ROME, Vendredi 30 mai 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 1er juin proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 7, 21-27
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’, pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux.
Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons été prophètes, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?’
Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui faites le mal !’
Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé et s’est abattue sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc.
Et tout homme qui écoute ce que je vous dis là sans le mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet. »
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La maison sur le roc
Tout le monde savait, au temps de Jésus, qu’il était insensé de construire sa maison sur le sable, au fond des vallées, au lieu de la construire en hauteur, sur le roc. Après chaque pluie abondante il se forme en effet presque immédiatement un torrent qui balaie les masures qu’il trouve sur son chemin. C’est sur cette observation, qu’il avait peut-être faite personnellement, que Jésus se base pour construire la parabole d’aujourd’hui des deux maisons, qui est comme une parabole à deux faces.
« Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé et s’est abattue sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc ».
Avec une symétrie parfaite, en changeant seulement quelques mots, Jésus présente la même scène en négatif : « Tout homme qui écoute ce que je vous dis là sans le mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet ».
Construire sa maison sur le sable signifie mettre son espérance, ses certitudes dans des choses instables et aléatoires qui ne résistent pas à l’épreuve du temps et aux revers de fortune. Ce sont l’argent, le succès, et même la santé. Nous le voyons tous les jours : il suffit d’un rien – un petit caillot dans le sang, disait le philosophe Pascal – pour que tout s’écroule.
Construire sa maison sur le roc signifie au contraire fonder sa vie et son espérance sur ce que « les voleurs ne peuvent dérober et les mites ne peuvent détruire », sur ce qui ne passe pas. « Le ciel et la terre passeront, disait Jésus, mais mes paroles ne passeront pas ».
Construire sa maison sur le roc signifie tout simplement construire sur Dieu. Il est le rocher. Le rocher est l’un des symboles préférés de la Bible pour parler de Dieu : « Yahvé est un rocher, éternellement » (Is 26, 4) ; « Il est le rocher, son œuvre est parfaite » (Dt 32, 4).
La maison construite sur le roc existe déjà ; il ne reste plus qu’à y entrer ! C’est l’Eglise. Non pas, bien sûr, l’église faite de briques, mais celle qui est faite de « pierres vivantes » qui sont les croyants, édifiés sur la « pierre angulaire » qui est le Christ Jésus. La maison sur le roc est celle dont Jésus parlait quand il disait à Simon : « Tu es Pierre et sur cette pierre (à la lettre, rocher) je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18).
Fonder sa vie sur le roc signifie donc vivre dans l’Eglise ; non pas rester à l’extérieur en montrant en permanence du doigt les incohérences et les défauts des hommes d’Eglise. Quelques âmes seulement furent sauvées du déluge universel : celles qui étaient entrées dans l’arche, avec Noé ; seuls ceux qui entrent dans la nouvelle arche qui est l’Eglise (cf. 1 P 3, 20) sont sauvés du déluge du temps qui engloutit tout. Ceci ne veut pas dire que tous ceux qui sont en dehors de l’Eglise ne seront pas sauvés ; il existe une appartenance à l’Eglise d’un autre genre, « connue seulement de Dieu », comme le souligne le Concile Vatican II, qui concerne ceux qui, sans connaître le Christ, agissent selon leur conscience.
Le thème de la parole de Dieu, qui est au cœur des lectures de ce dimanche et qui sera le thème du prochain synode des évêques, en octobre, me fait penser à une application pratique. Dieu s’est servi de la parole pour nous transmettre la vie et nous révéler la vérité. Nous, les êtres humains, utilisons souvent la parole pour donner la mort et cacher la vérité ! Dans l’introduction de son célèbre Dizionario delle opere e dei personaggi (Dictionnaire des œuvres et des personnages), Valentino Bompiani raconte l’épisode suivant. En juillet 1938 se tint à Berlin le congrès international des éditeurs auquel il participa également. On parlait déjà de guerre et le gouvernement nazi se montrait maître dans la manipulation des mots à des fins de propagande. L’avant-dernier jour, Goebbels, qui était ministre de la propagande du Troisième Reich, invita les congressistes dans la salle du parlement. Les délégués des différents pays furent invités à adresser quelques mots de salutation. Quand ce fut son tour, un éditeur suédois monta sur le podium et, d’une voix grave, prononça ces paroles : « Seigneur Dieu, je dois faire un discours en allemand. Je n’ai pas de dictionnaire et pas de grammaire, et je suis un pauvre homme qui se perd dans le genre des noms. Je ne sais pas si l’amitié est féminin et la haine masculin, si l’honneur, la loyauté, la paix, sont neutres. Alors, Seigneur Dieu, reprends les paroles et laisse-nous notre humanité. Peut-être réussirons-nous à nous comprendre et à nous sauver ». Il fut chaleureusement applaudi, tandis que Goebbels, qui avait compris l’allusion, sortait, irrité, de la salle.
Un empereur chinois à qui l’on avait demandé quelle était la chose la plus urgente à faire pour améliorer le monde, répondit sans hésiter : réformer la parole ! Il voulait dire : redonner aux mots leur véritable signification. Il avait raison. Il y a des mots qui ont progressivement été vidés de leur sens originel et auxquels ont a donné un sens diamétralement opposé. Leur utilisation ne peut être que désastreuse. C’est comme mettre l’étiquette « digestif effervescent » sur une bouteille d’arsenic. Quelqu’un va finir par s’empoisonner. Les Etats se sont dotés de lois très sévères contre ceux qui falsifient les billets de banque, mais d’aucune loi contre ceux qui falsifient les mots. Aucun mot n’a subi le sort du pauvre mot « amour ». Un homme viole une femme et s’excuse en disant qu’il l’a fait par amour. L’expression « faire l’amour » désigne souvent l’acte d’égoïsme le plus vulgaire, dans lequel chacun pense à sa satisfaction personnelle, en ignorant complètement l’autre ou en le réduisant à un simple objet.
La réflexion sur la parole de Dieu peut nous aider, comme nous le voyons, à réformer aussi la parole des hommes et la sauver de la vanité.