Zenit : Père Stern, vous êtes prêtre catholique, missionnaire de Notre Dame de la Salette, et Juif par vos origines familiales. Vous avez certainement suivi avec attention la visite de Benoît XVI à Auschwitz. Dans cette visite, qu’est-ce qui vous a paru particulièrement significatif ?
P. Stern – Le fait que le Saint Père se soit présenté comme Allemand, disant: « Ce fut et c’est un devoir de vérité, de justice envers ceux qui ont souffert, un devoir devant Dieu, d’être là en tant que successeur de Jean-Paul II et en tant que fils du peuple allemand ». Un peuple sur lequel une bande de criminels a réussi à dominer, « si bien que notre peuple a pu être utilisé et exploité comme instrument de leur fureur de destruction et de domination ». Benoît XVI connaît le catéchisme et sait que l’intervention d’un tentateur menteur n’est pas une excuse qui pourrait innocenter ceux qui ont écouté et suivi. « Le serpent m’a trompé », avait dit Eve après son péché (Genèse, 3,13). Par ailleurs le pape s’est abstenu de préciser combien parmi le peuple avaient suivi le pouvoir nazi par conviction, par faiblesse, combien au contraire avaient su résister héroïquement. Lire dans les consciences et les juger appartient à Dieu.
Zenit : La visite de Benoît XVI a comporté trois étapes: Auschwitz I avec le Mur des fusillés et le Bunker de la faim, le Centre catholique pour la prière et le dialogue, et enfin Birkenau, appelé aussi Auschwitz II, camp spécialisé dans les massacres à échelle industrielle. Est-il important que le pape ait fait une halte au Centre catholique ?
P. Stern – Certainement. Ce centre, avec le Carmel qui lui est rattaché, manifeste une remarquable ouverture du peuple polonais aux souffrances des autres. Sur les six millions de Polonais qui ont péri durant la guerre, la moitié étaient juifs, l’autre moitié étaient tous ou presque tous des baptisés chrétiens. La majorité parmi ces derniers ont été mis à mort par les nazis. Même si la proportion des victimes non juives par rapport à la population totale est de loin inférieure à la proportion des victimes juives, autour de 10 % dans un cas, 90 % dans l’autre, il s’agit quand même de chiffres énormes, de plaies qui ont laissé dans le peuple polonais des cicatrices profondes et douloureuses. L’ouverture aux souffrances et aussi aux problèmes des autres que représente l’existence de ce centre, me paraît très positive pour l’avenir de l’Europe.
Zenit : Quelle perception avait-on à l’époque de cette barbarie ?
P. Stern – Pour beaucoup de gens en France, du moins jusqu’en 1942, l’envahisseur allemand était encore l’Allemand de 1914-1918. Ma famille était au courant, en gros, des atrocités nazies. Mes parents sont morts à Auschwitz. Mais lorsqu’ils sont montés dans les wagons à bestiaux qui les ont amenés là-bas, avaient-ils déjà idée de la « solution finale » ? Je ne sais.
Zenit : Qu’est-ce qui vous paraît important de faire comprendre aux jeunes générations ?
P. Stern – Aux jeunes, il faut faire comprendre qu’absolument tout homme est fragile au plan moral. Il est tentant pour les jeunes de penser: « nos pères ont commis des abominations, soit. Mais nous, on a compris » – En réalité, aujourd’hui comme hier chacun doit veiller sur ses convictions et sur sa propre conduite. Sinon il risque fort de se laisser entraîner là où au début il ne pensait pas aller.
Zenit : Une dernière question: qu’est-ce qui vous a frappé chez Benoît XVI, lorsqu’il s’agit des Juifs ?
P. Stern – J’ai été frappé par la continuité entre ses enseignements et ceux de Jean-Paul II. Selon ce dernier pape, Dieu n’a jamais dénoncé l’alliance qu’il a conclue avec Israël. Le peuple juif, a dit Benoît XVI à Auschwitz, « par le fait même de son existence est un témoignage au Dieu qui a parlé à l’homme », qui au Sinaï a énoncé des critères qui demeurent valides pour l’éternité. Dans l’intention des nazis, a-t-il ajouté, « avec la destruction d’Israël devait être arrachée, enfin, la racine sur laquelle la foi chrétienne est fondée ».