ROME, Dimanche 23 décembre 2007 (ZENIT.org) – « La vie et l’œuvre de Mabillon démentent l’antagonisme, que l’on a parfois qualifié d’irréductible, entre science et religion », fait observer dans cet entretien le P. Thierry Barbeau, moine de Solesmes, chargé de l’organisation du tricentenaire de la mort de Dom Mabillon.
Une messe sera en effet célébrée à Paris, en l’église Saint-Germain-des-Prés, le 27 décembre prochain, à 18 h, à la mémoire de Dom Jean Mabillon. Cette célébration s’inscrit parmi les nombreuses manifestations qui ont marqué cet anniversaire.
Q – Pouvez-vous nous dire un mot sur cette année Mabillon dont la messe du 27 décembre sera comme le point d’orgue ?
P. Thierry Barbeau – Le troisième centenaire de la mort de Dom Mabillon, décédé à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le 27 décembre 1707, se devait d’être célébré, même si ce moine bénédictin est aujourd’hui très peu connu. Mabillon est une des plus belles figures de la grande famille bénédictine. Il appartient aussi tout simplement à notre histoire nationale, au même titre par exemple que Descartes, aux côtés duquel il repose. C’est pourquoi l’anniversaire de sa mort a été inscrit au programme des Célébrations nationales.
De nombreuses conférences sur Dom Mabillon ont été données un peu partout en France. Mais se sont surtout deux grands colloques, l’un qui s’est tenu à l’abbaye de Solesmes les 18 et 19 mai 2007, l’autre à Paris, à l’Institut de France, les 7 et 8 décembre derniers, qui ont ponctué cette année Mabillon. Il y a eu aussi une très sympathique Journée du souvenir organisée le 9 mai à Saint-Pierremont, le village natal de Dom Mabillon, dans les Ardennes. Les habitants de ce petit village, où est né Mabillon le 23 novembre 1632, se sont réunis pour une messe autour de l’archevêque de Reims, Mgr Thierry Jordan, une conférence et l’inauguration d’une rue « Dom Mabillon ». La journée avait été organisée par l’Association Mabillon-Renaissance qui entretient la maison natale de Mabillon, qui existe toujours.
Q – Mais qui est Dom Mabillon ?
P. Thierry Barbeau – Le colloque de Solesmes, qui avait pour thème « Mabillon et l’Europe bénédictine aux XVIIe et XVIIIe siècles », et celui de Paris, sous l’égide de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, « Jean Mabillon, entre érudition et histoire culturelle », ont bien montré la double appartenance de Dom Mabillon au monde monastique d’une part, en l’occurrence la Congrégation bénédictine de Saint-Maur, et au monde savant d’autre part, à ce que l’on appelle la République des lettres.
Mabillon est avant tout un moine bénédictin. Il a fait profession à l’abbaye de Saint-Remy de Reims en 1654. C’est en 1664 qu’il arrive à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés où il devait demeurer jusqu’à sa mort, durant 43 ans. Il y est appelé pour collaborer aux grandes entreprises littéraires lancées dans la Congrégation de Saint-Maur et qui sont à l’origine de l’expression bien connue de « travail de bénédictin ». Il publia ainsi les Œuvres de saint Bernard (1667), les Actes ou Vies des saints bénédictins (1668-1701) et les Annales ou Chronique de l’Ordre de Saint-Benoît (1703-1707), pour ne citer que les ouvrages les plus connus.
Par ses écrits, Dom Mabillon a enrichi la tradition monastique et bénédictine, telle qu’elle est encore vécue de nos jours. Par exemple, face à son contemporain l’abbé de Rancé, le célèbre réformateur de La Trappe, il a défendu la place du travail intellectuel dans la vie des moines dans son Traité des études monastiques (1691).
D’autre part, la publication du De Re diplomatica (1681), a fait de Dom Mabillon le « père » de la diplomatique, la science qui permet d’authentifier les documents anciens, les chartes. Enfin, ses voyages littéraires à travers l’Europe, ses ouvrages et sa correspondance échangée avec de très nombreux savants lui valurent une réputation de dimension européenne et une place de choix dans la République des lettres. Il devait être nommé en 1701 membre honoraire de la toute nouvelle Académie royale des Inscriptions.
L’archevêque de Reims, Charles Maurice Le Tellier, ami et protecteur des bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, pouvait annoncer la mort de Mabillon à Louis XIV en ces termes : « Sire, la mort a pris l’homme le plus savant et le plus pieux de votre royaume ». « C’est donc le Père Mabillon », aurait répondu le roi.
Si vous souhaitez en savoir plus sur Dom Mabillon, les Éditions de Solesmes ont réédité cette année sa « Vie » écrite par son plus fidèle disciple, Dom Thierry Ruinart. Je vous renvoie aussi à « l’Anthologie » de ses écrits publiée aussi cette année chez Robert Laffont, dans la collection, « Bouquins », par M. Odon Hurel, directeur de recherches au CNRS, un des meilleurs connaisseurs de Mabillon et qui a organisé les deux colloques de Solesmes et de Paris.
Q – Trois siècles après sa mort, Dom Mabillon a-t-il encore quelque chose à nous dire ? Quel message peut-il livrer à nos contemporains ?
P. Thierry Barbeau – Dom Mabillon a manifesté toute sa vie un attachement constant à l’amour et à la recherche de la vérité : vérité dans la science historique qui était son « métier », mais aussi vérité sur lui-même et sur Dieu, qui est la Raison créatrice de toutes choses.
Cette quête et cette passion pour la vérité requièrent beaucoup d’humilité et la foi en l’intelligibilité du monde et des choses : toutes valeurs communes à l’homme de science et au croyant. La vie et l’œuvre de Mabillon démentent l’antagonisme, que l’on a parfois qualifié d’irréductible, entre science et religion. Pour un chrétien, et a fortiori un religieux, il ne saurait y avoir de contradiction, comme l’a rappelé l’encyclique Fides et ratio du pape Jean Paul II, entre ces deux sources de la connaissance que sont la foi et la raison.
L’exemple de Dom Mabillon, croyant et homme de science, m’apparaît plus que jamais d’actualité. Il peut nourrir notre réflexion sur le dialogue entre la foi et la raison qui est devenu un des enjeux majeurs de notre temps et auquel nous invite, avec insistance, le Saint-Père Benoît XVI.
À sa passion pour la vérité, Dom Mabillon joignait aussi la charité. « La charité doit être le principe et la fin de toute notre science, et de toutes nos connaissances », écrivait-il. Et au soir de sa vie, il pouvait dire à propos de ces derniers travaux : « Dieu veuille que ce soit le travail du cœur, de la charité et de l’amour de la vérité ». Je pense que Mabillon peut aussi nous rappeler cette double exigence de la vérité et de la charité.
Q – Quels souvenirs reste-t-il de Dom Mabillon à Saint-Germain-des-Prés ? Nos contemporains connaissent peut-être surtout la station du métro parisien, près de Saint-Germain-des-Prés …
P. Thierry Barbeau – Les Parisiens connaissent bien en effet la station de métro Mabillon. Il y a aussi un restaurant universitaire qui porte son nom et ceux qui fréquentent le quartier de Saint-Germain-des-Prés savent qu’il existe une rue Mabillon, bien sûr un café Mabillon et même une piscine Mabillon. Mais bien peu de gens seraient capables de mettre un visage sur ce nom. Il suffit pour cela d’entrer dans l’église, aujourd’hui paroissiale, de Saint-Germain-des-Prés. Sur la place de l’église, on peut voir le buste de Dom Mabillon dans l’angle arrondi d’un mur. Depuis 1819, ses cendres sont conservées dans l’église, dans la deuxième chapelle de l’abside à droite, auprès de celles de Descartes et d’un autre moine bénédictin, Dom Bernard de Montfaucon. Des panneaux très bien faits, réalisés par l’Association Foi et Culture, retracent l’histoire de l’abbaye et présentent la vie de Mabillon. Cela peut être le but
d’un petit pèlerinage.
Q – Un dernier mot sur la journée du 27 décembre à Saint-Germain-des-Prés : vous annoncez la messe, mais aussi une conférence ?
P. Thierry Barbeau – Oui, à 16 h, derrière l’église, au 5 rue de l’Abbaye. Cette conférence aura pour thème « Dom Mabillon, le moine et l’historien ». Elle sera donnée à trois voix. Tout d’abord M. Pierre Gasnault, conservateur honoraire de la Bibliothèque Mazarine, un des meilleurs spécialistes des travaux des bénédictins, parlera de la paroisse de Saint-Germain-des-Prés du temps de Mabillon. À sa suite interviendront M. Odon Hurel et moi-même sur la double vocation de moine et d’historien de Dom Mabillon.
La messe, à 18 h 00, sera présidée par le Père Abbé de Solesmes, Dom Philippe Dupont, en présence du curé de Saint-Germain-des-Prés, M. l’Abbé Bernard Bommelaer, et de pères abbés et de moines bénédictins. Les pièces de la messe, qui sera celle de saint Jean l’Évangéliste, seront chantées par le Chœur Grégorien de Paris. À l’issue de la messe, nous nous rendrons devant la plaque tombale de Dom Mabillon pour chanter le Répons grégorien Credo, qui est tiré de l’office des défunts.
Venez nous rejoindre le 27 décembre à Saint-Germain-des-Prés, nous serons aussi en communion avec les habitants de Saint-Pierremont qui eux aussi, en ce jour anniversaire, célébreront la messe à la mémoire de Dom Mabillon.