ROME, Jeudi 20 décembre 2007 (ZENIT.org) – Au Latran, le président Sarkozy prône une « laïcité positive » et reconnaît les « racines chrétiennes de la France ».
C’est en la salle – historique – de la « Conciliation » du palais apostolique du Latran, et en présence du cardinal vicaire du pape, Camillo Ruini, que le président de la République française, Nicolas Sarkozy a tenu en fin d’après-midi un discours sur les relations entre l’Eglise et l’Etat aujourd’hui, opérant une sorte de réconciliation entre deux conceptions longtemps opposées des racines chrétiennes de la France et de la laïcité.
Le président Sarkozy a affirmé : « Nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité. Voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean de Latran ».
Il avait déjà abordé la question de la laïcité, il y a quelques jours, à l’archevêché de Paris, lors d’une réception en l’honneur du cardinal André Vingt-Trois (cf. Site de l’Elysée à la date du 13 décembre).
Les racines chrétiennes de la France
« En me rendant ce soir à Saint-Jean de Latran, en acceptant le titre de chanoine d’honneur de cette basilique, qui fut conféré pour la première fois à Henri IV et qui s’est transmis depuis lors à presque tous les chefs d’Etat français, j’assume pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Eglise », a déclaré le président français dans son allocution.
Il a expliqué sa volonté de s’insérer dans une lignée à propos de « cette tradition qui fait du Président de la République française le chanoine d’honneur de Saint-Jean de Latran » : « Saint-Jean de Latran, ce n’est pas rien. C’est la cathédrale du Pape, c’est la ‘tête et la mère de toutes les églises de Rome et du monde’, c’est une église chère au cœur des Romains. Que la France soit liée à l’Eglise catholique par ce titre symbolique, c’est la trace de cette histoire commune où le christianisme a beaucoup compté pour la France et la France beaucoup compté pour le christianisme. Et c’est donc tout naturellement, comme le Général de Gaulle, comme Valéry Giscard d’Estaing, et plus récemment Jacques Chirac, que je suis venu m’inscrire avec bonheur dans cette tradition ».
Des événements historiques
Il a rappelé certaines étapes de ces liens entre la France et le Saint-Siège en disant : « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l‘Eglise. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe. A de multiples reprises ensuite, tout au long de son histoire, les souverains français ont eu l’occasion de manifester la profondeur de l’attachement qui les liait à l’Eglise et aux successeurs de Pierre. Ce fut le cas de la conquête par Pépin le Bref des premiers Etats pontificaux ou de la création auprès du Pape de notre plus ancienne représentation diplomatique ».
Une culture marquée par la foi chrétienne
Plus encore, pour le président Sarkozy, « la foi chrétienne a pénétré en profondeur la société française, sa culture, ses paysages, sa façon de vivre, son architecture, sa littérature, que la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière ». Ce qui l’a conduit à affirmer, non sans courage: « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes. Et la France a apporté au rayonnement du christianisme une contribution exceptionnelle ».
Après avoir illustré son propos, le président s’est arrêté pour rendre un hommage appuyé au regretté cardinal Jean-Marie Lustiger. Mais il a rendu aussi hommage à « l’action », au Vatican des cardinaux français et de Mgr Mamberti.
La laïcité « aussi », « fait incontournable »
Le président a également rappelé certaines étapes de l’histoire de la « laïcité » à la française : « Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. Je sais les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l’interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé (n’est-ce pas, cher Max Gallo). C’est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage des souffrances de leurs concitoyens, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l’anticléricalisme ; et c’est leur intelligence commune qui a permis à la France et au Saint-Siège de dépasser leurs querelles et de rétablir leurs relations ».
Laïcité et liberté
Pour le président Sarkozy en effet, laïcité rime avec liberté. « Pour autant, il n’est plus contesté par personne que le régime français de la laïcité est aujourd’hui une liberté : liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer une religion et liberté d’en changer, liberté de ne pas être heurté dans sa conscience par des pratiques ostentatoires, liberté pour les parents de faire donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions, liberté de ne pas être discriminé par l’administration en fonction de sa croyance », a-t-il affirmé.
Plus encore, dans la « diversité » française il y voit « une nécessité et une chance », une « condition de la paix civile » : « Et c’est pourquoi le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l’interdiction des signes ostentatoires à l’école ».
Mais le président n’entérine pas pour autant l’aspect qu’il appelait naguère « sectaire » d’une certaine conception la laïcité : « Cela étant, la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû (…). Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire ».
Convention de Bologne
Le président a souhaité faire évoluer les relations entre l’Eglise et l’Etat sur la question des diplômes notamment, dans le sens de la Déclaration de Bologne : « Aujourd’hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refuse de reconnaître un caractère cultuel à l’action caritative ou aux moyens de communication des Eglises, répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la Convention de Bologne le prévoit, n’accorde aucune valeur aux diplômes de théologie. Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays. Bien sûr, ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d’intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent », affirmait M. Sarkozy.
Rappelons que le processus de Bologne, la plus vaste et la plus importante réforme de l’enseignement supérieur en Europe après 1968, a été lancé en juin 1999, lorsque les ministres de l’Education de vingt-neuf Etats européens ont signé la Déclaration de Bologne visant à établir un espace européen de l’enseignement supérieur d’ici à 2010.
La question éthique
Pour ce qui est de la question éthique, le président s’est référé implicitement à une « morale naturelle » en disant : « S’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. (…) A terme, le danger est que le critère de l’éthique ne soit plus d’essayer de faire ce que l’on doit faire, mais de faire ce que l’on peut faire. C’est une très grande question ».
Pour une laïcité positive
Le président Sarkozy a expliqué sa conception de la laïcité positive en ces termes : « J’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. Il ne s’agit pas de modifier les grands équilibres de la loi de 1905. Les Français ne le souhaitent pas et les religions ne le demandent pas. Il s’agit en revanche de rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et d’avoir pour principe de faciliter la vie quotidienne des grands courants spirituels plutôt que de chercher à la leur compliquer ».
La paix en méditerranée
Le président a rendu hommage aux moines de Tibhérine et à Monseigneur Pierre Claverie, « dont le sacrifice portera un jour des fruits de paix, j’en suis convaincu », a-t-il dit, en rappelant qu’il a voulu que « la France prenne l’initiative d’une Union de la Méditerranée » : ce sera le thème du dîner de ce soir à Rome avec le président italien du conseil Romano Prodi et le chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero.
« Dans cette partie du monde où les religions et les traditions culturelles exacerbent souvent les passions, où le choc des civilisations peut rester à l’état de fantasme ou basculer dans la réalité la plus tragique, nous devons conjuguer nos efforts pour atteindre une coexistence paisible, respectueuse de chacun sans renier nos convictions profondes, dans une zone de paix et de prospérité. Cette perspective rencontre, me semble-t-il, l’intérêt du Saint-Siège », a commenté le président français.
Des catholiques convaincus
« La France, a-t-il conclu, a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d’affirmer ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient (…). Depuis toujours, la France rayonne à travers le monde par la générosité et l’intelligence. C’est pourquoi elle a besoin de catholiques pleinement chrétiens, et de chrétiens pleinement actifs (…). Partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes, dans le dialogue interreligieux, dans les universités, je vous soutiendrai. La France a besoin de votre générosité, de votre courage, de votre espérance ».
Anita S. Bourdin