ROME, Mercredi 13 juin 2007 (ZENIT.org) – Dans le cadre d’une enquête sur les relations entre l’Eglise et les médias, réalisée par Zenit, nous publions un entretien avec la directrice du Journal « La Croix », Madame Dominique Quinio.
« De tous temps le souci de ‘La Croix’ a été d’établir un dialogue, de lancer des ponts entre Eglise et société. Un dialogue, un pont, à double sens : nous devons permettre à la société de mieux entendre et de mieux comprendre ce qui est à l’œuvre dans une institution comme l’Eglise catholique….. Et inversement, il nous faut permettre à des gens qui se situent à l’intérieur de l’Eglise de mieux comprendre ce monde dans lequel ils vivent », affirme-t-elle.
Zenit – En quoi le Journal La Croix a-t-il changé sa manière de faire du journalisme catholique?
D. Quinio – C’est l’environnement autour de « La Croix » qui a changé, le monde, l’Eglise elle-même, les rapports entre l’Eglise et la société. On est passé d’une période de confrontation politique très vive, dans laquelle a été créée « La Croix », à une société de laïcité assumée, où des questions peuvent se poser néanmoins dans les rapports entre la société et les religions. « La Croix » reste « La Croix ». Même s’il n’y a plus le crucifix en haut de la première page, son titre est explicite et sa raison d’être demeure : être un quotidien d’informations d’identité catholique. Sa mission s’exprime dans un contexte qui a changé, avec des professionnels qui sont différents, dans des modes de communication qui ont évolué. Les lecteurs n’attendent pas la même chose des journaux que ce qu’ils en attendaient, il y a plus de 120 ans.
Zenit – Quelle est aujourd’hui votre spécificité dans le traitement des événements du monde ?
D. Quinio – Notre « pain quotidien », c’est l’actualité, l’information, mais, comme vous le savez, cette information est de plus en plus abondante. Donc comme tous les journaux, nous effectuons un choix, un tri. Notre spécificité se manifeste d’une part par le choix des sujets que l’on traite ou que l’on élimine et par les modes de traitement de ces sujets.
Concernant la sélection des informations, disons que nous privilégions tous les événements où se joue le sort de l’homme. Des événements internationaux, sociaux ou sociétaux, des faits divers même, mettant en jeu les personnes qui vivent dans ce monde d’aujourd’hui. Nous accordons donc une attention particulière aux questions internationales, aux pays les plus pauvres ; aux questions liées, en France, à l’exclusion, aux inégalités sociales mais aussi aux sujets de famille et d’éducation, aux évolutions de la sciences et de la médecine, à ce qui touche aux frontières de la vie humaine et peut mettre en péril la dignité des personnes. Et puis, bien entendu, nous accordons beaucoup d’importance à la dimension spirituelle des personnes et des événements. Il s’agit pour nous de donner une clef de compréhension de ce qui se passe dans l’actualité, de ce qui anime les personnes et de ce qui explique les événements.
Concernant nos modes de traitement, il y en a un auquel nous sommes attachés, bien qu’il ne soit pas particulièrement lié à notre identité, c’est la pédagogie : aider les gens à comprendre ce qui se passe. Et le faire en essayant de voir ce qui est positif dans les événements du monde, ne pas donner une vision catastrophique de ce monde qui nous entoure ; et rappeler qu’il y a des gens qui ‘agissent’. C’est une dimension que les lecteurs nous reconnaissent. Ceci ne veut pas dire peindre la réalité en rose et nier les difficultés ou les drames, mais c’est dire « on peut agir, on peut changer les choses ». C’est cultiver la vertu espérance. Autre élément important dans nos modes de traitement : respecter les personnes dont on parle et à qui on parle. Etre conscient de la responsabilité qui nous incombe, quand on publie un article dans un journal.
Zenit – Comment gérez-vous cette alliance entre l’information et l’opinion ?
D. Quinio – Nous sommes un quotidien d’information et de conviction. Notre hiérarchie de sujets dit déjà quelque chose de notre conviction. Dans notre journal, il y a une séparation vraiment claire entre l’information et les commentaires. Il y a des prises de position qui sont les éditoriaux et les commentaires, et l’information que l’on essaie de donner avec le plus de précisions et d’honnêteté possible. Je ne dis pas que nous y réussissons à tous les coups. Mais nous nous y employons.
Zenit – Le nombre de Français se déclarant catholiques est passé de 71% en 81 à 59% cette année. On parle de crise du catholicisme en France. Comment un media comme « La Croix » vit-elle cette fragilisation du catholicisme ?
D. Quinio – Effectivement, nous nous situons dans un double « marché » en crise : crise des catholiques pratiquants qui sont le vivier de nos lecteurs et crise de la presse quotidienne qui, aujourd’hui, en France, n’est pas en très grande forme. Or, il se trouve que dans ce double contexte, « La Croix » progresse dans sa diffusion. Cela prouve que, plus que jamais, notre quotidien, comme les autres journaux d’identité forte, a une place à tenir et quelque chose d’original à dire, un sens à donner, au milieu d’une offre massive et indifférenciée d’informations, notamment par le biais d’Internet. Toute information qui est clairement identifiée et qui n’avance pas masquée présente une garantie pour des lecteurs intéressés, quelles que soient leurs convictions. Personnellement, je ne suis pas du tout pessimiste.
Zenit – Cela a-t-il toutefois des conséquences sur la manière de traiter les sujets ?
D. Quinio – Incontestablement. Par exemple, je suis persuadée qu’on ne traite pas un sujet d’information religieuse institutionnelle aujourd’hui comme on le traitait par exemple il y a trente ans, quand tout le bassin culturel faisait que les gens étaient formés, connaissaient le sens des mots etc.. Aujourd’hui, les lecteurs, y compris ceux qui peuvent être très convaincus, pratiquants, n’ont pas forcément les bases de connaissance que pouvaient avoir les plus anciens de nos abonnés. Nous devons travailler particulièrement cette option de pédagogie, de formation.
Dans une société comme la nôtre, traversée par une sorte de prêt-à-penser, je pense qu’il y a plus que jamais de la place pour des voix bien claires et bien affirmées. De tous temps d’ailleurs, le souci de « La Croix » a été d’établir un dialogue, de lancer des ponts entre Eglise et société. Un dialogue, un pont, à double sens : nous devons permettre à la société de mieux entendre et de mieux comprendre ce qui est à l’œuvre dans une institution comme l’Eglise catholique et essayer de faire vivre les valeurs ou la parole de l’Evangile. Et inversement, il nous faut permettre à des gens qui se situent à l’intérieur de l’Eglise de mieux comprendre ce monde dans lequel ils vivent et qui peut éventuellement leur faire peur, ou leur paraître trop lointain par rapport à leurs propres convictions et valeurs.
Plus les univers semblent s’éloigner les uns des autres, plus les ponts sont nécessaires. Et moi, je nous vois bien, nous médias catholiques, comme des ponts.
Zenit – En France, les hebdomadaires chrétiens ont un peu tous changé de formule. Vous aussi. Qu’est ce qui détermine ce genre de décision et quelles chances ou risques cela comporte-t-il ?.
D. Quinio – Un journal est un organisme vivant. Ill est nécessaire d’évaluer régulièrement ce que nous faisons. Sauf quand il s’agit d’un changement éditorial radical, ce qu
i est rarement le cas et pose alors des questions plus fondamentales, une nouvelle formule est surtout une excellente manière de travailler sur soi-même, de se redire collectivement quels sont nos points forts, nos points faibles ? quelles sont les attentes supposées ou connues des lecteurs ? Quel avenir peut-on voir dans le type de presse que nous proposons etc.. Sinon, on s’installe dans la routine, on s’endort, surtout quand ça marche. Or c’est justement quand ça marche qu’il faut se remettre en question.
Bien sûr, il y a toujours un risque. Les lecteurs n’aiment pas être bousculés, surtout les lecteurs qui lisent avec attention le journal, qui ne se contentent pas de le feuilleter. Ils savent très vite repérer s’il y a eu changement de fond et d’orientation. Et si c’était le cas, ils sauraient bien manifester leur désaccord éventuel. Ils savent reconnaître ce qui est un simple rebondissement ou une innovation, un approfondissement.
Ce qui est toujours très risqué, c’est une nouvelle formule conçue pour redresser une situation de déclin : car cela veut dire qu’il y a comme une rupture avec les lecteurs et renouer les liens est toujours une opération compliquée.
Zenit – Face à une sécularisation de plus en plus généralisée, le pape Benoît XVI a encouragé récemment les médias catholiques à une contribution décisive ? Comment accueillez-vous cet appel ?
D. Quinio – Nous avons la prétention d’essayer de répondre à cette demande et d’y avoir répondu avant qu’elle ne nous soit rappelée. Mais à notre manière qui est une manière journalistique. Nous sommes des journalistes, nous sommes un média, pas une faculté de théologie ni des pasteurs. Nous jouons un rôle de médiateur et de pont, dont je parlais plus haut. Faire reconnaître la qualité d’un média chrétien dans le monde médiatique d’aujourd’hui, faire qu’il soit une référence professionnelle, faire qu’il soit régulièrement cité dans les revues de presse, porter à la Une de l’actualité des sujets originaux, graves, qui ont du sens et qui sont importants pour l’Eglise, mettre en lumière les valeurs évangéliques et les témoins qui les portent, c’est contribuer à cette mission-là.
Zenit – Quelle place le journal « La croix » en particulier, mais aussi les autres médias catholiques ont-ils dans le paysage médiatique actuel ?
D. Quinio – Concernant notre journal, je pense qu’il tient son rang et qu’il est considéré, repéré à la fois comme professionnel et engagé. Dans une société qui a tendance à disqualifier ce qui revendique une conviction religieuse, « La Croix » est prise au sérieux. La France a la chance de disposer d’une palette de magazines et médias catholiques de grande qualité. C’est une chose entendue, me semble-t-il. Je le vois d’ailleurs chez les jeunes journalistes en recherche d’emploi. Il sont plutôt attirés par ces journaux-là, quelle que soit leur propre conviction, car ils sentent qu’on y fait du journalisme comme ils rêvent d’en faire.
Zenit – Quel est dans ce contexte, le gros enjeu de la presse catholique ?
D. Quinio – L’enjeu est peut-être de convaincre des lecteurs potentiels qu’il est important de bien comprendre le monde dans lequel on vit, de ne pas se réfugier sous sa couette, par une sorte d’inquiétude face à cette société qui est compliquée et peut paraître hostile ou trop indifférente, ou trop violente, mais que nous devons plutôt le prendre à bras-le-corps. C’est la tâche qui nous est confiée à nous chrétiens. Habiter ce monde-là, l’aimer et faire en sorte qu’il change. Or on ne peut pas le faire, si on ne le comprend pas, si on ne le décrypte pas et si on ne s’engage pas. Si on ne s’informe pas.
Zenit – La communication entre l’Eglise et les médias devrait-elle s’améliorer, selon vous ?
D. Quinio – Ce sont peut-être les niveaux de communication qui sont à changer. Avant, quand le pape s’exprimait, publiait une encyclique ou un texte important, il y avait une sorte de partage des tâches : tout un corps de prêtres, d’évêques faisait la médiation et accompagnait l’enseignement d’un langage pastoral. Aujourd’hui, les textes officiels partent directement vers le public. Toutes ces paroles sont immédiatement relayées par les médias d’une manière souvent raccourcie, abrupte. Ça ne passe pas. Il faudrait que l’on prenne en compte cette différence, que les prises de parole comportent (et il y en a qui le font très bien) la dimension doctrinale, la dimension enseignante et la dimension pastorale. Et puis, il faudrait peut-être aussi un effort de simplification de langage. Je le redis : à part les médias (mais ils ne sont pas tous compétents dans ces domaines), il n’y a plus d’intermédiaires entre la parole énoncée et la réception par des gens qui n’auront pas toutes les clefs de décryptage. Il faudrait que ces clefs de décryptage soient données dès l’origine.