Edith Stein et la joie : Colloque au Collège des Bernardins

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L’influence de la tradition juive alliant « humour et mystique »

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ROME, Lundi 23 novembre 2009 (ZENIT.org) – Sœur Cécile Rastoin, Eric de Rus et Vincent Aucante participent le 5 décembre à un colloque organisé à Paris, au Collège des Bernardins, sur une figure spirituelle et intellectuelle majeure, Edith Stein et la joie. Ils en ont réservé l’avant-première aux lecteurs de ZENIT. Sœur Cécile Rastoin souligne notamment l’héritage juif de Thérèse d’Avila et d’Edith Stein, une tradition qui « allie humour et mystique ». 

     ZENIT – Vincent Aucante, le Collège des Bernardins, dont vous êtes directeur culturel, propose ce colloque intitulé : « Edith Stein : un chemin vers la joie ». Vous avez publié différentes études sur Edith Stein, notamment, « Chemins vers le silence intérieur », « Le secret de la croix », avec S. Binggeli, « Le discernement selon Edith Stein – Que faire de sa vie ? », « De la solidarité – Essai sur la philosophie politique d’Edith Stein ». Pourquoi ce thème, nouveau ? Comment est née l’idée de ce colloque ?  

     Vincent Aucante – L’idée de ce colloque est née lors du pèlerinage à Lourdes de l’association Edith Stein, en août 2008. Nous avons alors médité sous la direction de Mgr Olivier de Berranger et du P. Didier-Marie Golay sur la place de la souffrance dans le cours de la vie humaine. Et il nous est apparu que la souffrance n’excluait pas la joie entendue dans une dimension très profonde et très intérieure. Notre thème était là. Il se trouve qu’il a été étudié par Edith Stein, et qu’il est presque absent de la réflexion depuis Descartes. 

     ZENIT – La vie d’Edith Stein est plus marquée par le tragique que par la joie, pense-t-on spontanément : son enfance, avec la mort de son père, la solitude de son baptême et les larmes de sa mère, la difficulté de son enseignement – entre misogynie et antisémitisme – et la montée du nazisme, le départ du carmel de Cologne à Echt, et la déclaration des évêques des Pays-Bas contre la persécution des juifs, – qui provoque l’arrestation et la déportation de plus de juifs y compris les juifs catholiques -, et sa fin à Auschwitz…  C’est un paradoxe ?  

     Vincent Aucante – Il ne faut pas faire de contre sens lorsque l’on parle de la joie : ce n’est pas une émotion passagère, qui serait présente seulement dans les rares moments de notre existence où nous avons l’impression que tout va bien. La joie fait partie de nos vies, elle en épouse donc toutes les tribulations. Ceci est déjà présent dans notre expérience immédiate et ordinaire. On parle ainsi facilement de « joie dans l’effort », et on peut extrapoler sans peine vers une « joie dans l’épreuve ». La joie n’est pas seulement une réaction émotive à des stimulations extérieures : elle est ancrée dans le cœur de tout homme, là Dieu nous parle en secret. La joie profonde est quelque chose qui nous envahit, qui nous conduit à affronter avec sérénité les difficultés. Plutôt qu’un paradoxe, c’est une véritable philosophie de l’existence.  

      ZENIT – Sœur Cécile Rastoin, vous êtes carmélite, traductrice d’Edith Stein. Vous avez publié avec le P. Jean Dujardin « Edith Stein et le mystère d’Israël », et aussi « Avec Edith Stein découvrir le Carmel français », ou encore « Edith Stein : Disciple et maîtresse de vie spirituelle ». La joie est plus spécialement associée, dans la tradition catholique, à saint François d’Assise: quel aspect du Carmel souligne votre contribution écrite sur l’humour juif ?  

      Soeur Cécile Rastoin –  Saint François est pour toujours le chantre de la joie de l’homme entièrement configuré au Christ, il chante la joie de vivre réconcilié avec Dieu, avec tous et avec soi-même, en ayant traversé le mystère de la Croix jusqu’en la joie du Ciel. La joie franciscaine est un sommet, une sorte de Ciel sur la terre, la « joie parfaite ».

     L’humour de sainte Thérèse d’Avila est très terre-à-terre : nous pouvons tous nous y essayer. C’est en quelque sorte le début du chemin: voir le décalage entre la grandeur de notre appel et la faiblesse de nos moyens. L’humour carmélitain est un acte d’humilité joyeuse : ne pas se désespérer de sa petitesse mais se réjouir de l’infinie miséricorde de Dieu. 

     C’est pourquoi, par rapport à la vie monastique traditionnelle, sainte Thérèse a opéré deux « révolutions » pour ses moniales : elle a institué deux heures par jour d’oraison, prière silencieuse absolument libre (pas de formule ni de canevas), et elle a aussi institué deux heures de « récréation », de partage fraternel où l’humour est encouragé. Oraison et humour forment donc les deux ailes de la spiritualité carmélitaine. C’est la recette originale de l’humanisme thérésien.

     Sans aller trop loin dans l’influence de ses racines juives sur sainte Thérèse, je pense qu’on peut dire que la tradition juive allie instinctivement humour et mystique, et sainte Thérèse en est la digne héritière, elle en a enrichi l’Eglise. 

     ZENIT – Eric de Rus, vous êtes philosophe et professeur, spécialiste d’Edith Stein, dont vous avez en particulier travaillé la pensée éducative à laquelle vous avez consacré deux publications : « Intériorité de la personne et éducation chez Edith Stein » et « L’art d’éduquer selon Edith Stein ». Qui est le professeur Edith Stein ? Comment son enseignement est-il marqué par la joie ?  

     Eric de Rus – Pour le professeur Edith Stein, l’acte d’enseigner s’insère dans une dynamique éducative plus large qu’il faut comprendre comme un art au service de la personne humaine, une manière de rejoindre cet espace intérieur inviolable qui est le foyer de la conscience et de la liberté. En tant qu’enseignante, son souci est d’aider chacun à devenir pleinement humain et authentiquement lui-même. Edith Stein m’apparaît surtout comme un professeur qui enseigne par son être. Proche de ses élèves, à l’écoute de leurs aspirations et difficultés. Formatrice attentive par-dessus tout à ce « petit grain d’or » dont un individu est porteur, elle accompagne chacun avec discrétion et charité dans la découverte de sa vocation. La joie, pour Edith Stein, aide puissamment à l’éveil des couches profondes de l’être. Comme la philosophe française Simone Weil pour qui « l’intelligence ne grandit et ne porte du fruit que dans la joie », Edith Stein évoque la valeur de la joie qui crée un climat favorable à la « maturation de l’âme », contrairement au désespoir qui assèche l’intériorité, « dévore toutes les énergies de l’âme ».  

     ZENIT – Finalement ce colloque n’est-il pas aussi une façon d’approfondir ce qu’est la « joie » chrétienne, à laquelle Paul VI a consacré son exhortation apostolique de 1975 « Gaudete in Domino » ?  

     Eric de Rus – Oui, je le pense profondément. L’exhortation apostolique de Paul VI à laquelle vous vous référez rappelle que la joie est un attribut de Dieu et une aspiration de l’homme créé à son image et appelé à participer à la joie de Dieu. Edith Stein est également « persuadée que Dieu a créé ses créatures pour la joie ».

     La trajectoire d’Edith Stein qui n’eut rien de facile possède une unité profonde qui lui vient de sa vie intérieure. La joie, comme l’écrit Bergson, « annonce toujours que la vie a réussi ». Or Edith Stein témoigne de ce que la joie est le signe d’une vie chrétienne épousée du dedans par la Vie de Dieu, car la joie est un fruit de l’Esprit Saint. Cette joie passe par la porte étroite de la C
roix, et en cela elle assume les contradictions de l’existence. Puisse ce colloque être pour chacun un signe d’espérance et d’encouragement ! 

     Propos recueilis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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