Collaborateurs du magazine « Aggiornamenti Sociali » © Vatican Media

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Petit éloge – improvisé – de l’écoute et du dialogue avec la réalité (traduction complète)

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Le pape reçoit les collaborateurs de la revue « Aggiornamenti Sociali »

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« L’écoute est vraiment l’attitude fondamentale de toute personne qui veut faire quelque chose pour les autres », a indiqué le pape François lors de l’audience accordée aux rédacteurs et collaborateurs de la revue italienne des jésuites « Aggiornamenti Sociali », à l’occasion du 70e anniversaire de sa fondation, ce vendredi matin 6 décembre 2019, au Palais apostolique du Vatican.
Après avoir remis aux personnes présentes son discours préparé pour l’occasion, le pape leur a parlé d’abondance de coeur.
Le pape a exhorté à écouter, « l’esprit et le coeur ouverts, sans préjugés », afin de « se laisser toucher par la réalité ». S’interrogeant sur la raison du retour des « vieilles idéologies, celles qui ont fait la seconde guerre mondiale », le pape a ainsi analysé le phénomène : « on n’écoute pas la réalité telle qu’elle est. Il y a une projection de ce que je veux que l’on fasse, ce que je veux que l’on pense, qu’il y ait… C’est un complexe qui nous fait nous substituer au Dieu créateur ».
« Mais la réalité, c’est autre chose », a souligné le pape. « Qu’elle plaise ou non, elle est souveraine. Et je dois dialoguer avec la réalité » à partir des valeurs de l’Évangile. Dialoguer, en somme, a précisé le pape jésuite, c’est la regarder « telle qu’elle est », « sans jamais « la couvrir », « l’accepter » sans s’y résigner et chercher ensuite à la comprendre, « en recourant à la prière et en faisant un discernement ».
Voici notre traduction du discours improvisé du pape François en italien, laissant de côté le discours préparé qui leur a été remis et a été publié par le Saint-Siège.
Notre traduction complète du discours préparé se trouve ici.
HG
Discours improvisé du pape François
Il y a un discours préparé de huit pages… Au bout de la troisième, rares seront ceux qui écouteront ! Je la remets et je voudrais parler un peu spontanément de certaines choses que je sens.
Merci pour votre visite et merci, père Bartolomeo [Sorge, S.J.], d’être venu. Avec le père Bartolomeo, nous avons participé à la 32e congrégation générale [des jésuites] en 74, vous vous souvenez ? Ces luttes internes, ces problèmes… Il a été pionnier en cela et je le remercie. Et vous aussi, [je vous remercie] de porter les racines, la mémoire du développement du travail social, qui est important. Ne perdez pas votre courage parce que, récemment j’ai lu quelque chose d’une clarté qui a fait trembler, je ne dis pas la politique italienne, mais certainement au moins l’Église italienne ! Merci, merci à vous tous.
Une chose qu’a dite le père Costa [directeur de la revue] : écouter. On ne peut jamais donner d’orientation, de route, de suggestion, sans écouter. L’écoute est vraiment l’attitude fondamentale de toute personne qui veut faire quelque chose pour les autres. Écouter les situations, écouter les problèmes, ouvertement, sans préjugés. « Tu as dit cela… ». Non, sans préjugés. Parce qu’il y a une façon d’écouter qui est : « Oui, oui, j’ai compris, oui, oui… » et je le réduis, un réductionnisme à mes catégories. Et cela ne va pas. Écouter, c’est se laisser toucher par la réalité. Et parfois, mes catégories tombent ou se réorganisent. L’écoute doit être le premier pas, mais il faut le faire l’esprit et le coeur ouverts, sans préjugés. Le monde des préjugés, des « écoles de pensée », des prises de position fait beaucoup de mal… Aujourd’hui, par exemple, en Europe, nous vivons le préjugé des populismes, les pays se referment et les idéologies sont de retour. Mais pas seulement les nouvelles idéologies – quelques-unes, oui – mais les vieilles idéologies sont de retour, celles qui ont fait la seconde guerre mondiale. Pourquoi ? Parce qu’on n’écoute pas la réalité telle qu’elle est. Il y a une projection de ce que je veux que l’on fasse, ce que je veux que l’on pense, qu’il y ait… C’est un complexe qui nous fait nous substituer au Dieu créateur : nous prenons la situation en main et nous agissons : la réalité est ce que je veux qu’elle soit. Nous mettons des filtres. Mais la réalité, c’est autre chose. La réalité est souveraine. Qu’elle plaise ou non, elle est souveraine. Et je dois dialoguer avec la réalité.
Deuxième pas. Écouter et dialoguer, ne pas imposer de chemins de développement, ni de solution aux problèmes. Si je dois écouter, je dois accepter la réalité telle qu’elle est pour voir quelle doit être ma réponse. Et ici, nous allons au coeur du problème. La réponse d’un chrétien, quelle est-elle ? Entrer en dialogue avec cette réalité en partant des valeurs de l’Évangile, des choses que Jésus nous a enseignées, sans les imposer dogmatiquement, mais par le dialogue et le discernement. Un jésuite en Thaïlande, qui travaille avec les réfugiés, m’a posé cette question quand j’y suis allé : « Quelle est aujourd’hui la route pour notre travail avec les réfugiés ? » Et la réponse est : il n’y a pas une route, il y a des petits sentiers que chacun de nous doit chercher à faire en regardant la réalité, en recourant à la prière et en faisant un discernement. Réalité, prière et discernement. Et l’on avance ainsi dans la vie, notamment avec les problèmes sociaux, culturels… Mais si vous partez de préjugés ou de positions préconstituées, de pré-décisions dogmatiques, jamais, jamais vous n’arriverez à faire passer un message. Le message doit venir du Seigneur, à travers nous. Nous sommes chrétiens et le Seigneur nous parle avec la réalité, dans la prière et avec le discernement.
C’est cela que je voudrais vous dire pour votre revue. Ne jamais, jamais couvrir la réalité. Toujours dire : « C’est ainsi ». Ne jamais la couvrir avec cette résignation du « nous verrons…, cela changera peut-être après… ». Ne jamais la couvrir : la réalité, telle qu’elle est. Ensuite, chercher à la comprendre dans son autonomie interprétative, parce que la réalité aussi a une manière de s’interpréter elle-même. Il faut la comprendre. Et puis le dialogue avec l’Évangile, avec le message chrétien ; la prière, le discernement, et tracer ainsi de petits sentiers pour avancer. Aujourd’hui, il n’y a pas d’ « autoroutes » pour l’évangélisation, il n’y en a pas. Seulement des sentiers humbles, humbles, qui nous feront avancer.
Je voudrais vous encourager sur ce point et l’on dira peut-être : « Mais, père, il y a tellement de problèmes et nous avons peur de glisser et de nous tromper et de tomber ». Mais, grâce à Dieu ! Si tu tombes, remercie Dieu parce que tu auras la possibilité de te relever et d’aller de l’avant et de recommencer à marcher… Mais si l’on ne bouge pas par peur de tomber ou de glisser ou de se tromper, jamais, jamais on ne sera fécond dans la vie. Avancez, courageusement. Et si la critique est bonne, elle vous fera grandir. Elle vous fera voir où ont été les erreurs. Et si la critique vient d’un coeur mauvais, elle vous fera « danser » un peu avec l’acharnement que l’on connaît dans ces cas-là… Mais gardez toujours votre liberté intérieure, et la liberté intérieure on ne l’a que si l’on prie, si l’on se met devant Dieu, si l’on prend l’Évangile, c’est cela la liberté intérieure. Ce n’est pas du piétisme, non, c’est l’authenticité. Les mains au travail et le coeur pour sentir ce qui se passe chez les gens. Écouter. Voilà tout ce que tes paroles [de l’introduction du p. Costa] ont suscité en moi. Je l’offre spontanément, et ensuite, « académiquement » le discours que je devais prononcer, de huit pages !
Priez pour moi, je prierai pour vous, et avancez, toujours de l’avant !
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
 

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Hélène Ginabat

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