Lourdes © wikimedia commons

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Lourdes, une grande école d’humanité, par Mgr Bruno Forte

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Où l’ordre commun de la société est renversé

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« “Rapiti” da Lourdes » (‘ »Captivés » par Lourdes »): sous ce titre, le quotidien italien « Il Sole 24 Ore », du dimanche 6 août 2017, a publié une réflexion de Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto, sur Lourdes, que nous avons publié en italien avec l’aimable autorisation de l’auteur. Voici notre traduction intégrale de la réflexion du théologien italien.
CR
« Captivés » par Lourdes
L’expérience de Lourdes fascine et parle à la vie : c’est ce que démontre, entre autres témoignages, celui de Franz Werfel, écrivain connu pour ses nombreux travaux dont Les quarante jours du Musa Dagh où il raconte de manière réaliste et bouleversante un des épisodes les plus significatifs du génocide arménien. Né à Prague en 1890, fils d’un commerçant juif, Werfel fut ami entre autres de Franz Kafka et de Max Brod, devenant à Vienne, où il s’était transféré, un des protagonistes les plus affirmés de la vie littéraire d’Europe centrale, voix d’un monde à la culture raffinée, anéanti par l’avènement de la barbarie nazie.
Comme de nombreux représentants d’origine juive, Werfel aussi fut contraint de fuir : réfugié dans le sud de la France, il chercha asile à Lourdes, dans une situation dramatique où beaucoup, en particulier des juifs de différentes nations européennes, luttaient pour survivre. Dans le livre écrit en 1941, intitulé Le chant de Bernadette, il voulut raconter l’histoire de Bernadette Soubirous et des apparitions de Lourdes (réédité par Gallucci en 2011, dans l’unique traduction autorisée, celle de Remo Costanzi : la première édition italienne date de 1946), motivant ainsi son chois : « La Providence me conduisit à Lourdes, dont je n’avais jusqu’alors pas la moindre notion de l’histoire prodigieuse. Nous restâmes cachés plusieurs semaines dans la ville des Pyrénées. Ce fut une période d’angoisses, mais ce fut aussi pour moi une période extrêmement importante, puisqu’il me fut donné de connaître la merveilleuse histoire de la toute jeune Bernadette Soubirous et les faits des guérisons de Lourdes. Un jour, au cœur des tribulations, je fis un vœu. Si je sortais de cette situation désespérée et parvenais à rejoindre la côte américaine, avant tout autre travail, je chanterais la chanson de Bernadette de mon mieux. Ce livre est l’accomplissement d’un vœu. Un chant épique de notre temps ne peut que prendre la forme d’un roman. « Bernadette » est un roman, mais ce n’est pas une œuvre imaginaire… Tous les événements importants qui forment le contenu du livre se sont passés en vrai… Leur vérité est attestée par des amis, des ennemis et des observateurs impartiaux… J’ai osé chanter la chanson de Bernadette, moi qui ne suis pas catholique mais juif… parce que depuis le jour où j’ai écrit mes premiers vers, je me suis juré de rendre honneur toujours et partout, à travers mes écrits, au secret divin et à la sainteté humaine, bien que notre époque, avec moquerie, férocité et indifférence, renie ces valeurs suprêmes de notre vie ».
Le témoignage de Franz Werfel est continuellement confirmé par les millions de pèlerins qui se rendent à la Grotte de Massabielle : j’ai pu une fois encore le vérifier en y guidant un pèlerinage d’une centaine de jeunes du diocèse qui m’a été confié. Comme Werfel, ils ont été « transportés » par Lourdes : pourquoi ? Je voudrais répondre à cette question en soulignant trois aspects qui ont particulièrement frappé les jeunes. Le premier est l’extraordinaire expérience de prière personnelle et communautaire que l’on peut faire à Lourdes : le soin et la beauté de la liturgie et des chants, la suggestivité de la procession eucharistique de l’après-midi et de la procession aux flambeaux du soir, le nombre de personnes provenant du monde entier qui se trouvent unies dans cette prière et dans le silence priant devant la grotte, parlent au cœur des jeunes avec une touchante intensité.
Des jeunes, qui ne proviennent pas de parcours de foi particuliers, se sentent attirés par la joie et la beauté de se laisser aimer par Dieu, comme la Vierge Marie, qui parle dans tous les aspects de l’expérience de Lourdes en portant les cœurs au Christ et à l’adoration du Dieu trois fois saint. Avec la prière, il y a la rencontre avec les malades qui frappe les jeunes et les transforme littéralement : à Lourdes l’ordre commun de nos sociétés est renversé. À la première place, il y a les faibles, les infirmes et tout tourne autour du service d’amour qui leur est rendu : c’est impressionnant de voir comment les jeunes saisissent ce message et se sentent attirés par ce renversement de la logique que le consumérisme et l’hédonisme dominants tendent à imposer.
Enfin, à Lourdes, les jeunes se reconnaissent frères avec l’humanité entière, de toutes les cultures et expériences : les couleurs de peau de nombreux pèlerins représentent vraiment la famille humaine dans la diversité de ses visages et dans la commune dignité d’être tous des personnes humaines, enfants du Dieu unique. À Lourdes, la folie des idéologies racistes et xénophobes apparaît dans toute sa pauvreté culturelle et spirituelle, tandis que l’on pressent l’urgence d’être et de se vouloir unis dans l’unique et commune aventure de la vie, aux côtés de l’Éternel et dans la responsabilité envers les autres. À Lourdes, on se découvre humain dans le sens le plus profond de ce terme, dans la beauté de ce que cela signifie, dans le défi et dans la responsabilité de ce que cela comporte, afin que ne soit nié à personne le droit de réaliser son existence dans la vérité, dans la justice, dans la liberté et dans la paix, que chacun doit pouvoir vivre. École de foi et de service pour les autres, Lourdes est aussi une grande école d’humanité réalisée selon le rêve de Dieu, Père de tous.
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Hélène Ginabat

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