Mgr Gallagher @ eclj.org

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Droits de l’homme, « substrat éthique des relations internationales », par Mgr Gallagher

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Intervention au Conseil des droits de l’homme à Genève

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Les droits de l’homme sont le « substrat éthique des relations internationales », déclare Mgr Gallagher qui demande « un cadre international des droits de l’homme, cohérent et profondément enraciné dans la nature humaine », « condition indispensable pour promouvoir une paix durable et l’outil le plus efficace pour promouvoir le développement humain intégral ». Le Saint-Siège, rappelle-t-il, soutient et promeut « l’universalité et l’indivisibilité de ces droits ».

Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les États, est intervenu au cours du débat de haut niveau de la 40e session du Conseil des droits de l’homme, le 25 février 2019 à Genève. Il a rappelé que la protection et la promotion des droits de l’homme sont « l’un des trois piliers des Nations Unies ».

Pourtant, alerte le représentant du Saint-Siège, on observe « une fragmentation systématique et progressive de la nature de la personne humaine, ouvrant ainsi la voie à la proclamation de soi-disant “nouveaux droits”, mais sans obligations concomitantes ». Il dénonce « de nouvelles formes de colonisation idéologique » qui ne reconnaissent pas « notre nature commune, fondement sur lequel reposent tous les droits » et conduisent à une « violation des droits humains fondamentaux ».

Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Gallagher.

HG

Intervention de Mgr Paul Richard Gallagher

Monsieur le Président,

Permettez-moi tout d’abord de vous adresser, Monsieur le Président, ainsi qu’à toutes les délégations des États membres et des États observateurs participant à cette quarantième session du Conseil des droits de l’homme, les salutations cordiales de Sa Sainteté, le pape François.

Le concept de la centralité de la personne humaine a émergé à travers l’histoire et la conscience des peuples du monde qui constituent le fondement du corpus d’instruments des droits de l’homme que la communauté internationale a élaboré au cours du siècle dernier. La Déclaration universelle des droits de l’homme, « véritable jalon sur la voie du progrès moral de l’humanité », (1) reconnaît et affirme que les droits humains fondamentaux découlent de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine et qu’ils s’appliquent donc à chaque étape de la vie et dans chaque situation. Les droits de l’homme sont donc devant nous en tant que substrat éthique des relations internationales. (2) Le Saint-Siège cherche, en tant qu’objectif important de son action sur la scène internationale, à promouvoir l’universalité et l’indivisibilité de ces droits, qui sont un élément essentiel de la construction de sociétés pacifiques et du développement intégral des individus, des peuples et des nations.

Dans son dernier discours au Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, le pape François a rappelé l’importance capitale d’une « discussion sereine et constructive entre les États », caractérisée par « la bonne volonté et la bonne foi », par « la volonté de traiter les uns avec les autres de manière juste et honnête » et par « l’ouverture à accepter les compromis inévitables résultant des différends ». En cette année du centenaire de la création de la Société des Nations, il a réaffirmé le rôle décisif de la diplomatie multilatérale dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et interconnecté, où la sécurité et le développement, les méthodes de guerre, les migrations et les mouvements de réfugiés, les changements climatiques et le commerce, ainsi que la promotion ou la violation des droits de l’homme ne doivent pas être considérés, et encore moins abordés, isolément.

La nécessité pour les pays de se réunir et de chercher des solutions à des problèmes communs est plus évidente que jamais. Genève est certainement le lieu où, au siècle dernier, ce principe de réponse aux défis mondiaux a trouvé une perspective stable et organisée. Nous célébrons les 100 ans des premiers pas d’une nouvelle vision des relations multilatérales stables.

Il est donc tout à fait approprié qu’ici, à Genève, ville par excellence de la diplomatie multilatérale, qui accueille de nombreuses organisations internationales, les représentants des États se réunissent dans cet important organe pour aborder l’un des trois piliers des Nations Unies : la protection et la promotion des droits humains.

Monsieur le Président,

Conformément aux principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, les Pactes de 1966 ont reconnu « que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine » (…) et sont donc universels, inviolables et inaliénables. (3) De même, l’Acte final de la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe a déclaré que « les droits et libertés civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et autres découlent tous de la dignité inhérente à la personne humaine et sont essentiels à son libre et plein développement ». (4) Il y a trente ans, la Convention relative aux droits de l’enfant, aujourd’hui ratifiée par 196 Etats, allait encore plus loin en affirmant que « la reconnaissance de la dignité inhérente et des droits égaux et inaliénables de tous les membres de la famille humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » et constitue la raison de répondre aux besoins qu’on les enfants d’ « une protection spéciale, notamment juridique appropriée avant comme après la naissance ». (5) Ces formulations indiquent le lien profond entre la dignité, l’épanouissement et les droits et libertés de la personne humaine.

Réaffirmer que « tous les êtres humains naissent égaux en dignité » (6) implique nécessairement que les droits de l’homme trouvent leur fondement dans ce que chaque être humain partage également et en permanence. La dignité de la nature humaine représente donc ce qui est commun à toute l’humanité, à laquelle chaque individu participe. C’est pourquoi un cadre international des droits de l’homme, cohérent et profondément enraciné dans la nature humaine, est la condition indispensable pour promouvoir une paix durable et l’outil le plus efficace pour promouvoir le développement humain intégral.

Malheureusement, dans certains forums internationaux, il semble y avoir une fragmentation systématique et progressive de la nature de la personne humaine, ouvrant ainsi la voie à la proclamation de soi-disant « nouveaux droits », mais sans obligations concomitantes : L’interprétation de certains droits a progressivement changé, avec l’inclusion d’un certain nombre de « nouveaux droits » qui sont souvent en conflit les uns avec les autres. (7)

La non-reconnaissance de notre nature commune, fondement sur lequel reposent tous les droits, se traduit en fin de compte par la violation des droits humains fondamentaux et le déclin inquiétant de l’humanité. Les droits fondamentaux de la personne humaine ne peuvent trouver leur indivisibilité et leur universalité dans des phrases obliques, des concepts artificiels ou des idéologies ambiguës, qui prennent tant de fois en otage le débat dans les enceintes internationales et suscitent « de nouvelles formes de colonisation idéologique, souvent sans tenir compte de l’identité, de la dignité et de la sensibilité des peuples » (8). Retirer aux droits de l’homme leur lien avec la nature humaine et sa dignité conduira à un exercice relativiste, où le sens, l’application et l’interprétation de chaque droit divergeraient en contradictions inévitables.

Monsieur le Président,

A l’occasion du 30e anniversaire de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Saint-Siège tient à renouveler son souci constant du bien-être des enfants. La Convention, en tant qu’instrument approprié et louable, vise à protéger les droits et les intérêts des enfants, qui sont ce trésor précieux donné à chaque génération comme un défi à sa sagesse et à son humanité. Le Saint-Siège s’est engagé non seulement à assurer la sécurité et la protection de l’intégrité des enfants et des adultes vulnérables, mais aussi à créer un environnement de confiance pour eux dans ses propres institutions, afin de poursuivre son action dans la lutte contre ce fléau atroce qu’est la violence contre les enfants.

Monsieur le Président,

Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une augmentation significative des violations du droit à la liberté de religion et de conviction. (9) Malgré l’existence d’un cadre juridique international solide, les récents rapports sur les abus à l’égard de ce droit humain fondamental sont très préoccupants. La protection et les limites sont les deux éléments clés qui entourent tout débat sur la liberté religieuse en tant que droit fondamental en raison de son lien direct avec la personne humaine. En fait, elle joue également un rôle stratégique en évaluant et en assurant l’attention et les garanties accordées par les pouvoirs publics. « La raison reconnaît que la liberté religieuse est un droit fondamental de l’homme, reflet de sa plus haute dignité », (10) de sa capacité à rechercher la vérité et à s’y conformer, y compris la possibilité de changer de religion, est indispensable à la réalisation de ses propres potentialités. Par conséquent, le respect de la liberté religieuse, proclamé à l’article 18 de la Déclaration universelle et consacré dans diverses constitutions et lois, favorisera le développement de relations pacifiques entre citoyens de confessions différentes et facilitera une saine collaboration entre l’Etat et la société politique.

Ce droit fondamental ne doit pas se limiter à la sphère privée, mais doit aussi être reconnu « lorsque [les croyants] agissent en communauté », les limites ne pouvant être fixées que dans la mesure où « les justes exigences de l’ordre public sont respectées » (11). Cela implique l’obligation positive de respecter le droit des communautés religieuses, entre autres, à prier ensemble, à s’organiser en choisissant leurs propres chefs religieux et à pouvoir diffuser leurs messages à travers toutes sortes de médias modernes et traditionnels ; cela signifie aussi la possibilité pour les croyants de contribuer – selon leurs opinions religieuses – au dialogue social, politique et culturel et à l’ordre international. La liberté et les activités religieuses ne devraient pas être compromises par l’exigence d’autorisations spéciales. En même temps, les chefs religieux devraient veiller à ce que ces activités et rassemblements respectent les limites habituellement prescrites par le droit international des droits de l’homme, résumées en termes de sécurité publique, d’ordre, de santé, de morale ou de droits et libertés fondamentaux d’autrui. (12)

Des exemples récents d’appels de plus en plus nombreux à restreindre le droit à l’objection de conscience montrent à quel point certains hommes politiques et même certains groupes d’agences internationales, oubliant leur nature et agissant sans mandat, sont encore mal à l’aise avec le droit à la liberté de religion et de conviction.

Étant donné que nous en sommes au stade de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable, le Saint-Siège maintient que les questions liées à la liberté religieuse en soi et à la liberté de conscience ainsi qu’au dialogue interreligieux et intra-religieux doivent être prioritaires pour le succès final de l’Agenda 2030. Si nous voulons réussir à mettre en œuvre les engagements solennels pris il y a quatre ans et passer de la décision à l’action, nous devons aller « au-delà du langage économique et statistique » (13) et prendre en considération les dimensions morales, spirituelles et religieuses qui « ne peuvent être ignorées sans nuire gravement à la personne humaine et à son plein développement ». (14) Comme le souligne le document conjoint historique signé, il y a quelques semaines, à Abou Dhabi, entre le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed El-Tayeb : « Le dialogue, la compréhension et la promotion généralisée d’une culture de tolérance, d’acceptation de l’autre et de cohabitation pacifique contribueraient sensiblement à réduire de nombreux problèmes économiques, sociaux, politiques et environnementaux qui pèsent si lourdement sur une grande partie de l’humanité ». (15)

En conclusion, Monsieur le Président,

Le Saint-Siège considère ce Conseil comme un lieu critique pour un dialogue indispensable et urgent, où les représentants des États sont appelés à converger et à coopérer, dans un esprit de respect de la culture de chaque peuple et de chaque nation, non seulement pour énumérer, mais pour forger et renforcer la protection de ces droits positifs fondés sur la dignité de la personne humaine, sur la structure de son existence, sur les éléments naturels et traditionnels de sa dynamique sociale, en partant de la famille et en passant par les différents organes intermédiaires de la société, jusqu’à la communauté internationale dans son ensemble.

Merci, Monsieur le Président.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

  1. Pape Jean-Paul II. Message pour la journée mondiale de la paix, 1er janvier 1999,http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/en/messages/peace/documents/hf_jp-ii_mes_14121998_xxxii-world-day-for-peace.html.
  2. Ibid.
  3. Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux signés le 16 décembre 1966.
  4. Acte final de la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, 1er août 1975, Principe VII ; disponible sur :https://www.osce.org/helsinki-final-act?download=true[consultéle 5 février 2019]. La Conférence d’Helsinki sera à l’origine de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
  5. Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989), Préambule, disponible surhttps://www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/crc.aspx[consulté le 5 février 2019].
  6. Déclaration universelle des droits de l’homme, Résolution 217 A de l’Assemblée générale, 10 décembre 1948, article 1, disponible à l’adressehttps://www.ohchr.org/EN/UDHR/Documents/UDHR_Translations/fra.pdf[consulté le 5 février 2019].
  7. Pape François, Discours au Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège pour la nouvelle année, 8 janvier 2018.
  8. Pape François, Discours au Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège pour la nouvelle année, 7 janvier 2019.
  9. L’Église en détresse, Religious Freedom Report 2018, novembre 2018. Disponible à l’adresse :https://religious-freedom-report.org/[consulté le 7 février 2019].
  10. Pape François. « Discours aux participants à la Conférence internationale sur « la liberté religieuse et le choc mondial des valeurs », 20 juin 2014.
  11. CONCILE VATICAN II, Déclaration Dignitatis Humanae, 4.
  12. Voir les dispositions de l’art. 18.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
  13. Note du Saint-Siège, Transformer notre monde : l’Agenda 2030 pour le développement durable », document final du Sommet des Nations Unies pour l’adoption du programme de développement post-2015, qui s’est tenu du 25 au 27 septembre 2015 à New York.
  14. Id.
  15. Sa Sainteté le pape François et le grand imam d’Al-Azhar Ahmed El-Tayeb : Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, Abou Dhabi, 4 février 2019.
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Hélène Ginabat

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