Cardinal Parolin © capture de Zenit / CTV

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Droits humains : défendre avant tout la personne humaine, par le card. Parolin (1/2)

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Symposium de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger-Benoît XVI

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Depuis le Concile Vatican II, explique le card. Parolin, l’Église « est devenue elle-même promotrice des droits humains fondamentaux ». C’est pourquoi le Saint-Siège «ne cessera pas d’élever la voix pour défendre avant tout la personne humaine elle-même ».

Le cardinal Pietro Parolin est intervenu au cours du VIIIème Symposium international intitulé « Droits fondamentaux et conflits entre les droits », qui s’est tenu les 15 et 16 novembre 2018 à la Libera Università Maria Santissima Assunta (LUMSA) de Rome. Organisé par la Fondation vaticane Joseph Ratzinger-Benoît XVI en collaboration avec l’Université LUMSA le symposium célébrait le 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et le 20èmeanniversaire de la remise du diplôme honoris causa par l’Université à celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger.

Le cardinal a souligné, parmi les éléments « fondamentaux pour l’Église dans le dialogue avec ses interlocuteurs », « le caractère universel des droits ».

Pour le Saint-Siège, a indiqué le secrétaire d’État, il est fondamental de « favoriser une confrontation la plus ample possible avec tous les hommes de bonne volonté et avec les institutions qui s’emploient à protéger les droits de l’homme et à promouvoir le bien commun et le développement social ». L’Église, a-t-il dit, « se sent libre de rejoindre tout interlocuteur possible, y compris à partir des positions les plus lointaines ».

Voici notre traduction de la première partie de l’intervention du cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, prononcée en italien.

HG

Intervention du cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin

Monsieur le Recteur magnifique,

Monsieur le Président de la Fondation Ratzinger/Benoît XVI,

Mesdames et Messieurs les intervenants,

Mesdames et Messieurs,

Je remercie les organisateurs, en particulier le p. Federico Lombardi, président de la Fondation Ratzinger/Benoît XVI, pour sa cordiale invitation à prendre part à ce symposium qui précède la remise du Prix Ratzinger. Le thème choisi cette année pour le Congrès est particulièrement significatif. Avec un titre provoquant : Droits fondamentaux et conflits entre les droits, il est intégralement consacré aux droits humains à l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des  Droits de l’Homme du 10 décembre 1948.

Les droits humains sont sans aucun doute un thème d’une grande actualité, complexe et souvent controversé. Les interventions de ces jours-ci offrent des approfondissements importants et significatifs, qui mettent en évidence des aspects-clés de la discussion, à partir de l’origine et du fondement même des droits humains, en passant par leur hiérarchie et leur interaction réciproque jusqu’aux limites qu’ils peuvent ou doivent rencontrer. Le thème qu’il m’a été demandé de traiter entend aborder le champ d’investigation dans une perspective différente et je m’arrêterai en particulier sur les interlocuteurs du Saint-Siège dans le cadre des droits humains et par conséquent sur le dialogue qu’il instaure avec la communauté internationale.

Nous ne pouvons certainement pas oublier que l’attitude de l’Église et sa propension à dialogue sur ce thème a évolué au long des sièges depuis que l’expression est apparue avec les premières lueurs de la Révolution française dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le 26 août 1789. Il est notoire qu’il y eut, au début, le refus de tout dialogue possible à ce sujet avec la société. Les droits humains étaient exclusivement perçus comme la tentative de renverser les authentiques valeurs chrétiennes sur lesquelles se basait la coexistence civile[1] et la volonté de créer une société à la base de laquelle il y ait un système législatif affranchi de la religion [2]. Les droits du citoyen apparaissaient donc comme « une propagande trompeuse diffusée par ceux qui visaient en réalité à renverser tout bon ordre de la vie collective, tandis que les « droits humains » réels consistaient dans l’obéissance selon les préceptes de l’Église, aux devoirs inculqués par la loi naturelle et divine et traduits dans la loi positive »[3].

Le langage des droits entre lentement dans la vie de l’Église avec le développement de la doctrine sociale. L’encyclique Rerum novarum de Léon XIII mentionnera le droit de la propriété, liant le concept de propriété privée au droit naturel et rappelant que « les lois civiles (…), quand elles sont justes, trouvent leur autorité et leur efficacité dans la loi naturelle elle-même (cf. S. Th I-I, q.95, a.4), confirment un tel droit et l’assurent avec la force publique » [4].

À la suite des événements dramatiques de la Seconde Guerre mondiale et avec l’instauration d’un nouveau rapport avec la modernité dans les années du Concile Vatican II, l’Église a abandonné la dialectique initiale et elle est devenue elle-même promotrice des droits humains fondamentaux, sans pour autant renoncer à souligner les prérogatives de la loi divine. « Aucune loi humaine, affirme Gaudium et spes, ne peut assurer la dignité personnelle et la liberté de l’homme comme le fait l’Évangile du Christ, confié à l’Église. Cet Évangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui enfin de compte provient du péché, respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix, enseigne sans relâche à faire fructifier tous les talents humains au service de Dieu et pour le bien des hommes, enfin confie chacun à l’amour de tous. (…) C’est pourquoi l’Église, en vertu de l’Évangile qui lui a été confié, proclame les droits des hommes, reconnaît et tient en grande estime le dynamisme de notre temps qui, partout, donne un nouvel élan à ces droits. Ce mouvement toutefois doit être imprégné de l’esprit de l’Évangile et garanti contre toute idée de fausse autonomie. Nous sommes, en effet, exposés à la tentation d’estimer que nos droits personnels ne sont pleinement maintenus que lorsque nous sommes dégagés de toute norme de la loi divine. »[5]. Si donc d’un côté, au cours du temps, s’est ouverte une confrontation profitable entre l’Église et la société sur ce thème, de l’autre elle prend souvent des distances par rapport au contenu et au langage adopté. Dans son approche l’Église part des paroles de l’apôtre : « discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le » (1 Ts 5,21). C’est pourquoi elle se sent libre de rejoindre tout interlocuteur possible, y compris à partir des positions les plus lointaines.

En même temps, il ne faut pas oublier que le point de départ de tout dialogue qui veut être réellement efficace est la conscience de soi. S’ouvrir à l’autre ne signifie pas renoncer à sa propre identité et à ses prérogatives. Là où sont promus des « droits » que l’Église estime incompatibles avec la loi divine comme avec la loi naturelle, connaissable avec la raison droite, le Saint-Siège ne cessera pas d’élever la voix pour défendre avant tout la personne humaine elle-même. Il ne s’agit pas de se retrancher derrière des positions préconçues, mais de défendre le développement harmonieux et intégral de l’homme puisque malheureusement, comme le faisait observer le pape François, « il peut y avoir un risque – par certains aspects paradoxal – qu’au nom des droits humains, on en vienne à instaurer des formes modernes de colonisation idéologique »[6], de sorte que certains droits fondamentaux soient lésés au nom de la promotion d’autres droits. En même temps, même la légitime défense d’une identité culturelle ne peut constituer un prétexte pour se dispenser du respect des droits humains.

Dans le débat actuel, il est bon de garder à l’esprit quelques éléments qui se révèlent fondamentaux pour l’Église dans le dialogue avec ses interlocuteurs. Le premier que je voudrais souligner est le caractère universel des droits. La Déclaration de 1948 se proposait, en effet, l’objectif de formuler des énoncés qui seraient valides toujours, en tout temps, lieu et culture, puisqu’ils sont inhérents à la nature même de la personne humaine. Aujourd’hui, on observe une prise de distance, tant dans certaines sphères de ce que l’on appelle l’Occident, que dans d’autres contextes culturels, comme si le sens profond des droits humains était contextualisable et applicable seulement à certains lieux et à une certaine époque, qui semble désormais irrémédiablement lancée sur la voie du déclin. Il faut au contraire se réapproprier la dimension objective des droits humains, basée sur la reconnaissance de la « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, [qui] constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »[7]. Sans une telle vision, il s’instaure un court-circuit des droits qui, d’universels et objectifs, deviennent individuels et subjectifs, avec pour conséquence paradoxale le fait que « chacun devient la mesure de lui-même et de son propre agir », « foncièrement insouciant des autres [ce qui favorise] la globalisation de l’indifférence qui naît de l’égoïsme, fruit d’une conception de l’homme incapable d’accueillir la vérité et de vivre une authentique dimension sociale. »[8].

C’est en maintenant vive la conscience de la valeur universelle des droits humains que l’on peut éviter une telle dérive qui aboutit dans la prolifération d’une « multiplicité de “nouveaux droits”, souvent en opposition entre eux » [9] et, en même temps, engager un dialogue tous azimuts, surtout dans le monde de l’Onu où se déroulent la majorité des discussions sur ce sujet. Toutefois, il faut aussi noter que le ressentiment croissant que l’on perçoit de toutes parts à l’égard des Organisations internationales et de la diplomatie multilatérale, met aujourd’hui sérieusement en danger le dialogue sur les droits humains. Pour sa part, le Saint-Siège considère qu’il est fondamental de favoriser une confrontation la plus ample possible avec tous les hommes de bonne volonté et avec les institutions qui s’emploient à protéger les droits de l’homme et à promouvoir le bien commun et le développement social. Le pape François nous stimule constamment à construire des ponts et les ponts peuvent être construits avec de multiples interlocuteurs, sur le plan multilatéral ou sur le plan bilatéral, avec les États comme avec les Organisations non-gouvernementales, avec des interlocuteurs religieux comme avec des sujets laïcs et non-confessionnels.

En ce sens la sphère diplomatique est privilégiée puisqu’elle permet de développer des contacts et des relations personnelles à travers lesquels le Saint-Siège peut rejoindre les terres les plus lointaines et les sensibilités humaines les plus distantes. Il ne faut donc pas renoncer à créer des occasions de rencontre, dans le sillage de cette heureuse intuition qu’eut le substitut de la Secrétairerie d’État d’alors, Mgr Giovanni Battista Montini, lorsqu’il donna vie au Cercle de Rome, qui fut une extraordinaire tribune et un siège privilégié de rapports internationaux. Il sut offrir une occasion de connaissance réciproque et de collaboration au niveau culturel  et diplomatique, encourageant entre autres les études sur les problèmes internationaux. Aujourd’hui encore il faut des points de contact, dans lesquels chacun puisse offrir sa contribution originale dans le respect de l’opinion d’autrui. Malheureusement, on observe souvent que certains préjugés et lieux communs à l’égard de l’Église rendent plus difficile une discussion sereine.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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