VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS AU LUXEMBOURG ET EN BELGIQUE
(26-29 septembre 2024)
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
chers frères et sœurs, bon après-midi !
Je suis heureux d’être parmi vous et je remercie le Recteur pour ses paroles de bienvenue par lesquelles il a rappelé l’histoire et la tradition dans lesquelles cette Université est enracinée, ainsi que certains des principaux défis actuels auxquels nous sommes tous confrontés. Voilà le premier devoir de l’Université : offrir une formation intégrale afin que les personnes disposent des outils nécessaires pour interpréter le présent et projeter l’avenir.
La formation culturelle, en effet, n’est jamais une fin en soi et les Universités ne doivent pas courir le risque de devenir des “cathédrales dans le désert”. Elles sont, par nature, des lieux qui propulsent des idées et de nouvelles stimulations pour la vie et la pensée de l’homme et pour les défis de la société, c’est-à-dire des espaces générateurs. Il est beau de penser que l’Université génère de la culture, génère des idées, mais surtout promeut la passion pour la recherche de la vérité au service du progrès humain. En particulier, les Universités catholiques, comme celle-ci, sont appelées à « apporter la contribution décisive du levain, du sel et de la lumière de l’Évangile de Jésus Christ et de la Tradition vivante de l’Église toujours ouverte à de nouveaux scénarios et de nouvelles propositions » (Const. ap. Veritatis gaudium, n. 3).
Je voudrais donc vous adresser une simple invitation : élargir les frontières de la connaissance ! Il ne s’agit pas de multiplier les notions et les théories, mais de faire de la formation académique et culturelle un espace vital qui englobe la vie et parle à la vie.
Il y a une courte histoire biblique racontée dans le Livre des Chroniques, que j’aime rappeler ici. Le protagoniste est Yabés, qui adresse à Dieu cette supplique : « Si vraiment tu me bénis, tu agrandiras mon territoire » (1 Ch 4, 10). Yabés signifie “douleur”, et il a été nommé ainsi parce que sa mère avait beaucoup souffert en le mettant au monde. Mais à présent, Yabés ne veut pas rester enfermé dans sa douleur, en se traînant dans les lamentations, et il prie le Seigneur d’“élargir les frontières” de sa vie pour entrer dans un espace béni, plus grand, plus accueillant. Le contraire ce sont les fermetures.
Élargir les frontières et devenir un espace ouvert, pour l’homme et pour la société, est la grande mission de l’Université.
Dans notre contexte, en effet, nous sommes devant une situation ambivalente où les frontières sont étroites. D’une part, nous sommes immergés dans une culture marquée par le renoncement à la recherche de la vérité. Nous avons perdu la passion inquiète de la recherche, pour nous réfugier dans le confort d’une pensée faible – le drame de la pensée faible –, pour nous réfugier dans la conviction que tout se vaut, qu’une chose en vaut une autre, que tout est relatif. D’autre part, lorsque, dans les contextes universitaires et ailleurs, on parle de vérité, l’on tombe souvent dans une attitude rationaliste selon laquelle seul peut être considéré comme vrai ce que nous pouvons mesurer, expérimenter et toucher, comme si la vie se réduisait uniquement à la matière et à ce qui est visible. Dans les deux cas, les frontières sont restreintes.
D’un premier côté, nous avons la fatigue de l’esprit qui nous condamne à l’incertitude permanente et à l’absence de passion, comme s’il était inutile de chercher un sens à une réalité qui reste incompréhensible. Ce sentiment apparaît souvent chez certains personnages de l’œuvre de Franz Kafka, qui a décrit la condition tragique et angoissante de l’homme du XXe siècle. Dans un dialogue entre deux personnages de l’un de ses récits, on trouve cette affirmation : « Je crois que vous ne vous occupez pas de la vérité uniquement parce qu’elle est trop difficile » (Racconti, Milan 1990, 38). La recherche de la vérité est pénible parce qu’elle nous oblige à sortir de nous-mêmes, à prendre des risques, à nous poser des questions. C’est pourquoi, dans la fatigue de l’esprit nous sommes plus séduits par une vie superficielle qui ne pose pas trop de questions ; tout comme nous attire une “foi” facile, légère, confortable qui ne remet jamais rien en question.
D’un autre côté, au contraire, nous avons le rationalisme sans âme dans lequel nous risquons de retomber aujourd’hui, conditionnés par la culture technocratique qui nous conduit à cela. Lorsque l’on réduit l’homme à la seule matière, lorsque la réalité est coincée dans les limites de ce qui est visible, lorsque la raison est uniquement une raison mathématique, lorsque la raison est seulement “de laboratoire”, alors l’étonnement disparaît – et lorsque manque l’étonnement, on ne peut pas penser ; l’étonnement est le commencement de la philosophie, il est le commencement de la pensée -, disparaît cette émerveillement intérieure qui nous pousse à chercher au-delà, à regarder le ciel, à découvrir dans la vérité cachée qui traite des questions fondamentales : pourquoi est-ce que je vis ? Quel est le sens de ma vie ? Quel est le but ultime et la fin ultime de ce voyage ? Romano Guardini se demandait : « Pourquoi l’homme, malgré tous le progrès, est-il si inconnu à lui-même et le devient-il de plus en plus ? Parce qu’il a perdu la clé pour comprendre l’essence de l’homme. La loi de notre vérité dit que l’homme ne peut être reconnu qu’à partir d’en haut, au-dessus de lui, de Dieu, parce qu’il ne tire son existence que de Lui » (Prière et vérité, Brescia 1973, p. 56).
Chers professeurs, contre la fatigue de l’esprit et le rationalisme sans âme, apprenons aussi à prier comme Yabés : “Seigneur, élargis nos frontières !” Demandons à Dieu de bénir notre travail, au service d’une culture capable d’affronter les défis d’aujourd’hui. L’Esprit Saint que nous avons reçu en don nous pousse à chercher, ouvrir les espaces de notre pensée et de notre agir, jusqu’à nous conduire à la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13). Nous sommes conscients – comme nous l’a dit le Recteur au début – que “nous ne savons pas encore tout”, mais, en même temps, c’est précisément cette limite qui doit toujours vous pousser en avant, vous aider à maintenir allumée la flamme de la recherche et à rester une fenêtre ouverte sur le monde d’aujourd’hui.
Et, à ce propos, je veux vous dire sincèrement : merci ! Merci parce que, en élargissant vos frontières, vous vous faites espace d’accueil pour tous les réfugiés qui sont contraints de fuir leur pays, au milieu de mille insécurités, d’énormes difficultés et de souffrances parfois atroces. Merci ! Nous avons vu tout à l’heure, dans la vidéo, un témoignage très touchant. Et alors que certains appellent à renforcer les frontières, vous, en tant que communauté universitaire, les frontières vous les avez élargies. Merci ! Vous avez ouvert vos bras pour accueillir ces personnes marquées par la douleur, pour les aider à étudier et à grandir. Merci !
Nous avons besoin de ceci : une culture qui élargisse les frontières, qui ne soit pas “sectaire” – et vous, vous n’êtes pas sectaires. Merci ! – et ne se prétende pas au-dessus des autres, mais qui, au contraire, se mette dans la pâte du monde en y apportant un bon levain qui contribue au bien de l’humanité. Cette tâche, cette “plus grande espérance”, vous est confiée !
Un théologien de ce pays, fils et professeur de cette université, a dit : « Nous sommes le buisson ardent qui permet à Dieu de se manifester » (A. GESCHÉ, Dieu pour penser. Le Christ, Cinisello Balsamo 2003, p. 276). Maintenez allumée la flamme de ce feu ; élargissez les frontières ! Soyez de soucieux, s’il vous plait, avec le souci de la vie, soyez des chercheurs de la vérité et n’éteignez jamais votre passion, pour ne pas tomber dans l’acédie de la pensée, qui est une très mauvaise maladie. Soyez les protagonistes de la création d’une culture de l’inclusion, de la compassion, de l’attention aux plus faibles et aux grands défis du monde dans lequel nous vivons.
Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci !
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