« Les relations bilatérales entre la France et le Saint-Siège »

Entretien avec M. Pierre Morel, ambassadeur de France près le Saint-Siège

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ROME, Vendredi 3 octobre 2003 (ZENIT.org) -Nous publions cet entretien exceptionnel accordé par l’Ambassadeur de France près le Saint-Siège, M. Pierre Morel, à Romilda Ferrauto, responsable du service d’Information en français de Radio Vatican, et diffusé sur les ondes de Radio Vatican. Nos vifs remerciements pour l’aimable autorisation à M. Morel et à Romilda Ferrauto, ainsi qu’a son équipe qui a aimablement assuré la transcription.

Romilda Ferrauto : « Les relations bilatérales entre la France et le Saint-Siège » c’est le but de cet entretien. J’ai choisi trois thèmes qui nous intéressent particulièrement. On va commencer par l’Irak : on a constaté pendant la crise irakienne une nette convergence entre la position française et la position du Saint-Siège. Mais cette crise est loin d’être terminée. On l’a vu encore à New York ces jours derniers. Est-ce qu’il y a eu et est-ce qu’il y a encore des contacts entre la France et le Saint-Siège et éventuellement des initiatives communes ?

Pierre Morel : Il y a beaucoup de contacts qui ont même été exceptionnellement soutenus, fréquents, de façon informelle parce que, effectivement, nous avions les mêmes réactions fondamentales devant une crise très grave et le risque d’une remise en cause des règles du jeu international selon laquelle l’usage de la force passe par les Nations Unies. Ceci a été affirmé avec une vigueur exceptionnelle par le Saint-Père, et de la façon également la plus claire par la France. Evidemment chacun peut avoir son point de vue et sa propre expérience mais pour nous la double préoccupation d’empêcher toute mise en place d’une conception des relations internationales fondée sur la notion de guerre préventive et le souci de prévenir toute forme d’affrontement entre religions, entre civilisations, a été un élément dominant.
Le souci de respecter les procédures qui étaient prévues par la Charte des Nations Unies, reconnues par le Conseil de sécurité lui-même, était notre ligne de conduite. Le contexte est aujourd’hui ce qu’il est. Cette convergence très forte a été soulignée par des échanges, y compris les rencontres personnelles : je pense à la visite de notre ministre, M. de Villepin, juste à la fin du conflit, lorsqu’il a été reçu par le Pape, au début du mois d’avril. Depuis, nous avons continué à nous consulter pour essayer de redonner la plus grande responsabilité possible aux Nations Unies, parce que cela nous paraît être la seule issue possible. C’est ce que notre Président de la République vient de redire à l’occasion de l’ouverture de l’assemblée générale aux Nations Unies.

R. F. : On a vu que Jacques Chirac a quitté New York sans avoir pu obtenir de réel rapprochement, en tous les cas en ce qui concerne le dossier irakien, avec les Etats Unis. Est-ce que ce « froid » est inquiétant ou non ?

P. M. : Non, nous savons à quoi nous en tenir. Les choses ont été très claires depuis six mois et on ne peut donc parler de « froid ». Au contraire, on a vu qu’on était capable de gérer nos différences et que de vrais alliés sont des alliés libres et qui disent ce qu’ils pensent ; et quand il y a divergences sur un point on s’exprime avec un souci qui est d’aider à la recherche d’une solution. Le Président de la République vient de souligner dans une interview : « Nous souhaitons que les Etats Unis réussissent en Irak car c’est la population qui paie, qui subit toutes ses conséquences ». A la fin des fins, tout ceci est fait pour les Irakiens. Et donc, comment arriver au mieux à une solution acceptable, raisonnable et durable ? Nous continuons de penser que c’est par les Nations Unies. Là effectivement il y a des divergences. Nous en débattons en très vieux et même plus vieux alliés des Etats Unis, depuis plus de deux siècles. On peut les considérer très calmement, et la longue rencontre entre le président Chirac et le président Bush a confirmé que c’est dans cet esprit d’ouverture et de discussion, avec la recherche du meilleur résultat possible, que nous abordons cette question avec les Etats Unis.

R. F. : Autre dossier dominant de l’actualité internationale en ce moment, c’est bien sûr l’Europe avec l’élargissement en vue et toute une série de tiraillements auxquels nous avons assisté ces derniers mois . Il y a un point sur lequel je voulais recueillir votre sentiment : nous avons bien vu au cours de ces dernières semaines et surtout cet été, avec quelle insistance Jean Paul II lui-même et ses collaborateurs et une bonne partie de l’Eglise demandaient la reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe. Pouvez-vous rappeler la position de la France à ce sujet et nous donner votre sentiment, Monsieur l’Ambassadeur ?

P. M. : Je crois qu’il faut d’abord rappeler qu’il y a eu un débat qui a été large dans le cadre nouveau et finalement très approprié de la Convention européenne où cette question a été longuement abordée avec la recherche d’un consensus puisque ça a été la règle de conduite de la Convention européenne tout au long de ses travaux pendant un an et demi. M. Giscard d’Estaing qui était certes français, mais d’abord président, et donc très attaché à la recherche d’un consensus et d’une formule acceptable pour tous les participants, a fait une proposition. Cette proposition a donné lieu à un large débat et finalement on est arrivé à cette synthèse dans le préambule qui parle d’héritages culturels, religieux et humanistes, qui a été perçu comme le point de rencontre des différentes perceptions.
Mais je crois que ça ne serait pas une vue complète si on ne se référait pas à l’élément très important qui se trouve dans le projet de constitution lui-même qui est l’article 51 sur le dialogue institutionnel reconnu, confirmé, entre les autorités publiques et les Eglises ainsi que la consolidation du régime des cultes défini dans chaque pays. La France a rejoint le consensus sans chercher à mener la moindre polémique. Au contraire. Alors que nous avons chacun nos traditions nationales. Il y a eu des démarches ambitieuses sur cette question des sources chrétiennes. Jusqu’à maintenant, nous avons adopté comme critère la recherche d’un consensus, et on a pu constater jusqu’à maintenant que sur ce point il n’y a pas eu de consensus pour une référence précise aux sources chrétiennes.
Le débat n’est pas terminé. Nous allons continuer. Les pouvoirs publics, les responsables français, le Président de la République, s’exprimeront le moment venu, mais évidemment, je constate que jusqu’à maintenant ils ont rappelé que nous avions une tradition spécifique dans ce domaine qui était celle de la laïcité, c’est-à-dire de la séparation, en France, entre le politique et le religieux, séparation souple, et, dirai-je, conception ouverte de la laïcité. Alors évidemment, il y a plusieurs points de vue possibles. L’évidence historique est là. La mise en forme dans un texte constitutionnel est une chose délicate. Les travaux de la conférence intergouvernementale commencent le 4 octobre. Je ne préjuge rien pour le moment.

R. F. : On va parler justement de la laïcité, puisque vous y avez fait illusion vous-même. De nombreuses questions se posent actuellement sur la place des religions, notamment dans la société française. Il y a tout le débat sur le port du voile, l’enseignement des religions à l’école qui avait été préconisé par Régis Debré. Il y a une commission de la laïcité en ce moment. Alors que peut-on prévoir comme évolution ?

P. M. : J’ai envie de dire qu’actuellement en France on réfléchit beaucoup sur ces questions et on réfléchit de façon très ouverte. Vous avez vous même évoqué l’enseignement du fait religieux à l’école. C’est le résultat d’un rapport bien fait,
très intéressant, intégrant beaucoup de réflexions venant de tous les secteurs de la société. Il dit que « la méconnaissance de la réalité et du fait religieux en France et dans le monde contemporain est préoccupant et il faut y remédier ».
Des propositions ont été faites pour que ces sujets, jusqu’à maintenant ‘contournés’ dans l’enseignement public, soient abordés d’une façon acceptable pour tous et utile pour tous. Cette convergence s’est concrétisée, et ça n’est plus maintenant un rapport, c’est un programme qui se met en place de façon très concrète et opérationnelle, avec des cycles de formation pour que les professeurs soient capables de faire une présentation objective mais qui, surtout, vise à développer une culture religieuse, une connaissance du fait religieux qui était devenue insuffisante. Donc, c’est vous dire que ceci s’est passé sans polémiques et de façon très ouverte.
Voilà un premier constat. L’autre vous le connaissez, à propos de la laïcité, c’est que tout en ayant une longue pratique de laïcité en France, il y avait un dialogue qui n’était pas suffisamment organisé entre l’Eglise et les pouvoirs publics. Depuis un an et demi, le Premier ministre rencontre au moins une fois par an les plus hauts responsables de l’Eglise en France. Et du même coup, on aborde tous les sujets, certains consensuels, clairs, ou que l’on clarifie facilement, d’autres qui demandent un travail de préparation. Ceci est fait par les collaborateurs du premier ministre, avec les responsables de l’Eglise. On avance et on est déjà arrivé sur plusieurs points sensibles, à de vrais résultats. Les choses avancent bien, de façon intéressante, ce qui traduit une prise de conscience.
Vous évoquiez également la commission sur la laïcité, vous évoquiez la question du voile : il y a un certain regain de la réflexion en France sur la laïcité à propos de l’augmentation de la population originaire d’Afrique du Nord et d’Afrique tout court, et donc de tradition, voire de religion musulmane. On a facilement abordé les choses de façon un peu passionnelle, mais je crois que, petit à petit, les choses se décantent. Il y a de la part des pouvoirs publics le souci d’avoir là aussi un dialogue avec une composante nouvelle, mais clairement minoritaire. Le ministère de l’Intérieur a mis en place un système de dialogue comme avec les autres religions en France : c’est le Conseil français du Culte Musulman. Il y a aussi les comportements dans la vie quotidienne et les attitudes à adopter ; et, effectivement, la question du voile qui est un signe d’appartenance religieuse très manifeste est perçue comme n’étant pas conforme à la tradition des écoles en France. Et donc il y a des débats avec les proviseurs : Faut-il une loi ? Faut-il simplement traiter cela sur le plan local ? C’est un sujet de discussion. Et plutôt que de trancher de façon catégorique à priori, le choix du Président de la République a été de mettre en place une commission dirigée par M. Stasi qui est le Médiateur de la République, ancien ministre, personnalité reconnue comme étant un sage dans nos débats institutionnels et politiques. Et donc cette commission se réunit, organise des auditions et rendra une réflexion à l’usage du Président de la République.
J’ajoute qu’au-delà de cette commission, la réflexion sur la laïcité s’est développée ces derniers temps, parce que nous approchons de l’anniversaire de la fameuse loi de 1905, donc pour 2005, le centenaire de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce qui est intéressant dans cette commémoration ce n’est pas de revenir en arrière et de se retrouver en 1905. Un siècle a passé. C’est à dire la construction progressive, parfois difficile, mais finalement riche et intéressante d’un régime de séparation souple entre l’état et les religions qui permette à chacun, y compris à la religion de plus grand nombre de français, de se développer de la façon la plus normale, la plus naturelle, avec tout ce qu’il faut de coopération avec les pouvoirs publics. Et je crois que quand vous interrogez les Evêques de France (cela a été souvent fait ces derniers temps) leur message c’est : « surtout ne changeons rien ». On a beaucoup appris ensemble en un siècle. Maintenant on est arrivé à un système qui est ouvert et qui est vivant. « Ne modifions pas pour le plaisir de faire encore des retouches ici et là ». Alors qu’il y ait des aménagements à prévoir ici ou là, bien sûr ! C’est précisément pour cela que nous avons mis en place un dialogue institutionnel. Voilà ce que j’ai envie de dire sur un vaste sujet sur lequel, encore une fois, on peut souvent avoir une approche un peu stéréotypée. Je crois que la laïcité française est ouverte. Elle est équilibrée. Elle est vivante et elle est un outil de dialogue. Ce n’est pas une idéologie. C’est une règle de conduite, un système juridique qui garantit à tous le libre exercice du culte et de toutes les croyances de notre pays.

R. F. : Je crois que c’est Mgr Tauran qui a dit il y a quelques mois « la séparation entre l’Eglise et l’Etat c’est très bien, mais attention pas de séparation entre la religion et la société ».

P. M. : Oui, je me souviens très bien de la formule. Je crois qu’entre temps nous revenons à l’Europe. C’est l’une des raisons pour lesquelles je soulignais tout à l’heure l’article 51 du projet de constitution. C’est que précisément il reconnaît pleinement la dimension sociale dans la vie des églises aussi bien telle qu’elle est acquise et établie dans chaque pays, selon ses traditions, avec son histoire, qu’à l’échelle de l’Europe.
Qu’est ce qui se passe en Europe ? C’est que l’Europe est faite d’unité et de diversité. Ce projet de Constitution européenne – et encore une fois la discussion n’est pas terminée sur le texte, on y reviendra – retient les données essentielles qui nous rassemblent, en montrant bien que nos valeurs ont un fondement culturel, religieux et humaniste, et en soulignant que la place centrale de la personne est au cœur de l’identité européenne. Au sein de la Constitution, on a introduit la Charte des droits fondamentaux dont on peut rappeler les titres des grands chapitres : dignité, liberté, égalité, solidarité. Voilà des valeurs dont on sait bien d’où elles viennent. Et on reconnaît leur origine dans une tradition religieuse forte qui a marqué toute l’Europe. Dans le même temps, la diversité de l’Europe fait que chacun des pays a son propre héritage et ses propres caractéristiques.
Et au fond, la Constitution européenne dit : on se réunit sur l’essentiel, sur ces références fondamentales, et en même temps on reconnaît que chaque pays a construit à sa façon telle ou telle forme de concertation entre l’Etat et les religions. Mais pour répondre à cette préoccupation, à propos de laquelle vous citiez Mgr Tauran, je peux vous dire que la dimension sociale de la vie religieuse dans les pays européens, y compris en France, est pleinement intégrée et reconnue par cet article 51, qui a été immédiatement salué comme une très bonne solution.

© Radio Vatican

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ZENIT Staff

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