Résurrection, Fra Angelico © Museo San Marco, Florence

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Ce que Pâques nous dit sur l’amour, par Mgr Bruno Forte

L’amour, un exode de soi sans retour, un don de soi, inséparable de l’accueil de l’autre

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«Ce que la Pâque nous dit sur l’amour» : sous ce titre, le quotidien italien « Il Sole 24 Ore » du dimanche 25 mars 2018, a publié une réflexion de Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto, que nous publions en français avec l’aimable autorisation de l’auteur. Voici notre traduction intégrale de la réflexion du théologien italien.
A l’école de la croix et de la résurrection de Jésus Le don se fait accueil
Ce que la Pâque nous dit sur l’amour
Dans l’évangile selon Jean la section appelée « le Discours d’adieu » (13,1-17,26) se trouve entre « le livre des signes » (1,19-12,50), où Jésus se manifeste au monde en paroles et événements d’une grande valeur symbolique, et « le livre de la Gloire » (18,1-20,31), où sont relatés les jours de sa passion, mort et résurrection. Le « Discours d’adieu » s’ouvre par un verset qui renferme le sens profond de ce que sera son cheminement pascal : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout (Jn 13,1). En grec l’expression originale « jusqu’au bout » est « eis télos », qui pourrait se traduire « jusqu’au degré suprême », « jusqu’au dernier accomplissement » de l’amour. C’est comme si l’évangéliste annonçait que ce qu’il s’apprête à raconter est le récit qui révélera au monde, de la plus haute des façons, ce qu’est l’amour. L’histoire pascale du Fils venu parmi nous se présente donc comme une grande école pour apprendre à aimer, et justement comme un récit qui nous concerne tous, parce que c’est « l’amour qui fait exister » (Maurice Blondel). Eugenio Montale a su exprimer cette portée universelle de l’amour dans les versets poignants en souvenir de son Epouse morte : « J’ai descendu, en te donnant le bras, / plus d’un million d’escaliers / et maintenant que tu n’es plus là c’est le vide à chaque marche. / Même ainsi notre long voyage a été court. / Le mien dure encore, et je n’ai plus besoin / des correspondances, des réservations, / des embûches, des déboires de qui croit / que la réalité est celle qu’on voit / J’ai descendu, en te donnant le bras / et non parce que quatre yeux y voient sans doute mieux. / C’est avec toi que je les ai descendus, sachant que, de nous deux / les seules vraies pupilles, malgré leur épais voile, c’étaient les tiennes ».
Ce que la Pâque de Jésus nous dit sur l’amour c’est qu’il est un exode de soi sans retour, un don de soi, inséparable de l’accueil de l’autre : « Que tous soient un comme toi Père tu es en moi et moi en toi » (Jn 17,21). Dans la vie de l’amour on donne donc une provenance, une venue et un avenir : la provenance c’est la gratuité, sortir de soi dans la générosité du don, vécu pour la seule joie d’aimer ; la venue c’est l’accueil de la provenance de l’autre, la gratitude de se laisser aimer ; l’avenir c’est la conversion de part et d’autre, le don qui se fait accueil et l’accueil qui devient don, c’est être libre de soi pour être un avec l’autre et c’est être en communion pour vivre une nouvelle liberté ensemble envers les autres. Seuls ceux qui parcourent la voie exigeante de la gratuité, de la gratitude et de la communion libre et libératrice, grandit au plus profond de son humanité et s’ouvre au sens ultime de l’existence. Sous cet angle on comprend bien pourquoi « au soir de la vie nous serons jugés sur l’amour » (S. Jean de la Croix) : gérer sa vie dans la solitude d’un esprit repu de soi signifie ne pas vivre. Qui pense ne pas avoir besoin des autres, restera dans le gel d’une existence sans amour : qui s’ouvre aux autres et sait se faire mendiant et source d’amour, fait grandir en lui la vie et autour de lui la communion pour tous. Comme nous enseigne le Fils en se laissant totalement aimer et « livrer » par le Père, recevoir relève lui aussi du divin : la gratitude humble et accueillante est essentielle à l’amour !
Ce rapport entre donner et accueillir doit, enfin, rester toujours ouvert, si l’on veut que la relation entre les deux ou les rapports avec les autres construisent la vérité des personnes : là où l’on s’enferme dans la sécurité de quelques uns, là où l’amour ne libère pas d’énergies cachées et ne suscite pas toujours de nouveaux exodes et événements d’amour, là l’amour étouffe et meurt. Cela dit déjà combien il peut être très fatiguant d’aimer : certes, si l’on regarde le monde des rapports humains, l’évidence de l’échec de l’amour pourrait même paraître inquiétant. Fait pour aimer, on dirait que l’homme tant de fois n’est pas capable d’aimer ! Possessivité, ingratitude et captivité montrent le triste visage du non amour. La possession paralyse l’amour, parce qu’elle empêche le don : elle refuse l’exode de soi sans retour, et reste donc esclave de la mort. L’ingratitude est l’opposé de l’accueil : là où il n’y en a pas, le don est perdu. La captivité, enfin, est l’opposé de la communion libératrice : en elle l’avenir est absent, parce que le présent de celui qui aime est fermé et devient possession au pluriel, jalousie réciproque, peur de perdre l’instant atteint. Possessivité, ingratitude et captivité sont une maladie dans l’histoire de l’amour, car elles vident justement ce qui fait le miracle de l’amour, l’unité de vie et de mort en faveur de la vie. La question radicale devient alors : qui nous rendra capables d’aimer ? Khalil Gibran, l’auteur de « Le prophète », a trouvé la réponse : « Quand vous aimez, vous ne devriez pas dire » Dieu est dans mon cœur », mais plutôt « Je suis dans le cœur de Dieu ». On devient capable d’aimer quand on se découvre aimé les premiers, enveloppé et conduit par un amour plus grand pour un futur que seul l’amour pourra construire en nous et entre nous. Pour la foi des chrétiens faire cette découverte est croire et confesser – dans la vérité des gestes de l’amour reçu et donné – le Dieu qui est Amour. A l’école de la croix et résurrection de Jésus la foi scrute, dans les profondeurs du mystère, l’éternelle source de vie de l’Amour dans la figure du Père, le pur accueil dans celui du Fils, l’éternelle unité de l’Amour dans l’Esprit, qui unit l’Un et l’Autre dans les liens de l’Amour éternel et les ouvre en même temps au don de soi, au généreux exode de la création et du salut. Augustin écrit: « En vérité, vous voyez la Trinité, si vous voyez l’amour » (De Trinitate, 8, 8, 12). « Ils sont trois : l’Amant, l’Aimé et l’Amour » (ib., 8, 10, 14). L’annonce de Pâques n’est rien d’autre que cette bonne nouvelle : là où l’existence s’ouvre à l’avènement divin offert dans le Fils, la gratuité devient possible grâce à la charité du Père, la gratitude fleurit dans la foi et la communion qui libère et unit se réalise en marchant dans l’espérance, empreinte de l’esprit qui serre dans ses bras les temps dans l’éternité de l’amour et les ouvre pour toujours à la nouveauté de Dieu. Alors peut se réaliser le commandement « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12). Atteint pas l’amour éternel, l’homme peut bâtir des histoires d’amour qui sont une anticipation de l’éternité. Ainsi la foi des chrétiens ne cesse pas d’éclairer et réconforter cette fatigue à aimer en racontant  les jours où, dans la croix et la résurrection du Fils, le ciel et la terre se sont rencontrés, pour que l’exode et l’avènement puissent toujours se rencontrer sur de nouveaux sentiers d’amour, dans le temps et pour l’éternité. C’est là que se trouve le message de Pâques, auquel nous conduit la semaine qui commence : combien seront prêts à l’accueillir et à en faire une raison de vie et d’espérance pour tous ?
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Bruno Forte

Arcivescovo di Chieti-Vasto

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