Conseil nationale anti-usure © Vatican Media

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Finance : pour combattre l'usure, éduquer à la sobriété

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Le pape s’élève contre l’usure qui « humilie et tue » (Traduction intégrale)

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« L’usure humilie et tue », elle « étrangle sa victime », a dénoncé le pape François devant les membres du Conseil national anti-usure italien (Consulta Nazionale Antiusura) qu’il a reçus ce 3 février 2018 au Vatican. « L’usure est un péché grave : il tue la vie, il piétine la dignité des personnes, c’est un véhicule de corruption », a-t-il insisté.
Durant la rencontre, le pape a appelé à combattre ce « fléau » en « éduquant à un style de vie sobre, qui sache distinguer entre ce qui est superflu et ce qui est nécessaire, qui responsabilise pour ne pas contracter des dettes afin de se procurer des choses auxquelles on pourrait renoncer ».
« Il est important, a-t-il ajouté, de retrouver les vertus de la pauvreté et du sacrifice : de la pauvreté, pour ne pas devenir esclaves des choses, et du sacrifice, parce que on ne peut pas tout recevoir de la vie. »
Voici notre traduction intégrale du discours que le pape a prononcé.
AK
Discours du pape François
Chers frères et sœurs,
Je suis heureux de vous accueillir et de partager avec vous ce moment de réflexion sur un fléau malheureusement répandu et encore très souterrain : l’usure. Je remercie le président pour ses aimables paroles, et j’adresse une pensée au père Massimo Rastrelli, absent pour maladie, qui en 1991 a constitué la première Fondation Anti-usure.
Je suis avec une attention particulière votre parcours de lutte contre l’usure, qui devient de plus en plus compétent et concret avec l’expérience et avec la constitution de nouvelles Fondations sur tout le territoire national à travers des centaines de Centres d’écoute. Ce sont des bases, des écoles d’humanité et d’éducation au droit, fruit d’une sensibilité qui trouve dans la Parole de Dieu son inspiration éclairante et qui œuvre silencieusement et laborieusement dans les consciences des personnes.
Pendant vos 26 premières années de service, vous avez sauvé plus de 25 000 familles de l’étau de la dette usuraire ; sauvant leurs maisons, et parfois leur petite entreprise, vous les avez aidés à retrouver la dignité dont ils avaient été expropriés. Ceci mérite une grande reconnaissance. Merci, merci beaucoup.
L’usure humilie et tue. L’usure est un mal ancien et malheureusement encore souterrain, qui tel un serpent, étrangle sa victime. Il faut le devancer, en soustrayant les personnes de la pathologie de la dette engendrée pour la subsistance ou pour sauver l’entreprise. On peut la prévenir en éduquant à un style de vie sobre, qui sache distinguer entre ce qui est superflu et ce qui est nécessaire, qui responsabilise pour ne pas contracter des dettes afin de se procurer des choses auxquelles on pourrait renoncer. C’est important de retrouver les vertus de la pauvreté et du sacrifice : de la pauvreté, pour ne pas devenir esclaves des choses, et du sacrifice, parce qu’on ne peut pas tout recevoir de la vie.
Il est nécessaire de former une mentalité imprégnée de légalité et d’honnêteté, pour les personnes et les institutions ; d’augmenter la présence d’un volontariat motivé et disponible envers les nécessiteux, afin qu’ils se sentent écoutés, conseillés, guidés, pour se relever de leur condition humiliante.
A la base des crises économiques et financières, il y a toujours une conception de la vie qui met en premier plan le profit et non la personne. La dignité humaine, l’éthique, la solidarité et le bien commun devraient toujours être au centre des politiques économiques mises en œuvre par les institutions publiques. On attend d’elles qu’elles découragent, par des mesures adéquates, les instruments qui, directement ou indirectement, sont la cause de l’usure, comme par exemple les jeux de hasard, une autre plaie. J’ai vu, j’ai connu, à Buenos Aires des femmes mûres, qui allaient à la banque recevoir leur pension et de là se rendaient dans les lieux de jeux de hasard. C’est une pathologie qui te prends et te tue.
L’usure est un péché grave : il tue la vie, il piétine la dignité des personnes, c’est un véhicule de corruption et un obstacle au bien commun. Il affaiblit également les fondements économiques et sociaux d’un pays. En réalité, avec tant de pauvres, tant de familles endettées, tant de victimes de graves infractions et tant de personnes corrompues, aucun pays ne peut programmer de mesures de reprise économique ni encore moins se sentir à l’abri.
Chers frères et chères sœurs, je sais bien que le service que vous rendez est pesant : il s’agit de collaborer pour que le système économico-social soit humain et pour que le message évangélique puisse illuminer le cœur et l’âme des personnes, comme ce qui arriva un jour à Zachée, patron des « publicains » de Jéricho,riche et corrompu (Cf Lc 19,1-10), et à son collègue Matthieu, que Jésus regarda avec miséricorde et choisit comme disciple, et qui depuis un an est le patron des Fondations Contre l’Usure (Cf Mt 9,9-13). Un beau pèlerinage que vous pouvez faire pour voir l’âme d’un homme attaché à l’argent, à l’usure, est à Saint Louis des Français : la Conversion de Matthieu du Caravage.
Matthieu fait comme cela avec l’argent [il fait un geste], comme s’ils étaient ses enfants. Ceci dépeint bien l’attitude de l’homme attaché à l’argent. Que le Seigneur inspire et soutienne les autorités publiques, afin que les personnes et les familles puissent avoir l’usufruit des bénéfices des lois comme de toutes les réalités économiques ; qu’il inspire et soutienne les responsables des systèmes bancaires, afin qu’ils veillent sur la qualité éthique des activités des institutions de crédits. Il vaut la peine de souligner que de nombreuses banques sont nées et se sont diffusées dans le monde justement pour soustraire les pauvres de l’usure avec des prêts sans gage et sans intérêts.
Chers frères, votre service vous demande d’être des hommes et des femmes de rencontre, d’écoute, de proximité. C’est pour cela que je vous exhorte à fixer le regard et le cœur sur Jésus, à vous arrêter sur les pages de l’Evangile dans lesquelles Il rencontre les pauvres, les mendiants, les lépreux et les paralytiques et les « remet debout », en leur redonnant leur dignité et un futur. Affrontant l’usure et la corruption, vous aussi vous pouvez transmettre l’espérance et la force aux victimes, afin qu’ils puissent retrouver la confiance et se sortir de leurs situations. Pour les institutions, vous êtes un stimulant pour garantir des réponses concrètes à ceux qui sont désorientés, parfois désespérés et qui ne savent pas comment faire pour faire avancer leur propre famille. Pour les usuriers eux-mêmes vous pouvez être un rappel du sens d’humanité et de justice, un rappel à prendre conscience qu’on ne peut pas tuer ses frères au nom de l’argent.
En outre, je vous encourage à dialoguer avec ceux qui ont des responsabilités dans le domaine économique et financier, afin qu’ils promeuvent des initiatives qui concourent à la prévention de l’usure. Ce n’est pas à moi de faire des exemples concrets : vous les avez bien présents ; mais il s’agit toujours d’avoir le respect des gens, de mettre réellement la personne et la famille au centre, pas en parole mais en réalité.
Les personnes que vous avez fait sortir de l’usure peuvent témoigner que l’obscurité dans le tunnel qu’ils ont traversé est épaisse et angoissante, mais qu’il y a aussi une lumière forte qui peut illuminer et donner du réconfort. Pour les pauvres, les personnes endettées, les entreprises en difficulté, vous pouvez être une source d’espoir. Continuez votre service avec persévérance et courage : c’est un levain précieux pour toute la société. Les victimes de l’usure et du hasard qui sont venues ici avec un de leur représentant le savent bien. Je les salue et les encourage parce que je sais qu’ils ont entrepris un chemin nouveau avec l’aide de Dieu et la solidarité de tant de frères. Transmettez votre courage aux personnes qui sont encore dans ce tunnel, en racontant votre expérience, en témoignant qu’on peut sortir de l’usure et du hasard.
Ensemble, lançons un appel pour un nouvel humanisme économique, qui « mette fin à l’économie de l’exclusion  et de l’iniquité », à l’économie qui tue, aux systèmes économiques dans lesquels les femmes et les hommes ne sont plus des personnes, mais sont réduites à l’état d’instruments d’une logique du rebut qui génère de profonds déséquilibres (Cf Message au Symposium sur l’Economie, 26 novembre 2016).
Je vous remercie pour votre présence et pour votre travail et de tout cœur je vous bénis, vous et votre travail. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hugues de Warren

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Hugues de Warren

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