Femmes: La "révolution" chrétienne (A.-M. Pelletier, France-Catholique)

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Réflexion sur la spécificité chrétienne

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CITE DU VATICAN, Dimanche 27 mai 2001 (ZENIT.org) – Pour Anne-Marie Pelletier, professeur à l´Ecole cathédrale de Paris, l´apport du christianisme à la condition de la femme a été une vraie « révolution ».
Dans le sillage de la publication de son livre: « Le christianisme et les femmes » (éd. du Cerf), Madame Pelletier a accordé l´entretien suivant à Samuel Pruvot pour l´hebdomadaire français France-Catholique (édition du 11 mai 2001 – (www.france-catholique.fr). Un parcours biblique, évangélique, historique et spirituel qui permet une saine « toilette des idées reçues », à l´occasion de la « fête des mères ».
« Les chrétiennes, dont j´ai recherché la trace, dit A.-M. Pelletier, ont fait l´histoire, silencieusement souvent, mais efficacement… Elles ont fait l´histoire profonde, la seule qui vaille et qui dure. C´est pourquoi il n´est pas juste de parler d´une histoire perdue des femmes. Rien n´est perdu de ce qui est fait en aimant ».

Entretien

FC – Anne-Marie Pelletier, on a souvent entendu dire que la Bible ravalait la femme au rang de simple génitrice. Qu´en est-il au juste ?
A.-M. P. – Cette lecture est évidemment bien réductrice. L´Ancien Testament foisonne de figures féminines. Et il est essentiel de ne pas réduire trop vite cette belle diversité. La femme n´y est nullement réduite à une utilité biologique. Elle exerce, bien au contraire, un rôle décisif dans l´histoire du salut. En Sarah, qui donne un fils à Abraham malgré sa stérilité, se manifeste la puissance de Dieu qui accompagne l´Alliance. Plus tard, l´histoire de Moïse commence avec une véritable conjuration féminine au service de la vie : les sages-femmes d´Egypte, la mère et la sœur de l´enfant, la fille de Pharaon, toutes ces femmes se liguent pour faire échec au projet meurtrier de Pharaon. Plus tard encore, pensons aux figures de Judith ou d´Esther. Cette association des femmes à l´œuvre de Dieu culmine dans la personne de la Vierge Marie, engagée au cœur du mystère de l´Incarnation et de la Rédemption.

FC – Certains Pères de l´Eglise n´ont-ils pas eu la dent dure avec les femmes ?
A.-M. P. – Les discours misogynes existent. Ils traduisent une peur de l´autre en sa singularité si proche. Au IIe siècle, Tertullien porte à un poids maximal l´interprétation misogyne du récit de la Genèse.
Mais il nous faut retourner au texte de la Genèse, si plein de clairvoyance sur les rapports entre l´homme et la femme. Il nous décrit une relation fondamentalement bonne et, en même temps, blessée de l´un et l´autre côté (« Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi », Gn. 3,26). Cette relation n´est pas à ce point abîmée qu´elle ne serve ensuite d´appui à la révélation de l´Alliance entre Dieu et son peuple. Elle a besoin, cependant, d´être reprise par un acte de puissance de Dieu pour retrouver sa vérité et sa plénitude, conditions du bonheur auquel hommes et femmes aspirent au long des temps et des cultures.

FC – Que va changer le christianisme au statut de la femme ?
A-.M. P. – C´est une révolution, ou pour le moins un grand pas vers l´émancipation ! Le christianisme apporte avec lui la notion de mariage indissoluble. C´est un regard neuf sur l´homme et la femme qui s´impose au monde païen. Cela ne va pas sans réticences. Les facilités d´un droit permettant de casser une union sur un simple caprice étaient trop commodes pour qu´on y renonce de bon gré. En témoigne, par exemple, un texte énergique d´Astère d´Amasée : »Le mariage, institution souveraine, n´est pas une plaisanterie. Aujourd´hui, vous, écoutez-moi, vous les marchands de mariage, qui changez de femmes comme de manteaux, vous qui bâtissez des foyers aussi facilement que des baraques de foire (…) Comment te séparer sans tourment de celle que tu as nouée à ta vie, non point servante d´occasion, mais sœur, mais épouse ? »
Le christianisme condamne la bigamie et l´inceste. En outre, il permet à la femme, baptisée dans le Christ comme l´homme, une participation plénière au culte. Ce mouvement va de pair avec une promotion de la virginité. C´est une consécration volontaire – contrairement à celle des Vestales – en vue du Royaume. La virginité bien comprise ne disqualifie pas le corps. Elle est le suprême acte de liberté d´une personne qui signifie que Dieu est le tout de sa vie.

FC – Le Moyen Age est-il, sur ce point, en régression par rapport à l´Antiquité ?
A-.M. P. – Absolument pas ! Pour décrire aujourd´hui l´attitude des talibans afghans, certains journalistes parlent « d´obscurantisme médiéval ». Cette expression est particulièrement fâcheuse. Certes, l´histoire officielle qui s´enseignait et s´imprime dans les livres et les mémoires retient avant tout des figures masculines : Clovis, Charles Martel, Charlemagne, etc., mais les fondations cachées de la civilisation qui s´élabore alors reposent également sur des femmes qui furent de grandes chrétiennes. Je pense notamment à Clotilde, Geneviève ou Radegonde. Ces femmes ne vécurent à l´écart ni du pouvoir ni de l´histoire. Elles furent, au sens le plus fort, des femmes d´influence.
A l´époque carolingienne, Dhuoda, par exemple, compose un des premiers manuels de formation qui soient venus jusqu´à nous. Ce document est précieux. Les textes du temps sont rares. Les textes de femmes plus encore. Dhuoda symbolise bien l´efficacité cachée d´une vie de femme. Epouse et mère, elle a vu son époux et son fils emportés dans la tourmente politique. Elle écrivait pour son fils, c´est son petit-fils qui la lut. Son texte témoigne d´une puissante intelligence spirituelle qui nous enseigne, aujourd´hui encore. Il faudrait parler, évidemment aussi, d´Hildegarde de Bingen, d´Héloïse, de Catherine de Sienne, de tant d´autres…

FC – Quelle est, au regard de l´histoire, la principale vertu des femmes chrétiennes ?
A-.M. P. – Sans doute l´endurance ou, dit autrement, en langage théologique, l´espérance. Ces femmes, sœurs de Marie, qui se tient au pied de la Croix, à l´heure des ténèbres, croient à la vie. Elles la gardent et la défendent au sein des pires cruautés.

FC – Le sacerdoce des femmes est-il un fantasme masculin ?
A-.M. P. – Peut-être ! C´est surtout perdre de vue que nous ne sommes pas sauvés dans l´abstrait, mais par le Christ de l´Incarnation. Celui qui introduit l´Eglise dans l´Alliance nouvelle assume notre humanité au masculin. Ce n´est pas là une question de droit, mais de fait et de réalisme spirituel.

FC – Peut-on parler d´un féminisme chrétien ?
A-.M. P. – Il y a en fait divers féminismes qui se réclament du christianisme, avec plus ou moins de rigueur. Il me semble que la pierre de touche d´un féminisme chrétien est de quitter la logique d´une guerre des sexes pour s´inscrire dans une logique de l´amour vrai. Il s´agit bien de combattre les injustices, mais pour que l´homme et la femme entrent dans une relation de coopération paisible et heureuse. De même, le respect de la différence des sexes est certainement un point fondamental. Nier celle-ci est, au regard de l´anthropologie biblique, une nouvelle forme de violence. Enfin, l´enjeu est aussi de discerner le vrai moteur de l´histoire. A côté des valeurs masculines, des valeurs féminines sont à l´œuvre. Les femmes témoignent que le service de l´autre, dans l´amour, est formidablement puissant. Les chrétiennes, dont j´ai recherché la trace, ont fait l´histoire, silencieusement souvent, mais efficacement. Aux côtés de la multitude des femmes qui, depuis la nuit des temps, tissent de la tendresse autour d´un homme, enfantent, nourrissent, éduquent, pleurent des morts, consolent ceux qui pleurent, restent fidèles à l´infidèle. Elles ont fait l´histoire profonde, la seule qui v
aille et qui dure. C´est pourquoi il n´est pas juste de parler d´une histoire perdue des femmes. Rien n´est perdu de ce qui est fait en aimant.

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ZENIT Staff

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