Session inaugurale du Synode sur l'Amazonie, 7 octobre 2019 © Vatican Media

Session inaugurale du Synode sur l'Amazonie, 7 octobre 2019 © Vatican Media

Synode pour l’Amazonie : « La vraie urgence, c’est la violence »

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Le « Rapport » du groupe de travail francophone et anglophone

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« Nous, évêques d’Amazonie, sommes appelés à témoigner devant le monde et l’Eglise universelle de la souffrance et des cris du peuple et de la terre », écrit un groupe de pères synodaux au terme des travaux de groupes.
Ils n’hésitent pas à discerner que, socialement, la « vraie urgence » c’est « la violence » : « Les gens et la terre souffrent d’une violence dévastatrice… Les gens souffrent pour leur vie, leurs droits, leur terre, leur foi, et du fait des grands prédateurs de leurs richesses », dit leur rapport qui indique d’où doivent venir les solutions, dans l’Esprit Saint, avec une « audace prudente »: « le seul centre, c’est Jésus ».
Le Vatican publie la synthèse des travaux de groupes du synode pour l’Amazonie ce vendredi 18 octobre 2019. Les rapports serviront à établir les propositions à présenter au pape François : elles seront ensuite votées par l’assemblée une à une et le Vatican publiera les propositions avec le pourcentage des votes pour chacune. Le pape François fera ensuite ce qu’il souhaitera de ces propositions.
Rappelons que le synode se répartit en séances générales – avec 140 interventions de 4 minutes – et en travaux par groupes linguistiques : 12 groupes de travail (2 en italien, 4 en portugais, 5 en espagnol, 1 à la fois en anglais et en français).
Rappelons aussi que participent au synode deux évêques français, Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, en Guyane française – rapporteur du groupe franco-anglophone, qui avait le cardinal Jean-Claude Hollerich SJ, évêque de Luxembourg, comme « modérateur » –  et Mgr Dominique You, évêque de Santissima Conceiçao do Araguaia, en Amazonie brésilienne.
Les rapports sont publiés à la mi-journée en espagnol et en portugais et représentent 34 pages A4.
Pour le rapport des réflexions du groupe franco-anglophone, publié en espagnol, il s’organise selon 6 titres : Dimension pastorale, Dimension culturelle, Aspect social, Dimension écologique et il s’achève sur « notre contribution à ce synode ». Autrement dit, il offre une photographie de la situation avant de proposer des chemins en Eglise, à la suite du Christ : « Nous ne sommes pas Greenpeace, nous sommes l’Eglise. Notre tâche c’est d’apporter aux gens Jésus, le Sauveur. (…). Nous devons suivre l’exemple de Jésus ». Il évoque des dossiers en vue de béatifications et de canonisations. Les évêques expliquent dans quel esprit ils ont travaillé en groupes, en « synode ». Et s’ils ne proposent pas par exemple l’ordination de « viri probati » comme tel autre groupe, ils invitent à une « audace prudente » dans l’élaboration de solutions aux défis qu’ils affrontent.
Dimension pastorale. Le groupe souligne tout d’abord que ce synode spécial pour l’Amazonie n’est pas seulement régional mais aussi « universel » : « Ce qui se passe en Amazonie se produit aussi dans le bassin du Congo, en Inde, en Extrême-Orient, dans le monde entier ». Il épingle le fait que « les pays développés se sont enrichis dans une grande mesure grâce au colonialisme », et « espèrent continuer à vivre une vie confortable ». Il pose la question de la conversion évangélique : « Comment conduire les anciens colonisateurs à la conversion ? »
Il évoque ensuite « le plus important » qui est de « répondre au cri des peuples et au cri de la terre ». Il constate en effet que certains « Amérindiens » ont des « mauvais souvenirs de l’évangélisation passée », cependant ils comprennent aujourd’hui que l’Eglise catholique peut être « un de leurs meilleurs partenaires » dans la « lutte pour leurs droits et pour la justice ». Certes, rappelle le groupe, il faut se garder de réduire l’Eglise à une « ONG au service exclusif de la justice sociale ». Mais de fait de nombreuses personnes comptent sur elle pour « la justice, l’éducation,  la santé », tout en se confiant aux Eglises pentecôtistes pour ce qui est de la « Parole de Dieu » et des échanges. « L’Eglise catholique est vue, diagnostique le groupe, comme ritualiste et la parole ne circule pas. On cherche la spiritualité ailleurs. »
Troisième point, souvent abordés en séances générales : la nécessité d’une Eglise présente au lieu d’une Eglise de « visites ». Les baptisés demandent un « ministère de présence », ce qui n’est pas un « ministère de clercs », mais un ministère « baptismal ».
Par conséquent – quatrième point – l’Amazonie a besoin d’une Eglise « qui témoigne de comment Jésus transforme la vie » : là aussi le groupe se réfère à la dynamique des groupes « évangéliques » qui « proposent aux croyants de témoigner de façon très personnelle sur la façon dont Jésus a transformé leur vie ». Il y voit un exemple plus « positif » que celui de la pastorale catholique qui a tendance à insister « plus sur notre péché que sur le salut de Jésus ». Lorsque les catholiques se réunissent pour la messe du dimanche « les gens écoutent le prêtre qui est e seul à parler avant de rentrer chez eux » : mais chez les évangéliques par exemple dans une autre région, en Thaïlande, indique le rapport, « les gens passent tout le dimanche à l’église, partagent sur la Bible, discutent des questions » qui les concerne.
Le cinquième et dernier point de la pastorale touche l’accès à l’Eucharistie : on ressent le « manque de prêtres » comme une « crise » dans des régions qui ont autrefois eu beaucoup de prêtres, mais dans des régions, comme en Afrique, n’a « jamais été suffisant pour qu’il y ait la messe tous les dimanches », « la Parole est une nourriture, comme l’Eucharistie », constate ce groupe qui ajoute que le mot « prêtre » a de nombreuses significations et distingue « celui qui offre le sacrifice » de celui qui est le « chef de la communauté », qui ne doit pas forcément être un « curé de paroisse ».  Le groupe estime que la théologie a uni « trop de choses : enseigner, sanctifier, gouverner ». Le paragraphe conclut : « Nous devons accepter que les différentes situations requièrent des initiatives différentes. Dieu nous rencontre dans la vie réelle ».
Dimension culturelle. Le groupe s’interroge sur le « développement » : « l’économie actuelle tue les gens et nous devons insister clairement que l’on ne peut pas continuer ainsi ». Certains indigènes « ont tout ce dont ils ont besoin »’, sont heureux de leur façon de vivre et aucun système économique n’interfère dans leur mode de vie ».
Certains soulignent qu’une culture est un « corps vivant » qui subit des transformations au cours de l’histoire (ex. le changement climatique) et que les cultures « doivent s’adapter », même si « le rythme du changement peut être différent ». On insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de « décider pour le peuple », mais de « l’accompagner ».
Le groupe souligne ensuite leur besoin de  la « sagesse des peuples indigènes » et que ceux-ci ont besoin de nous » pour « leur avenir » : il faut donc « vivre ensemble », parce que « personne ne survivra tout seul ». Il s’agit donc aussi de se laisser « accompagner par eux ».
Il s’agit aussi d’accueillir la « guérison » pour le passé qui a blessé les uns et les autres.
Aspect social. « Les gens et la terre souffrent d’une violence dévastatrice. La vraie urgence c’est la violence : les gens souffrent pour leur vie, leurs droits, leur terre, leur foi, et pour les grands prédateurs de leurs richesses », dit le rapport, avant d’ajouter avec une réelle solennité : « Nous, évêques d’Amazonie, sommes appelés à témoigner devant le monde et l’Eglise universelle de la souffrance et des cris du peuple et de la terre ».
A propos de l’engagement de l’Eglise auprès des peuples indigènes, le rapport ajoute : « En 1972, saint Paul VI a appelé les évêques du Brésil à être aux côtés des communautés indigènes. Beaucoup en ont payé le prix » : en effet des évêques ou des religieuses ont été victimes d’attentats ou vivent encore sous menace de mort. Mais le rapport affirme : « Ce n’est pas négociable. Nous devons nous aussi le faire. »
Dimension écologique. « L’Eglise doit être prophétique. Mais cela ne suffit pas. Certains disent que nous devons rencontrer les gouvernements, les industriels, les compagnies minières et pétrolifères. D’autres disent qu’il faut donner l’exemple d’une forme de vie différente, plus respectueuse de la terre et qu’il faut rejeter la « culture des rebuts » ». Nous devons aborder les questions de façon plus directe. Le climat (les températures, ndlr) augmentera pendant les 20 prochaines années. Pour éviter une augmentation plus grande il faut réduire le CO2 : comment ? On le fera en plantant cent millions d’arbres Nous sommes 2 500 millions de chrétiens,. C’est impossible ? C’est très pratique. Pourquoi tu ne le demandes pas ? »
Le groupe épingle la « culture occidentale » comme très  « individualiste », « piégée dans le matérialisme », « nous nous faisons passer en premier », « notre pays en premier », et fait remarquer que les nations les plus riches sont aussi celles qui ont un « taux de suicides » plus élevé », pour conclure : « notre richesse ne nous rends pas heureux », par conséquent, « nous sommes appelés à un style de vie plus sobre, à réduire notre consommation de viande rouge ».
Dimension spirituelle. Le rapport met en évidence « la dimension spirituelle de l’écologie intégrale » : « Nous ne sommes pas Greenpeace, nous sommes l’Eglise. Notre tâche c’est d’apporter aux gens Jésus, le Sauveur. La dimension spirituelle de l’écologie intégrale pourrait se fonder sur quatre principes selon le patriarche Bartholomée de Constantinople :
-avoir un regard sacramentel sur la création comme reflet de Dieu (cf. Psaume 103) ;
-développer un esprit eucharistique de gratitude envers Dieu pour ce qu’il offre (cf. Matthieu 11 25-27) ;
-pour entrer dans cette éthique ascétique, une vie sobre (cf. Luc 4, 1-13) ;
-vivre la solidarité et la fraternité avec tous (cf. Jean 6, 1-14).
Il met aussi en évidence « l’exemple de Jésus » : « Nous devons suivre l’exemple de Jésus, en se plongeant dans ce monde que Dieu n’a jamais voulu tel qu’il est. Mais il est venu et il a partagé notre réalité pour nous sauver. Nous le faisons pour être avec les gens, en les écoutant, en soignant leurs blessures, en chassant les démons, en témoignant de la puissance du salut de Jésus, en semant et en partageant la Parole de vie. Saint François a dit : « Nous devons évangéliser à tout moment, et, si c’est nécessaire, en paroles. »
En conclusion le rapport indique ce que les évêques appellent « Notre contribution à ce synode », dont voici notre traduction, rapide, de travail (de l’espagnol) :
« C’est avec ce partage intense, en respectant nos différents points de vue sur certains thèmes que nous avons préparé nos contributions.
Nous sentons que nous sommes à un moment profond de notre histoire. Une Eglise synodale est une Eglise dans laquelle il n’y a pas un centre dont vienne toute la  vérité et qui irrigue le Corps de façon uniforme. Le seul centre, c’est Jésus. Nous sommes des Eglises sœurs, qui cheminent ensemble en laissant l’Esprit Saint nos guider à la vérité tout entière. Aucune Eglise, nationale ou continentale ne peut dire d’une autre manière la voie à suivre. Elle doit être synodale en ce sens d’écoute des autres, et de l’Esprit Saint.
Nous avons préparé des contributions qui nous rappellent que le peuple amazonien a de grandes attentes et que nous ne pouvons pas les décevoir. Nous leur devons d’entrer dans l’audace prudente de Celui qui nous dit : « Oublie les choses du passé ; n’habite pas le passé. Regarde, je suis  en train de faire une chose nouvelle ! » (Isaïe 43, 18-19).
Nous avons fait nos contributions pour que les Evêques d’Amazonie puisent continuer leur chemin synodal dé façon plus régulière et exercer pleinement leur mission et leur responsabilité, en étant proches de leur peuple et disposés à prendre des initiatives audacieuses. Ce sont les Successeurs des Apôtres !
Nous avons fait nos contributions pour nous rappeler que nous, les disciples de Jésus, nous devons être les premiers à tourner le dos à ce système économique mauvais qui dispose de milliards d’êtres humains pour créer des biens et des richesses pour un petit nombre.
Nous avons fait nos contributions pour célébrer le plus tôt possible comme bienheureux et comme saints tant de frères et sœurs amérindiens et d’autres qui ont donné leur vie, ces cinquante dernières années, en Amazonie, pour que le mal ne l’emporte pas contre les enfants de Dieu.
« Et j’ai vu les âmes de ceux qui ont été décapités à cause du témoignage pour Jésus, et à cause de la parole de Dieu, eux qui ne se sont pas prosternés devant la Bête et son image, et qui n’ont pas reçu sa marque sur le front ou sur la main (…). Sur eux, la seconde mort n’a pas de pouvoir : ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et régneront avec lui pendant les mille ans » (Apocalypse 20, 4 … 6).
Amen ! »
© Traduction de Zenit, Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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