être passée par différentes épreuves, donna sa réponse à la Vierge Marie, son fiat, et elle se mit un jour en route vers ce pays inconnu, cette petite république née de l’effondrement de l’Union Soviétique, située entre le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie au pied des monts du même nom. On était en 1995.

Elle trouva l’endroit où réaliser son vœu au bord du lac Teleskoye, où - elle l’apprit plus tard - toute une population locale avait été massacrée sous Staline. Les pourparlers avec les autorités s’étalèrent sur quelques années, dans l’ensemble de façon cordiale. Les « civils » ne voyaient que des avantages à voir se construire un tel sanctuaire qui attireraient des visiteurs d’un peu partout. Le permis de construire fut donc octroyé d’après les plans d’un architecte viennois. On se mit à faire quelques travaux de terrassement. On était à l’automne 2001.

Et lorsqu’on voulut reprendre le travail au printemps 2002, on se heurta au refus de l’évêque de Novossibirsk. Il  demanda à Agnès de mettre un terme à son projet. Elle obéit.

Mais des donateurs généreux de tant de pays s’étaient enthousiasmés pour le projet ! Tant de voyages aller et retour entre l’Autriche et l’Altaï pendant des années, tant d’énergie dépensée, tant de problèmes affrontés ! Pendant deux ans, Agnès ne fit plus rien.

Le soulagement

Or, dans le courant de l’année 2004, quelqu’un mit Agnès en relation avec l’archevêque de Karaganda, troisième ville du Kazakhstan, à environ 1500km à l’ouest de l’Altaï. Cet évêque cherchait depuis des années un financement pour un projet qui lui tenait particulièrement à cœur, à savoir la construction d’une vraie cathédrale, en remplacement de la modeste chapelle qui en fait encore fonction aujourd’hui. Il avait déjà fait établir des plans par un architecte de sa connaissance. Il avait même déjà fait l’acquisition d’un terrain pour le cas où… et choisi  le vocable de cette future cathédrale : Notre-Dame de Fatima. Il ne manquait plus que l’argent.

C’est alors que le nœud se dénoua comme par enchantement et que l’impossible devint possible. En un tourne main tous les problèmes furent réglés, tant au niveau du projet de l’évêque qu’à celui d’Agnès. Au terme d’une journée de pourparlers tous deux se mirent d’accord pour un projet commun. C’était le 3 septembre 2004. L’édifice serait à la fois cathédrale et sanctuaire marial sous l’appellation « Notre-Dame de Fatima – Mère de toutes les Nations », dénomination non usurpée pour une ville qui compte une centaine de groupes ethniques différents. Agnès Ritter s’engageait à financer les travaux au nom de l’association autrichienne au moyen des dons de ses généreux bienfaiteurs.

Et c’est ainsi que le chantier démarra sur les chapeaux de roues. Un an plus tard le gros œuvre était déjà pas mal avancé. Toutefois ne nous laissons pas abuser par les apparences. On sait que gros œuvre et finitions font deux ! Fin 2010 il reste encore énormément à faire.

Agnès fut habitée d’une grande joie et d’une grande paix ainsi que de l’intime conviction qu’elle était sur le bon chemin. La façon dont tous les problèmes avaient été aplanis en un instant était la meilleure preuve que le Ciel avait donné son accord et qu’Il fournirait l’aide voulue.

En visite sur le chantier

Début août 2005, à peine un an après le début des travaux, Agnès prit l’avion pour Karaganda en vue de s’informer de leur avancement. Avec son dynamisme et son énergie à couper le souffle elle échangea en connaisseuse avec les responsables du chantier, se fit expliquer dans le détail, fit des propositions. Tous ceux qui l’accompagnaient pouvaient témoigner de son intérêt et de sa joie à voir le chantier si bien amorcé. Il faut dire que le bâtiment était le rêve de sa jeunesse. Adolescente elle avait manifesté le désir d’embrasser le métier d’architecte. Mais la situation de l’après-guerre n’avait pas permis la réalisation de ce rêve.

Quelques semaines après son retour du Kazakhstan Agnès subit un premier AVC, peu de temps après un deuxième, où elle frôla la mort. Trois semaines de coma et plus de six mois paralysée sur un lit d’hôpital. Un mois dans un établissement de rééducation, où elle réapprit un peu à marcher. Et c’est après huit mois qu’elle revint enfin chez elle où son mari s’occupa d’elle du mieux qu’il put. Par chance elle n’avait perdu ni l’usage de la parole ni la mémoire.

Pour elle, le signe de la Providence était clair : cette épreuve il fallait qu’elle l’offre pour la construction de la cathédrale. À présent elle ne peut plus guère que faire une courte promenade jusqu’à l’église et elle remercie le Ciel. C’est son mari qui vaque aux occupations du ménage. Chaque fois qu’on lui demande comment elle va, elle répond invariablement : « Ça va, je ne me plains pas ».

Pour toute question : 

André Charton, membre français de l’association

5 chemin de Cadet Roussel

F - 88000 Epinal

(*) En publiant ce récit, Zenit ne se prononce pas sur les faits mystiques évoqués, et s’en remet strictement au jugement de l’Eglise