Chemin de Croix : 14 témoignages bouleversants d’une prison italienne

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« Sur mes blessures l’huile du pardon et de la consolation »

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Le pape François a présidé le Chemin de croix du Vendredi Saint, ce 10 avril 2020, à 21h, place Saint-Pierre, en présence des représentants de l’aumônerie de la prison « Due Palazzi » de Padoue, qui avaient préparé les méditations, et non au Colisée devant des dizaines de milliers de personnes. Une célébration diffusée en Eurovision.

Le pape, selon la tradition, a porté la croix lors de la 14e méditation, avant de donner la bénédiction finale, mais, contrairement aux autres années, il n’a pas prononcé d’allocution, en accord avec le style dépouillé de ce Triduum pascal 2020, en temps de confinement mondial.

Le pape s’est ensuite retiré à pied dans la basilique papale, accompagné du maître des cérémonies liturgiques pontificale, Mgr Guido Marina, à sa gauche, sous le grand auvent de la place Saint-Pierre, pendant tout le Chemin de croix.

Les quatorze personnes ayant rédigé les méditations sont « cinq personnes détenues, une famille victime d’un crime d’homicide, la fille d’un homme condamné à la réclusion à perpétuité, une éducatrice de la prison, un magistrat de surveillance, la mère d’une personne détenue, une catéchiste, un frère volontaire, un agent de Police pénitentiaire ainsi qu’un prêtre accusé et ensuite absous définitivement par la justice après huit années de procès ordinaire ».

Les textes recueillis par l’aumônier – et intervieweur du pape sur Tv2000 -, le p. Marco Pozza, qui participait à la procession, place Saint-Pierre, et par la bénévole Tatiana Mario: « Ils ont été écrits à la première personne, mais on a fait le choix de ne pas mettre le nom : Celui qui a participé à cette méditation a voulu prêter sa voix à tous ceux qui, dans le monde, partagent la même condition. Ce soir, dans le silence des prisons, la voix d’un seul veut devenir la voix de tous. »

Le magistrat déclare: « En tant que magistrat de surveillance, je ne peux pas clouer une personne, n’importe quelle personne, à sa condamnation : cela voudrait dire, le condamner une seconde fois. »

Un prêtre accusé faussement dont le procès à duré 8 ans dit son calvaire: « Je suis resté suspendu en croix durant 10 ans: ça a été mon chemin de croix fait de dossiers de suspicions d’accusations d’insultes. Chaque fois dans les tribunaux, je cherchais le crucifix accroché : je le fixais pendant que la loi enquêtait sur mon histoire. »

Une responsable de la police pénitentiaire avoue: « Dans ma mission d’agent de Police Pénitentiaire je touche chaque jour du doigt la souffrance de celui qui vit en réclusion. Ce n’est pas facile de se confronter avec celui qui a été vaincu par le mal et a causé d’énormes blessures à d’autres hommes, compliquant leur existence. »

Un détenu dit son espérance: « C’est vrai que j’ai été brisé en mille morceaux, mais la chose belle est que ces morceaux peuvent encore être être recomposés. Ce n’est pas facile : c’est l’unique chose, cependant, qui ici a encore un sens. »

Un autre sa confiance: « J’avais conduit ma famille dans le ravin: ils ont perdu à cause de moi leur nom l’honorabilité ils sont devenus seulement la famille de l’assassin. Je ne cherche ni excuses ni remises j’expierai ma peine jusqu’au dernier jour :en prison j’ai trouvé des gens qui m’ont redonné confiance. »

Une maman sa prière pour son fils: « Pas même un instant j’ai ressenti la tentation d’abandonner mon fils face à sa condamnation. Le jour de l’arrestation, toute notre vie a changé : toute la famille est entrée en prison avec lui.

La fille d’un détenu exprime sa prière: « Prions pour tous ceux qui sont obligés de supporter le poids de la honte, la souffrance de l’abandon, le vide d’une présence. Et pour chacun d’entre nous, afin que les fautes des pères ne retombent pas sur les enfants. »

Une éducatrice dit sa motivation: « J’ai choisi ce travail après que ma mère a été tuée dans une collision par un jeune sous l’emprise de stupéfiants : j’ai décidé de répondre immédiatement à ce mal par le bien. Mais tout en aimant ce travail, j’ai parfois du mal à trouver la force de le poursuivre. »

Un bénévole exprime sa vocation: « Les personnes détenues sont, depuis toujours, mes maîtres. Depuis soixante-ans, je rentre dans les prisons en tant que frère volontaire et j’ai toujours béni le jour où, pour la première fois, j’ai rencontré ce monde caché (…). En passant d’une cellule à l’autre, je vois la mort qui y habite. La prison continue d’enterrer des hommes vivants : ce sont des histoires dont personne ne veut plus. Le Christ me répète chaque fois : « Continue, ne t’arrête pas. Prends-les encore dans les bras ». »

Un détenu prie: « Seigneur Jésus, tu es à terre une autre fois : alourdi par mon attachement au mal, par ma peur de ne pas arriver à être une personne meilleure. Avec foi nous nous adressons à ton Père et nous le prions pour tous ceux qui n’ont pas encore su échapper au pouvoir de Satan, à toute la fascination de ses œuvres et à ses mille formes de séduction. »

Un catéchiste parle des larmes en prison: « Comme catéchiste, j’essuie beaucoup de larmes, en les laissant couler : on ne peut limiter le trop-plein des cœurs déchirés. Tant de fois je rencontre des hommes désespérés qui, dans l’obscurité de la prison, cherchent un pourquoi à leur mal qui leur semble infini. Ces larmes ont le goût de la défaite et de la solitude, du remords et du manque de compréhension. J’imagine souvent Jésus en prison à ma place : comment essuierait-il ces larmes ? Comment apaiserait-il l’angoisse de ces hommes qui ne trouvent pas d’issue à ce qu’ils sont devenus en cédant au mal ? »

Des parents dont une fille a été tuée se tournent vers le Christ et vers les autres pour dépasser la douleur: « Difficile à dire, mais au moment où le désespoir semble prendre le dessus, le Seigneur, de différentes manières, vient à notre rencontre en nous donnant la grâce de nous aimer comme époux, en nous soutenant l’un l’autre, même péniblement. Il nous invite à garder ouverte la porte de notre maison au plus faible, au désespéré, en accueillant celui qui frappe même seulement pour un bol de soupe. »

Un condamné à perpétuité fait l’expérience de la présence du Christ: « Je ressens, dans mon cœur, que cet Homme innocent, condamné comme moi, est venu me chercher en prison pour m’éduquer à la vie. »

La procession de la croix, accompagnée de 12 personnes, pendant les différentes « stations » où l’on médite les étapes de la Passion du Christ, a suivi un itinéraire lumineux autour de l’obélisque de la Place Saint-Pierre, dans le sens contraire aux aiguilles d’une montre, puis vers l’auvent central au pied duquel avait été dressé le grand crucifix de San Marcello auprès duquel le pape était allé prier le 15 mars, et qui a présidé la célébration du 27 mars, sous la pluie, ainsi que la célébration de la Passion, ce vendredi en la basilique Saint-Pierre. Jean-Paul II l’avait fait venir à Saint-Pierre pour la grande célébration de repentance du 12 mars 2000.

Ce même crucifix avait été porté en procession par les Romains en 1522 et invoqué contre la grande peste qui, effectivement, prit fin: depuis, le Crucifix de l’église San Marcello al Corso est réputé miraculeux.

Les méditations ont été précédées par cette prière lue par une narratrice:

« Ô Dieu, Père tout-puissant,
qui en Jésus Christ, ton Fils,
a assumé les plaies et les souffrances de l’humanité,
aujourd’hui j’ai le courage de te supplier, comme le larron repenti : « Souviens-toi de moi ! »
Je suis ici, seul devant toi, dans l’obscurité de cette prison,
pauvre, nu, affamé et méprisé,
et je te demande de verser sur mes blessures
l’huile du pardon et de la consolation,
et le vin d’une fraternité qui renforce le cœur.
Soigne-moi par ta grâce et enseigne-moi à espérer dans la détresse.
Mon Seigneur et mon Dieu, je crois, aide-moi dans mon incrédulité.
Continue, Père miséricordieux, à me faire confiance,
à toujours me donner une nouvelle opportunité,
à m’embrasser dans ton amour infini.
Avec ton aide et le don de l’Esprit Saint,
moi aussi je serai capable de te reconnaître
et de te servir dans mes frères.
Amen. »

Le texte des quatorze témoignages se trouvent ici, avec les 14 prières finales:

I une personne détenue condamnée à perpétuité
II deux parents dont une fille a été tuée
III une personne détenue
IV la maman d’une personne détenue
V une personne détenue
VI une catéchiste de la paroisse
VII une personne détenue
VIII la fille d’un condamné à la réclusion à perpétuité
IX un détenu
X une éducatrice de la prison
XI un prêtre accusé, puis absout
XII un magistrat de surveillance
XIII un frère volontaire
XIV un agent de la Police Pénitentiaire

 

 

 

 

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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