ROME, Vendredi 17 octobre 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 19 octobre proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22, 15-21
Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens. Donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? » Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Il leur dit : « Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? – De l’empereur César », répondirent-ils. Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
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A César ce qui est à César
L’Evangile de ce dimanche se termine par une de ces phrases lapidaires de Jésus qui ont profondément marqué l’histoire et le langage humain : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce n’est plus : ou César ou Dieu mais l’un et l’autre, chacun à son niveau. C’est le début de la séparation entre religion et politique, jusqu’alors inséparables dans la vie de tous les peuples et dans tous les régimes. Les juifs avaient l’habitude de concevoir le futur règne de Dieu instauré par le Messie comme une théocratie, c’est-à-dire comme un gouvernement dirigé par Dieu sur toute la terre à travers son peuple. Mais à présent, la parole du Christ révèle un règne de Dieu qui est dans ce monde mais pas de ce monde, qui se trouve sur une autre longueur d’onde et qui peut donc coexister avec n’importe quel régime, qu’il soit de type sacré ou « laïc ».
On découvre ainsi deux types de souveraineté de Dieu sur le monde, différents sur le plan qualitatif : la souveraineté spirituelle qui constitue le règne de Dieu et qu’il exerce directement en Jésus Christ, et la souveraineté temporelle ou politique que Dieu exerce indirectement, en la confiant au libre choix des personnes et au jeu des causes secondaires.
Cependant, César et Dieu ne sont pas mis sur le même plan car César dépend lui-même de Dieu et doit lui rendre des comptes. « Rendez à César ce qui est à César », signifie donc : « Rendez à César ce que Dieu lui-même veut qu’on rende à César ». C’est Dieu le souverain ultime de tous, y compris de César. Nous ne sommes pas partagés entre deux appartenances ; nous ne sommes pas obligés de servir « deux maîtres ». Le chrétien est libre d’obéir à l’Etat mais aussi de lui résister quand celui-ci s’érige contre Dieu et sa loi. Dans ce cas, rien ne sert d’invoquer le principe de l’ordre reçu des supérieurs, comme le font les responsables de crimes de guerre, dans les tribunaux. Avant d’obéir aux hommes, il faut en effet obéir à Dieu et à sa propre conscience. On ne peut rendre à César notre âme qui est à Dieu.
C’est saint Paul qui a tiré le premier les conclusions pratiques de cet enseignement du Christ. Il écrit : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu… Si bien que celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu… N’est-ce pas pour cela même que vous payez les impôts ? Car il s’agit de fonctionnaires qui s’appliquent de par Dieu à cet office » (Rm 13, 1 ss.). Payer honnêtement ses impôts est un devoir de justice pour un chrétien (mais aussi pour toute personne honnête) et donc un devoir de conscience. En garantissant l’ordre, le commerce et toute une série d’autres services, l’Etat donne au citoyen une chose en échange de laquelle il a droit à une contrepartie, pour pouvoir justement continuer à rendre ces services.
Le Catéchisme de l’Eglise catholique nous rappelle que lorsqu’elle atteint certaines proportions, la fuite des capitaux est un péché mortel, comme n’importe quel autre vol grave. C’est un vol fait non pas à « l’Etat », c’est-à-dire à personne, mais à la communauté, c’est-à-dire à tous. Ceci suppose naturellement aussi que l’Etat soit juste et équitable dans la répartition des impôts.
La collaboration des chrétiens à la construction d’une société juste et pacifique ne se limite pas au paiement des impôts ; elle doit aussi s’étendre à la promotion des valeurs communes, comme la famille, la défense de la vie, la solidarité avec les plus pauvres, la paix. Mais les chrétiens devraient apporter une contribution plus importante à la politique, d’une autre manière encore. Celle-ci ne concerne pas tant les contenus que les méthodes, le style. Il faut ôter son venin au climat de dispute permanente, retrouver davantage de respect, de tenue et de dignité, dans les relations entre les partis. Respect du prochain, douceur, capacité d’autocritique : autant d’éléments qu’un disciple du Christ doit apporter partout, même en politique. Il est indigne d’un chrétien de se laisser aller aux insultes, au sarcasme, et d’en venir aux mains contre ses adversaires. Si, comme le disait Jésus, même celui qui traite son frère de « crétin », « en répondra dans la géhenne de feu », qu’en sera-t-il de nombreux hommes politiques ?