ROME, Dimanche 16 septembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une analyse du Dr. Carlo Bellieni sur le rapport entre télévision et bioéthique, à travers l’exemple de la série du « Dr House », diffusée depuis trois ans par Fox television.
Le Dr. Bellieni est directeur du Département Thérapies intensives de la Polyclinique universitaire « Le Scotte » de Sienne et membre de l’Académie pontificale pour la Vie.
Oui, il peut y avoir un rapport entre télévision et bioéthique, et c’est le cas de la série du Dr House [diffusée depuis trois ans par la Fox television, ndlr]. Cette série a un côté intéressant. Sortant du cours habituel des émissions, elle ne se laisse pas prendre par cet engouement pour les trois pointes du relativisme éthique en médecine : l’autonomie du patient comme ultime tribunal, le médecin comme « fournisseur d’un service » et la perte de capacité en matière de jugement moral sur des comportements médicaux. Etrange, certes, mais il est encore plus étrange (et captivant) que les actions et les jugements non « politiquement corrects » (à quelques exceptions près) viennent d’un personnage en duel permanent avec le monde. Mais c’est justement cette manière de dépeindre la transformation du héro, ses doutes et ses limites, qui fait la force de cette série.
Ce téléfilm, en apparence, est une apologie du détachement et de l’absence : il raconte l’histoire d’un médecin (Gregory House) misanthrope et ombrageux qui ne veut pas avoir de contacts avec ses patients. Mais ce détachement (due à sa souffrance existentielle et à sa souffrance physique) n’est qu’apparent : bien qu’il soit bourru et asocial, il tente à chaque fois d’aller au fond de la personne qu’il est amené à soigner. Il part de sa propre souffrance pour reconnaître celle des autres et c’est parfois cette volonté d’identification qui lui permet de voir justement ce qui échappe aux autres. Il parle de façon brutale avec les patients pour les convaincre d’accepter certains soins et non pour leur donner satisfaction : car il sait qu’il existe une bonne attitude médicale et une mauvaise, et il veut que ses patients choisissent la bonne. Mais ce qu’il veut aussi de toute évidence, c’est trouver dans la réponse du patient une réponse pour lui-même. Du paternalisme? Peut-être, mais largement meilleur que celui qui laisse le patient face à un diagnostic bâti sur des mots et des chiffres, seul, « libre » de choisir entre mourir ou continuer de vivre. En somme, il arrive souvent que les paroles, et certains mots imprégnés de douceur et de grande pitié, très à la mode, comme a l’air de nous dire l’auteur du téléfilm dans un paradoxe, servent (ceux-là oui!) à masquer la distance entre les personnes.
Tout ceci est magnifiquement souligné par la bande sonore, riche en musiques à fond religieux ou qui illustrent l’insatisfaction d’une existence dépourvue de sens (par exemple la très belle Desire de Ryan Adams ou l’Hallelujah di Jeff Buckley).
Notons que le créateur du film a deux idées bien claires : tout d’abord que le médecin n’est pas le « fournisseur d’un service », que pour lui toutes les demandes ne sont pas équivalentes, mais il est celui qui sait reconnaître une bonne d’une mauvaise réponse et qui sait trouver la force de ne pas fournir la seconde : le Dr House intube le jazzman bien que tout le monde ait peur de transgresser son « testament biologique »; et sa consœur « Cuddy » également, alors qu’au lieu de lui injecter de la morphine comme on le lui demande, elle lui injecte un placébo. Deuxièmement, que la relation entre le médecin et le patient n’est jamais à sens unique. Il n’y pas seulement celui qui donne (le médecin) et celui qui reçoit (le malade). Ou bien le médecin se trouve dans les conditions de pouvoir capter chez le malade sa force et son énergie, sa manière de communiquer et ses signaux cachés… ou bien il se trouve dans les conditions d’un traitement tronqué, au bord de l’inefficacité. Le Dr House soigne l’enfant autiste, parvenant (lui seul) à entrer en contact avec lui ; et en plus, à la fin, alors qu’on a l’impression qu’il va capituler en finissant par penser lui aussi que soigner un enfant très difficile à gérer relève peut-être de l’acharnement thérapeutique, l’enfant s’approche de lui, le regarde fixement dans les yeux et lui offre son jouet… à la stupeur générale (il est rare qu’un enfant autiste fixe quelqu’un dans les yeux ou entretienne une relation avec une personne) et à la grande joie de ses parents, conscients malgré tout de l’extrême difficulté, et qui fournissent au Dr House un motif de réflexion sur lui-même. Mais le Dr House se rend aussi au chevet de la femme d’affaire déprimée qui attend d’entrer dans la liste des greffes de cœur. Il lui demande en hurlant « Mais vous voulez vivre ? Dites-le moi, car moi non plus je ne le sais pas ! » et il ne le fait pas pour qu’elle écrive son « testament biologique », mais pour réveiller en elle (et en lui !) son amour pour la vie.
Certes, le Dr House n’est pas un saint et ses choix moraux ne sont pas toujours justes. Mais s’il s’agissait d’un saint, serait-on étonné de l’entendre s’élever, comme il le fait, contre la drogue ou contre l’inceste, contre la fécondation hétérologue ? L’entendrions-nous aussi « fort » se poser des questions sur le caractère humain d’un fœtus ? Ici il faut distinguer le personnage du créateur, qui utilise le premier avec ses limites et ses erreurs. A certains moments, les éléments positifs viennent d’autres personnages de la série, comme lorsque devant le cynisme du Dr House, l’assistant demande « mais il faut être religieux pour comprendre qu’un fœtus est une vie ? », ou lorsque sa consœur, à qui on demande à propos d’une petite fille qui perdra un bras « quelle qualité de vie aura-t-elle ? », elle répond « la vie a toujours des qualités ».
Le Dr House sait s’étonner : il se trompe, grince des dents, mais il sait reconnaître l’humain quand il le rencontre. Ceci est un point important, souvent négligé, dans l’activité médicale : l’étonnement face à l’humanité mystérieuse du patient. Le Dr House se laisse étreindre par la fillette atteinte d’un cancer à laquelle il vient de prolonger la vie d’un an, et touché par la force morale de la petite, parvient à changer son style de vie ; tout comme il s’étonne devant la petite main du fœtus qui, sorti de l’utérus maternel durant une opération chirurgicale, effleure la sienne. Il passera le reste de la journée à regarder son propre doigt et à se demander qui est cette vie que personne ne considère comme une vie humaine (lui non plus peut-être), mais qui vient de le caresser. Son étonnement est à la base de son habilité de soignant.
Le Dr House donne l’impression de n’être jamais là pour les patients … ce n’est pas un médecin bon, c’est un médecin qui souffre, mais sa détermination à chercher un sens aux choses le conduit à ne pas tomber dans le désespoir. C’est ce qui, dans une ère où rien n’a l’air d’avoir de la valeur, si ce n’est son propre caprice, en particulier en médecine, nous touche vraiment.