La béatification du cardinal Newman, par le P. Keith Beaumont

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Canonisation et doctorat en vue ?

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ROME, Mercredi 22 septembre 2010 (ZENIT.org) – Le P. Keith Beaumont, prêtre australien de l’Oratoire de France, est l’auteur de la biographie officielle du cardinal John Henry Newman pour la béatification et d’autres ouvrages sur le nouveau bienheureux. Il a bien voulu faire part à Zenit de ses impressions de la béatification de Newman à laquelle il a participé à Bimingham dimanche, et des perspectives qu’ouvre cette béatification… canonisation et doctorat ?

Zenit – Père Beaumont, quelles sont les principales étapes de la vie de Newman?

P. Keith Beaumont – Beaucoup de catholiques voient le moment crucial de la vie de Newman dans sa « conversion » au catholicisme en 1845. Or, ce moment crucial se situe bien en amont, à l’âge de 15 ans, quand le jeune Newman fait une expérience éblouissante de Dieu comme « Présence » intérieure : c’est le sens de la célèbre formule qui parle de sa « découverte de deux êtres – et de deux êtres seulement – dont l’évidence était absolue et lumineuse : moi-même et mon Créateur ». Tout au long de sa vie, Newman vivra avec cette conscience intime de la présence de Dieu en lui, qui l’engagera sur le chemin de la « sainteté ». C’est cette relation à Dieu qui le conduira finalement au catholicisme en 1845.

Il devient universitaire d’Oxford à l’âge de 21 ans. Puis, en 1828, commence une nouvelle étape quand il est nommé à l’âge de 27 ans curé de la paroisse située au cœur d’Oxford, St Mary’s. Entre 1828 et 1843, il y prêchera inlassablement, tout en publiant un choix de ses sermons en 8 volumes. Sa prédication est doctrinale, elle est morale (sans jamais pourtant être moralisante), elle fait preuve d’une perception psychologique pénétrante et décapante ; mais tout est orienté vers une sorte de réveil spirituel de ses auditeurs. Au cœur de tout se trouve la doctrine, qui trouve son origine dans l’enseignement de saint Jean et de saint Paul relayé par les Pères de l’Eglise, de la présence de l’Esprit Saint qui « demeure » ou qui « habite » en nous.

A partir de 1833, Newman et ses amis entreprennent une vaste campagne en vue du renouveau théologique, liturgique et spirituel de l’Eglise anglicane, tombée dans une sorte de torpeur et d’inconscience de sa véritable mission : c’est ce que l’on appelle le « Mouvement d’Oxford » ou « Mouvement tractarien ». A travers des « tracts » (écrits polémiques), des conférences, des livres, et surtout sa prédication, Newman cherche à faire prendre conscience à cette Eglise de sa véritable mission, en creusant le sens des quatre mots du credo, l’Eglise « une, sainte catholique et apostolique ». Il s’agit de faire réfléchir aux relations entre les différentes Eglises ; de retrouver un riche héritage liturgique et spirituel largement perdu (la dimension « catholique ») ; de faire redécouvrir l’importance d’une Tradition qui remonte aux temps « apostoliques » ; et de redécouvrir l’importance des sacrements ainsi que de la prière personnelle et liturgique comme « vecteur » de la grâce divine, c’est-à-dire comme les sources d’une authentique « sainteté ».

Mais les recherches de Newman le conduisent peu à peu à la conviction que c’est l’Eglise catholique romaine, et non l’Eglise anglicane, qui est l’héritière authentique de l’Eglise des premiers siècles. Avant tout, c’est en elle que se trouvent – dans ses sacrements et dans sa vie de prière – les véritables sources de la « sainteté ». Le 9 octobre 1845 il est reçu dans l’Eglise catholique. C’est pour lui une rupture terrible sur le plan personnel ; mais il vit une continuité parfaite sur les plans intellectuel et spirituel : il a l’impression simplement de « rentrer au port après une tempête ».

Là, commence une nouvelle étape de sa vie qui se scinde globalement en deux parties. Tout en acclamant triomphalement la « conversion » d’un homme aussi éminent, l’Eglise catholique ne sait guère que faire de lui ; et beaucoup se méfient de l’originalité de sa pensée. Pendant 20 ans, il est rejeté, attaqué, vilipendé par la société anglicane et protestante ; et en même temps, souvent tenu en suspicion par la hiérarchie catholique. En 1864, en réponse à une attaque contre son intégrité et contre celle de tous les prêtres catholiques, il publie son autobiographie, Apologia pro vita sua, qui opère un demi-miracle en le réhabilitant pleinement dans l’opinion publique. C’est le début d’une sorte de renaissance pour lui personnellement.

La période qui va de 1864 à sa mort en 1890 est une période de grande productivité littéraire et d’un accroissement continu de sa renommée. Il republie la totalité de ses œuvres anglicanes, en ajoutant simplement notes et préfaces. En 1879 le nouveau pape, Léon XIII, le fait cardinal, en reconnaissance de l’importance de sa pensée et de son œuvre. Il meurt, comblé d’honneurs, dans son Oratoire de Birmingham le 11 août 1890, à l’âge de 89 ans.

La béatification de Newman tenait à coeur à Benoît XVI: il a voulu la présider, il en a fait l’occasion de son voyage au Royaume Uni. Quelles sont leurs affinités?

Les deux hommes sont proches par leur culture (connaissance intime des Pères de l’Eglise), leurs goûts artistiques (amour de la musique, l’un comme pianiste, l’autre comme violoniste), par la finesse de leur intelligence, et surtout par la profondeur de leur vie spirituelle. Qui plus est, la pensée de Newman – en particulier son enseignement sur la conscience et celui sur le « développement » doctrinal – ont profondément marqué le jeune Joseph Ratzinger pendant ses années de séminaire. Mais en béatifiant Newman en vue de son éventuelle canonisation, ce n’est pas seulement la vie de Newman que le pape présente comme une « norme » (« canoniser » signifie littéralement présenter comme une « norme » ou un « modèle » de sainteté), c’est son œuvre et sa pensée : il a souligné dans son homélie lors de la béatification l’importance de « sa prédication, son enseignement et son œuvre écrite ».

Comment avez-vous vécu ce voyage? Quels sont les moments qui vous ont le plus frappé?

Le point culminant pour moi a été la messe de béatification le dimanche matin. Ce fut un moment inoubliable, d’émotion extrêmement forte (malgré la fatigue : nous avons dû nous lever à 4 heures du matin !). D’autant plus qu’il était clair que pour le Saint Père, il ne s’agissait, avec la béatification de Newman, que d’une étape vers autre chose…

Dans l’avion de Rome à Edinbourg, Benoît XVI a prononcé le mot de « docteur » :  la canonisation et le « doctorat » de Newman sont-ils envisagés?

Tous les papes depuis Pie XII ont souhaité voir Newman canonisé et déclaré Docteur de l’Eglise. C’est également le vœu fervent de Benoît XVI. Il l’a encore exprimé, discrètement, dans son discours aux journalistes dans l’avion et dans son homélie lors de la béatification. En déclarant certains saints « Docteurs de l’Eglise », l’Eglise reconnaît à leur enseignement (doctrina, en latin) une autorité particulière pour tous les fidèles. Newman va rejoindre un jour le petit groupe de 30 hommes et 3 femmes qui possèdent ce statut. J’ai reçu à ce sujet une confidence que je ne peux pas expliciter ; mais il semblerait que, dans le cas de Newman, sa canonisation et son « doctorat » pourraient avoir lieu dans très peu de temps !

Le pape a insisté sur la modernité de Newman. Qu’est-ce qu’il a spécialement à nous dire aujourd’hui?

Il n’est pas facile de répondre en quelques mots. En schématisant, je dirais que Newman nous propose le modèle d’une intelligence pénétrante, d’une vaste culture, d’une volonté d’engagement avec tous les courants de pensée de son époque, d’un respect profond du « réel » (sa pens
ée est aux antipodes de toute forme d’idéologie), et d’une grande ouverture d’esprit, le tout allié à un sens profond et intime de Dieu, à une recherche constante de Dieu, à un amour profond de Dieu. Il est à la fois – comme Benoît XVI lui-même – un grand intellectuel et (pour emprunter le titre d’un livre du cardinal Honoré) « un homme de Dieu ».

Pour la béatification, il a fallu la reconnaissance d’une « miracle » : quel est-il?

Dans l’archidiocèse de Boston, aux Etats-Unis, Jack Sullivan, un homme engagé dans une formation en vue du diaconat permanent, a été atteint d’une maladie de la colonne vertébrale qui le faisait souffrir atrocement et le tenait plié en deux. Une opération mal réussie n’a fait qu’aggraver le problème. Par suite d’une demande adressée au cardinal Newman de le guérir afin qu’il puisse poursuivre ses études en vue de ce service d’Eglise, sa douleur atroce a disparu instantanément, totalement et définitivement. Il n’existe aucune explication médicale de cette disparition de la douleur. Jack Sullivan a pu servir comme diacre auprès du Saint Père lors de la messe de béatification de Newman.

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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