CITE DU VATICAN, Mardi 12 juin 2001 (ZENIT.org) – A la veille du voyage du pape Jean-Paul II en Ukraine (23-27 juin), l´hebdomadaire français « France Catholique » publie l´entretien suivant du sociologue Patrick de Laubier avec Denis Lensel (http://www.france-catholique.fr).
Le P. de Laubier (ordonné par Jean-Paul II le 13 mai dernier, cf. ZF010513), grand connaisseur des questions religieuses dans les pays de l’ex-URSS, parle en expert, de l´intérieur. Il vient de publier aux éditions Téqui, une étude exclusive sur les relations entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe russe : « L’Avenir d’un passé, Rome, Saint-Pétersbourg, Moscou ».
Q: En quoi la visite de Jean-Paul II dans un pays, très divisé sur le plan confessionnel, peut-elle faire avancer le rapprochement entre catholiques et orthodoxes ?
R: La visite du Pape en Ukraine revêt une importance considérable malgré l’opposition de plus en plus accusée de l’Eglise orthodoxe russe. Peut-être même faut-il dire que cette opposition traduit à sa manière l’importance de ce voyage. En effet, près de la moitié des paroisses qui sont rattachées directement ou indirectement au patriarcat de Moscou se trouve en Ukraine. Kiev, la « mère des villes russes », pourrait aspirer à devenir un patriarcat reconnu par Constantinople et d’autres Eglises orthodoxes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en dépit de l’existence récente de deux patriarcats auto-proclamés.
Par ailleurs, les gréco-catholiques, qui représentent sans doute 10% de la population ukrainienne et sont concentrés en Ukraine occidentale, pourraient jouer un rôle décisif dans une recomposition des structures ecclésiales. Celle-ci est souhaitée par le pouvoir politique et une partie de la population opposée à l’influence politique et religieuse de Moscou. L’Ukraine pourrait devenir un lieu d’unité non seulement pour les orthodoxes, mais aussi entre orthodoxes et catholiques. C’est sans doute, malheureusement, une des craintes du Patriarcat de Moscou.
Q: Dans son encyclique Ut unum sint, en 1995, Jean-Paul II a évoqué la possibilité d’une transformation de l’exercice de l’autorité pontificale, à élaborer dans une réflexion commune avec les orthodoxes, afin de réaliser « un service d’amour reconnu par les uns et par les autres »… Cela est-il envisageable à bref délai ?
R: Dans Ut unum sint, Jean-Paul II dit qu’il « écoute la requête qui (lui) est adressée de trouver une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission ».
Cette affirmation très remarquable est suivie d’une proposition de dialogue qui n’a guère suscité de réactions décisives sur le plan œcuménique. Le ministère d’unité de l’évêque de Rome est pour les catholiques une exigence de droit divin puisqu’ils la considèrent comme venant du Christ lui-même. Il est clair que son exercice entraînerait du côté orthodoxe des changements non pas sur le plan liturgique et encore moins dogmatique, mais incontestablement sur le plan pastoral et plus généralement sur l’orientation des chrétiens dans la foi. On pense, par exemple, à la loi sur l’indissolubilité du mariage qui n’est pas aussi rigoureusement observée chez les orthodoxes que chez les catholiques.
Q: Peut-on dire que pour l’Eglise orthodoxe russe tout est possible avec le retour à la liberté après la chute du communisme, ou faut-il constater que rien ne lui est facile après trois siècles d’asservissement au pouvoir tsariste puis bolchévique?
R: Rien n’est impossible à Dieu et le message de Fatima mentionne explicitement la Russie. Il n’en reste pas moins que le grand enfermement de l’Eglise orthodoxe russe ne date pas, en effet, de 1917. Le Patriarcat de Moscou créé par un tsar au XVIe siècle a été aboli par un autre tsar au début du XVIIIe siècle, et l’Eglise orthodoxe russe ne fait qu’inaugurer depuis quelques années une liberté difficile à exercer faute de tradition dans ce domaine. Il en va de même du défi posé par la modernité dont l’Occident s’est fait, sous diverses formes, le protagoniste par excellence depuis mille ans.
Q: A l’orée du XXe siècle, le penseur chrétien russe orthodoxe Soloviev déclarait : « L’impossibilité manifeste de trouver ou de créer en Orient un centre d’unité pour l’Eglise universelle nous impose le devoir de le chercher ailleurs ». La démarche de Soloviev peut-elle rester aujourd’hui un point d’appui pour le rapprochement entre catholiques et orthodoxes ?
R: Vladimir Soloviev (1853-1900) est l’auteur de l’œuvre apologétique en faveur de la primauté de Pierre la plus argumentée de notre temps. Il voulait rester membre de l’Eglise orthodoxe tout en adhérant au catholicisme romain, mais non pas latin qui n’en est qu’une expression. N’oublions pas que les premiers papes étaient juifs et plusieurs furent de culture grecque. En relisant Soloviev on comprend dans quel sens il faut s’orienter pour retrouver l’unité visible des Eglises d’Orient et d’Occident.
Q: Le Concile orthodoxe russe de 1917 peut-il encore servir à un renouveau de cette Eglise près de trois quarts de siècle plus tard ?
R: Le Concile orthodoxe russe de 1917 est un bon exemple des réformes qu’il conviendrait d’entreprendre pour une seconde évangélisation en terres orthodoxes, et singulièrement en Russie après la grande épreuve du communisme athée. En Occident aussi, on le sait, cette seconde évangélisation est réclamée par Jean-Paul II.
Le Père Georg Kotchetkov, qu’on prétend dénoncer aujourd’hui comme hérétique, s’est inspiré du Concile de 1917. La première exigence de toute réforme est commune à tous les chrétiens : la sainteté qui vient de l’Esprit Saint.
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