ROME, Lundi 3 décembre 2007 (ZENIT.org) – Le XXe siècle a fait plus de martyrs chrétiens que les dix-neuf siècles précédents. Mais le XXIe siècle a déjà moissonné ses victimes. Thomas Grimaux, signe « Le Livre noir des nouvelles persécutions antichrétiennes », paru en France le 22 novembre (éd. Favre), au moment où le Parlement européen vient d’adopter une résolution sur « de graves événements compromettant l’existence de communautés chrétiennes » devant « la multiplication d’épisodes d’intolérance et de répression vis-à-vis des communautés chrétiennes ».
Thomas Grimaux nous a parlé hier des discriminations et même des persécutions dont les chrétiens sont victimes en Asie, du fait de différents fondamentalismes religieux (Zenit du 2 décembre 2007). Il aborde dans cette deuxième partie de l’entretien l’autre source de persécution des chrétiens : l’idéologie communiste dans le monde actuel. Il nous parlera demain du fondamentalisme islamiste.
Zenit – Votre deuxième chapitre est consacré au communisme. Benoît XVI en parle en philosophe et pas seulement en théologien, dans son encyclique sur l’Espérance chrétienne. Mais cetet idéologie n’est-elle pas sérieusement en perte de vitesse depuis la chute du Mur ?
Thomas Grimaux – Ne le croyez surtout pas et regardons la situation actuelle en Chine – pays le plus peuplé au monde – et au Vietnam voisin, avant d’appeler à la vigilance en Amérique latine. Par ailleurs, nous démontrons aussi en quoi, même après la chute du Mur, l’opinion publique mondiale reste soumise aux manipulations communistes comme avec la triste manipulation que je dévoile quant à la présentation de Pie XII comme un allié d’Hitler.
Zenit – Cependant, dans nos pays, on persiste à présenter le communisme comme une utopie dévoyée par Staline.
Thomas Grimaux – Un rappel historique permet de rétablir la vérité. Voici juste l’exemple roumain. La prise du pouvoir en Roumanie, a conduit le Parti à une politique antichrétienne systématique. Ainsi, dès octobre 1948, tous les évêques de l’Eglise gréco-catholique sont purement déposés et des « pétitions » sont lancées pour demander le rattachement des gréco-catholiques (c’est-à-dire des catholiques roumains, 1,5 million d’habitants) à l’Eglise… orthodoxe. Comble de l’ironie, le pouvoir en place décide de valider ces conversions obligatoires le 21 octobre 1948, soit exactement 250 ans après l’union des catholiques de rite oriental avec l’Eglise de Rome. Les quatre cathédrales catholiques sont transférées aux orthodoxes. Les écoles et les hôpitaux catholiques sont fermés ou mis sous séquestre. Les six évêques sont immédiatement arrêtés et emprisonnés ou placés en résidence surveillée. Mgr Hossu (1885-1970), refusant de renier sa foi est incarcéré. Courageusement, chaque année, il fera parvenir aux autorités gouvernementales un pro-memoria réclamant la liberté pour son peuple. Le Père Alexandru Todea (1912-2002) sera consacré clandestinement évêque en 1950. Quelques mois plus tard, il passe en procès et est condamné à la prison à vie. Le 10 mai 1950, Mgr Arthémis, évêque d’Alba Julia, en prison depuis 18 mois, décède. Deux mois après, tous les évêques catholiques sont emprisonnés, à l’instar de 600 prêtres.
Nous citons encore les cas de la Tchécoslovaquie, de la Bulgarie, de la Yougoslavie, de la Hongrie… puisque les actes discriminatoires à l’encontre des catholiques, des protestants et des orthodoxes se retrouvent de manière similaire dans tous les pays de l’ancien bloc soviétique.
Zenit – En ce qui concerne la « Mère Patrie Russie», vous citez le « Rapport sur les persécutions religieuses dans l’ex-URSS » de 1995…
Thomas Grimaux – Ce « Rapport » est peu connu. Pourtant, il est instructif au sens où il montre l’ampleur de cette persécution. Publié à Moscou le 27 novembre 1995, le rapport a été établi par une commission ad hoc, instituée par le Président Eltsine. Il fut donc le premier rapport officiel. On y découvre que, de 1917 à 1980, ce sont des centaines d’évêques orthodoxes, des dizaines de milliers de prêtres et des millions de fidèles qui ont été exterminés en raison de leur foi. On ne parle habituellement que des premiers mais j’ai pu rencontrer un certain nombre de prêtres ayant connu les geôles communistes durant vingt, trente ans. Ceux-ci, la gueule cassée à coup de poings, au corps abîmé par des traitements inhumains, par des privations, des vexations, ont su, pour la plupart, rester dignes. Mieux, une fois libérés, une fois leur pays recouvrant la liberté, ils ne se sont jamais autorisé une parole de vengeance : ils avaient pardonné du fonds de leur cœur !
Zenit – Pour revenir à ce Rapport, qu’apprend-il de nouveau ?
Thomas Grimaux – On y apprend que Lénine, dans un message secret adressé au « Politburo », recommandait d’abattre les membres les plus représentatifs du clergé réactionnaire : « C’est maintenant, écrivait-il, que nous devons leur donner une leçon, afin que, pour plusieurs décennies, ils ne songent même plus à résister. » Le rapport donne des chiffres terrifiants : « En 1937, 136.900 ecclésiastiques orthodoxes ont été arrêtés et 85.300 tués. 28.300 ont été arrêtés et 21.500 tués en 1938. En 1939, sur 1.500 personnes arrêtées, 900 ont été tuées. Même durant la deuxième guerre mondiale, quand Staline autorisa la réhabilitation partielle de l’Eglise, chaque année plus de 100 prêtres orthodoxes ont été exécutés ». Le rapport de 1995 avance l’assassinats de 200.000 prêtres orthodoxes en tout ! L’histoire précisera sans doute ultérieurement. Mais, dès à présent, grâce à l’annuaire de l’Eglise russe d’avant la Révolution d’Octobre, on sait qu’il y avait, en 1916, 147 évêques, 117.915 membres du clergé, 21.330 moines et 73.299 moniales. On dénombrait 547 monastères féminins et 478 masculins. Lors de l’invasion allemande, seuls quatre évêques exerçaient encore leur fonction.
Zenit – Vous citez également l’historien italien Andrea Riccardi, fondateur et président de la Communauté de Sant’Egidio.
Thomas Grimaux – Oui, puisqu’il a démontré, d’une manière très documentée, la volonté antireligieuse de Moscou et ce que vécurent les chrétiens en URSS : « La lutte antireligieuse n’était donc pas une question politique contingente, mais une composante permanente de toute la politique soviétique. C’est une lutte – il vaut la peine de le rappeler – qui se prolongera jusqu’au années 80, même si ses méthodes changent et que la répression s’allège. (…) Une constante de toute la politique soviétique à l’égard du Saint-Siège jusqu’à la fin des années 80, même quand il y a des relations directes entre Rome et Moscou, est le refus de discuter avec les responsables du Vatican sur la situation des catholiques en URSS, considérée comme une affaire interne soviétique par les dirigeants de ce pays. »
Zenit – Mais ce comportement ne nous ramène-t-il pas à la Chine actuelle pour qui c’est l’Etat qui doit nommer les évêques ?
Thomas Grimaux – Et c’est pourquoi il est important, à côté d’une information exacte sur des faits concrets, de d’identifier la filiation intellectuelle des « nouveaux persécuteurs ». Ainsi, je parle de la situation actuelle en Chine (on ne sait même pas si les évêques et prêtres emprisonnés sont encore en vie !), au Vietnam, en Corée du Nord, à Cuba…
(à suivre)