ROME, Lundi 13 septembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le communiqué distribué à la fin de la conférence de presse qui s’est tenue ce lundi à l’archevêché de Malines-Bruxelles et au cours de laquelle les évêques de Belgique ont annoncé la création d’un Centre pour les victimes d’abus sexuels.
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VERS UNE APPROCHE PLUS COORDONNEE
DE L’ABUS SEXUEL DANS UNE RELATION PASTORALE
Les derniers mois ont été très mouvementés pour la communauté ecclésiale et certainement aussi pour nous. Après la visite quinquennale « Ad limina » à Rome, nous avons exprimé dans une lettre pastorale, le 19 mai 2010, notre compassion envers les victimes d’abus sexuel et notre détermination à résoudre cette problématique de manière nouvelle. Une lettre est parue après la démission de notre collègue-évêque pour des faits très graves qui ne peuvent nous laisser indifférents. Depuis, nous recevons de nombreuses réactions souvent pleines d’émotion de personnes qui expriment leur mécontentement ou leur stupeur. Nous vous assurons que cette suite d’événements bouleversants nous touche douloureusement de même que tous ceux qui d’une manière ou d’une autre, sont actifs dans l’Eglise, comme permanents ou bénévoles. Un sentiment de colère et d’impuissance domine parmi les croyants notamment les prêtres et les agents pastoraux. Aucune issue n’est facile à trouver à une crise si complexe.
Lors de la publication de la lettre pastorale, la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans une relation pastorale, sous la direction du Professeur Peter Adriaenssens, était encore en pleine activité. Nous et bien d’autres, sommes persuadés que cette Commission a ouvert la voie d’une approche nouvelle et responsable du problème de l’abus dans une relation pastorale. Le premier souci de la Commission fut le bien-être des victimes et de leurs proches. Le fait que de nombreuses victimes ont trouvé le courage de se tourner vers cette Commission fut une confirmation de sa nécessité.
Suite à l’intervention inattendue d’un juge d’instruction, le 24 juin 2010, tous les dossiers ont été pris à la Commission. Le Président et les membres de la Commission n’ont alors vu d’autre alternative que de donner leur démission. Nous déplorons toujours cette intervention et ses conséquences. Tous en ont subi les dommages. Un temps précieux a été perdu. En outre, la saisie fait clairement apparaître la nécessité d’une concertation encore plus approfondie avec le Ministère de la Justice et le Ministère Public pour la poursuite du travail dans un cadre légal mieux garanti.
Vendredi dernier, le Professeur Adriaenssens a publié un certain nombre de récits de victimes. Ces récits et la souffrance qu’ils contiennent nous font frissonner. Ils nous confrontent à ce qui jamais n’aurait pu arriver. Ils méritent notre écoute la plus profonde et la plus grande attention pour le drame humain qui s’y est joué. Le berger de l’Evangile va à la recherche de la vie blessée et la prend sur ses propres épaules. Une attention personnelle pour la victime est la première chose que nous devons rétablir. Dans le sillage du rapport du Professeur Adriaenssens, nous voulons nous engager à une disponibilité maximale pour les victimes. Il nous faut écouter leurs questions pour rétablir leur dignité et les aider à guérir la souffrance qu’ils ont dû endurer.
Dans son rapport, le Professeur Adriaenssens a tiré diverses conclusions du travail de la Commission. Il émet de lourdes objections quant à l’approche passée du problème de l’abus, tant dans l’Eglise que dans la société et avance aussi des propositions pour améliorer cette approche. Des erreurs du passé, nous souhaitons tirer les leçons nécessaires. Dans les entretiens qui seront menés dès demain, nous tiendrons compte des réflexions et propositions du Professeur Adriaenssens. Toutefois, le défi est de telle taille et touche tant d’émotions, qu’il nous semble impossible de vous présenter dès aujourd’hui une proposition jusque dans ses moindres détails. Il est impossible de vouloir résoudre des expériences si traumatiques en un tour de main.
Quand les victimes d’un abus sexuel se font connaître, des besoins et espérances nombreuses affleurent en même temps. Chaque récit est bien sûr unique, mais globalement les questions touchent trois plans : le plan juridique, canonique et clinique. L’expérience des derniers mois a montré que ces trois domaines doivent être clairement discernés et requièrent chacun une approche plus spécifique. Avant la mise en route d’une nouvelle initiative, une étude et une concertation plus approfondies sont nécessaires, en collaboration avec toutes les parties concernées. Trop de ponts ont été endommagés, pour présenter dès aujourd’hui un suivi directement utilisable de la Commission Adriaenssens. Il faut s’occuper d’abord d’une nouvelle structure de collaboration entre les différents acteurs : entre Eglise et Justice, entre Justice et assistance en soins ; entre les victimes d’un côté, l’Eglise, la Justice et l’assistance en soins de l’autre côté. Nous voulons nous concerter avec tous dans les plus brefs délais, en vue d’une approche fondamentale et sociale du problème de l’abus. La mise en route d’une nouvelle initiative et le recrutement de nouveaux collaborateurs présupposent une base de confiance réciproque. Quels contours se dessinent-ils déjà aujourd’hui? A côté des réflexions critiques, des suggestions précieuses ont été entendues ces derniers jours. Je souhaiterais exposer cinq d’entre elles.
1. Le besoin primordial émis par les victimes est celui de la guérison et de la reconnaissance, du rétablissement de leur dignité personnelle et sociale, de l’accompagnement psychologique et du soutien. On ne peut répondre à ce besoin que par une assistance compétente et spécialement formée dans ce but. Les victimes qui veulent également s’adresser à l’Eglise, doivent en avoir la possibilité. L’abus sexuel sape fondamentalement tout ce qu’on peut dire de Dieu, de l’Evangile ou de ‘l’être chrétien’. Les énormes dommages pastoraux qui s’ensuivent, requièrent une guérison pastorale. L’Eglise doit veiller à ce que des voies adaptées et le soutien nécessaire soient proposés.
2. Un problème clé au cours des derniers mois fut la relation entre Eglise et assistance en soin d’une part et Justice de l’autre. Nous poursuivons notre tâche dans le sens d’une collaboration correcte et loyale de l’Eglise et de l’assistance en soins avec la Justice. En revanche, en vue d’un bon résultat, des conventions neuves et meilleures sont nécessaires avec la Justice et le Ministère Public.
3. Comme le droit civil, le droit canon prévoit des procédures particulières pour « de lourds délits » comme l’abus sexuel dans une relation pastorale. Le droit canon n’entrave pas le droit civil; il s’agit ici uniquement de mesures qui peuvent être prises au sein de l’Eglise, concernant les coupables et les conséquences de leurs actes. Chaque prêtre, religieux ou laïc dans une relation pastorale doit savoir que tout abus de cette relation l’expose à une sanction d’après les règles du droit canon. À côté de mesures préventives, le droit canon prévoit des procédures pénales qui peuvent mener entre autres, à une déchéance temporaire ou définitive de la fonction ecclésiale.
4. Du rapport du Professeur Adriaenssens publié la semaine dernière, il ressort que la plupart des faits d’abus sexuel rapportés à la Commission, se sont déroulés il y a déjà de nombreuses années. Des données des Centres d’écoute, des psychothérapies ainsi que des données judiciaires, nous savons aussi que des abus sexuels sont commis, aujourd’hui encore dans tous les réseaux de la vie en société avec les conséquences tragiques qui s’ensuivent. Beaucoup d’hommes et de femmes adultes
souffrent d’abus sexuels subis dans d’autres relations que pastorales. L’abus sexuel est aussi un problème de société. Dès lors, il semble nécessaire de relier l’approche ecclésiale de l’abus à une approche sociale plus large du même problème. Nous souhaitons l’établissement d’une concertation approfondie à ce sujet avec le gouvernement, notamment les ministères du bien-être des deux communautés.
5. Les victimes d’abus ont toujours très clairement demandé qu’on entende ce qui leur était arrivé. Elles souhaitent être personnellement impliquées dans le planning des nouvelles initiatives en vue de leur guérison. Ce désir est justifié. Il mérite notre toute première attention. Le sens et le contenu d’une approche plus coordonnée ne peuvent être déterminés que par l’apport des victimes.
Sur cet arrière-plan, les évêques et les Supérieurs majeurs souhaitent entamer une nouvelle étape dans la démarche entreprise avec ‘la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans une relation pastorale’, sous la présidence du Professeur Adriaenssens. Que pouvons-nous annoncer ou confirmer aujourd’hui? Je vais vous présenter la démarche en neuf points.
Après la Commission Adriaenssens, nous envisageons la création d’un ‘Centre’ pour la reconnaissance, la guérison et la réconciliation. Nous solliciterons quatre experts pour entamer des pourparlers préparatoires pour la création d’un réseau de collaboration pour ce projet. Leur première mission sera la mise sur pied d’une nouvelle plate-forme de confiance. Nous ne pouvons encore vous communiquer leurs noms car les parties concernées n’ont pas toutes encore été entendues, entre autres suite au respect des procédures judiciaires en cours. Nous ne voulons pas agir précipitamment car nous souhaitons travailler avec le plus grand soin. Nous souhaitons votre compréhension car le sérieux de la matière nous y oblige. Vous serez informé dans les plus brefs délais de la constitution et du fonctionnement de ce Centre.
Les quatre responsables du Centre entameront le plus rapidement possible une consultation large et pro-active avec toutes les parties concernées. Les victimes, le Ministère de la Justice, le Ministère Public, les Ministères du bien-être des deux communautés et les tribunaux ecclésiastiques interdiocésains de notre pays seront les premiers contactés. Les responsables examineront aussi par qui et comment aura lieu le traitement des questions de nature financière. Ils auront également pour tâche de rédiger les statuts du nouveau Centre et d’en déterminer le fonctionnement. Nous espérons une finalisation des pourparlers préparatoires et une opérationnalité du Centre dans un délai raisonnable. Dans un but de transparence, un rapport public mensuel sur les résultats de ces pourparlers devra être établi.
Après la démission de la Commission Adriaenssens, nous avons demandé à la Justice que la restitution des dossiers aux évêques ne se fasse que sous scellé. Nous persistons dans cette requête. Lors de cette restitution, ces derniers seront déposés dans un endroit neutre avec maintien sous scellés. Celui qui a communiqué une plainte, continuera bien sûr à disposer des éléments de son dossier. En cas de restitution des dossiers par la Justice aux évêques, tout plaignant qui le souhaite, pourra reprendre le contenu de son dossier et s’adresser au nouveau Centre en préparation ou à toute autre instance de son choix.
4. Tant avant qu’après la saisie des dossiers, le Professeur Adriaenssens a informé individuellement les évêques et les Supérieurs majeurs de certaines plaintes en sollicitant de leur part une réaction adéquate tant vis-à-vis de la victime que de l’auteur des faits. Bien que nous ne disposions ni des dossiers, ni des avis définitifs de la Commission Adriaenssens, nous suivrons les problèmes dont nous avons été avertis et prendrons les mesures nécessaires, selon nos possibilités.
5. Dans ses conclusions, le Professeur Adriaenssens réitère l’appel déjà adressé par Mgr. Léonard aux coupables éventuels de se faire connaître. Nous voulons répéter cet appel avec vigueur. Il est de l’avantage de tous que l’auteur d’abus dans une relation pastorale communique ce fait à son supérieur ou auprès du Centre qui sera créé. En se faisant connaître et en permettant une intervention opportune, ils rendent un grand service aux victimes et à la communauté ecclésiale toute entière.
6. Les mots mal, péché, aveu, réparation, guérison, demander et donner le pardon appartiennent au noyau du langage chrétien. Ces mots sont malheureusement, terriblement souillés et déformés par le contenu de nombreux récits d’abus sexuel. Si douloureuse que soit cette confrontation, les récits d’abus et le visage des victimes ne peuvent être cachés à notre communauté. Ils méritent au contraire un lieu de reconnaissance, de respect et de rétablissement de la dignité. La tradition chrétienne dispose de récits, de paroles, de gestes et de rituels qui peuvent contribuer à la guérison des personnes et des communautés. Nous examinerons avec les victimes la place de ce thème dans l’Eglise.
7. Dans notre déclaration du 19 mai 2010, nous avons annoncé une série de mesures concrètes. Nous avons déjà entrepris la rédaction d’un code professionnel pour les prêtres, diacres, assistants paroissiaux et travailleurs pastoraux, contenant des règles explicites sur l’intégrité nécessaire dans le travail pastoral. En accord avec les services et les mouvements concernés, nous espérons, pouvoir faire appliquer ces règles à toute personne en lien avec des enfants ou des jeunes dans un mouvement chrétien; nous pensons notamment à l’enseignement catholique, aux institutions spécifiques d’aide à la jeunesse et aux œuvres chrétiennes pour les jeunes.
8. En attendant l’opérationnalité du nouveau Centre, nous mettrons dès demain en place un point d’information muni de compétences restreintes pour une réponse aux demandes d’information. Il ne s’agit aucunement d’un nouveau point de contact pour plaintes ou délits. Aucun dossier ne peut y être accepté, ni aucune aide spécifique offerte. En revanche, il offrira une oreille attentive aux victimes ou à leurs proches et verra comment orienter leur demande vers la personne ou le service adéquats. Ce point d’information fonctionnera en toute discrétion. Il peut être atteint via le téléphone 02 509 97 44 ou le mail info.abus@catho.be
9. En Communauté flamande, toute personne recherchant aide ou information concernant une forme d’abus sexuel dans une relation pastorale, peut se tourner entretemps vers l’assistance offerte par CAW-onthaal. Les collaborateurs du CAW sont liés par le secret professionnel. Le CAW-onthaal est joignable via le téléphone 0476/92.18.04 ou le mail onthaal@caw.be. La mise sur pied d’un pendant francophone est actuellement en examen. Toutefois, toute personne qui souhaite déposer une plainte, peut toujours s’adresser au Magistrat fédéral Lieve Pellens au 02/557.77.31, Avenue des Quatre- Bras 19, 1000 Bruxelles.
Tels sont les objectifs et propositions auxquels nous nous attellerons. Nous espérons ainsi pouvoir assurer une continuité dans le soin des victimes ainsi qu’une meilleure prévention des abus. Nous voulons et devons nous réconcilier avec le passé. Nous avons fait preuve de courage en permettant à la Commission Adriaenssens d’achever son travail et en la laissant publier ses conclusions. Si douloureux soit-il, un grand pas a été franchi. Nous sollicitons maintenant le temps et la confiance pour développer la nouvelle approche que nous avons réussi à établir en collaboration avec les personnes concernées.
Au nom des évêques de Belgique :
Mgr A.J. Léonard, Archevêque de Malines-Bruxelles
Mgr G. Harpigny, Evêque de Tournai
Mgr J. Bonny, Evêque d’Anvers p>
Bruxelles, le 13 septembre 2010