Europe : Le droit à l’objection de conscience remis en question

Débat le 7 octobre à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

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ROME, Vendredi 24 septembre 2010 (ZENIT.org) Le 7 octobre prochain, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), débattra d’un projet de résolution et de recommandation invitant ses 47 Etats membres à « obliger » le personnel médical qui s’y refuse pour des motifs de conscience à pratiquer des avortements.

Ce projet de rapport est un sujet de préoccupation majeure pour l’ECLJ en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté de conscience des prestataires de soins de santé. En réponse à ce rapport, et à la demande de membres de l’Assemblée parlementaire, l’ECLJ a réalisé un mémoire présentant les principes directeurs régulant l’objection de conscience. (Consultable ici).

Ce projet de rapport, proposé par la députée britannique McCafferty, s’intitule « Accès des femmes à des soins médicaux légaux : le problème du recours non réglementé à l’objection de conscience. » (Consultable ici) Il considère que l’objection de conscience pose problème, car son invocation croissante par les professions médicales rendrait de plus en plus difficile l’accès aux « services de santé reproductive », c’est-à-dire principalement l’accès à l’avortement, mais aussi à la procréation médicalement assistée ou encore à la stérilisation à visée contraceptive. Le rapport vise aussi l’euthanasie active.

Ce texte constate en effet que la « pratique de l’objection de conscience se développe dans le domaine des soins de santé, lorsque des prestataires de soins de santé refusent d’assurer certains services en y opposant une objection religieuse, morale ou philosophique ». « Vivement préoccupé » par « la montée de cette pratique », qui remettrait en cause dans les faits le « droit à l’avortement », le texte du Conseil de l’Europe invite les Etats membres à restreindre le droit à l’objection de conscience.

Prétendant que cette pratique « n’est pas réglementée », le texte affirme la « nécessité d’établir un équilibre entre l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné, d’une part, et la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d’autre part. »

Le recours à la notion « d’équilibre » est le cœur de l’argumentation de Mme McCafferty ; mais elle n’est pas applicable en l’espèce, a expliqué Grégor Puppinck, Directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), à ZENIT. En effet, le droit a recours à la notion « d’équilibre » pour régler des situations dans lesquelles s’opposent deux droits contradictoires et de même valeur. En l’espèce, il est vrai que le droit à l’objection de conscience s’opposerait au « droit à l’avortement » s’il existait un droit à l’avortement. Or, un tel droit n’existe pas et ne peut pas exister, car l’avortement est par définition une exception au droit à la vie, et non un droit en lui-même, a-t-il précisé. En outre, même à supposer qu’il existe un « droit à l’avortement », celui-ci ne serait pas de même valeur que le droit à l’objection de conscience. En effet, le droit à l’objection de conscience trouve sa source dans un droit fondamental et inconditionné : la liberté de conscience. En revanche, l’avortement ne peut pas être un droit fondamental car il ne résulte pas de la nature de l’homme et il est conditionné. Enfin, si un « droit à l’avortement » existait, c’est sur l’Etat reconnaissant ce droit que pèserait l’obligation de le garantir, et non sur tel ou tel médecin ou sage femme confrontés personnellement à une demande d’avortement, estime Grégor Puppinck.

Afin, donc, de procéder à ce rééquilibrage, le projet de résolution et de recommandation invite les Etats membres à « obliger » le personnel médical qui s’y refuse pour des motifs de conscience à pratiquer des avortements, et autres « soins de santé génésique », a expliqué Grégor Puppinck. Cette restriction est opérée par l’imposition d’une série de critères s’ajoutant les uns aux autres :

– D’abord, le texte restreint le champ d’application matériel de la clause de conscience aux seuls individus, et aux structures médicales privées. Tout hôpital ou clinique publique serait exclu du champ de bénéfice de la clause de conscience. C’est exactement l’inverse de ce qui se pratique par exemple aux Etats-Unis, où aucun avortement ne peut être réalisé avec de l’argent public.

– Ensuite, le rapport de Mme McCafferty entend limiter le droit à l’objection de conscience aux seuls « prestataires de soins de santé directement concernés par la procédure médicale en question ».  Cela revient à dire que tout le personnel médical participant indirectement à l’avortement, comme certaines infirmières, sages femmes, anesthésistes et aides soignantes ne pourrait plus user du droit à l’objection de conscience.

– En outre, et c’est là l’une des principales dispositions du texte, le projet invite les Etats européens à « obliger le prestataire de soins de santé [directement concerné] à fournir le traitement désiré auquel le patient a légalement le droit, malgré son objection de conscience ». Cette obligation s’appliquerait non seulement « en cas d’urgence », mais aussi et surtout « lorsqu’il n’est pas possible de diriger le patient vers un autre prestataire de soins de santé (en particulier en l’absence de praticien équivalent à une distance raisonnable) ». Suivant cette disposition, un médecin pourrait donc se trouver dans l’obligation légale de pratiquer, de ses propres mains, un avortement, et ce en dehors même de toute urgence pour la vie de la mère. Cette obligation renvoie au modèle totalitaire en vigueur actuellement en Chine, ou autrefois en Europe de l’Est où les médecins étaient, dans certains pays, obligés de faire des avortements.

– Autre contrainte : « les prestataires de soins de santé » seraient obligés, en toutes circonstances, de « fournir des informations aux patients sur toutes les options de traitements possibles, […] d’envoyer le patient chez un autre prestataire de soins santé le cas échéant » qui effectuera l’acte, et enfin de « s’assurer que le patient bénéficie d’un traitement approprié dispensé par le prestataire de soins de santé à qui il (elle) a été adressé(e) ». Cela revient à créer pour les médecins et toute la profession médicale une obligation de participation indirecte à l’exécution d’actes, engageant leur responsabilité morale et professionnelle.

Ces obligations que veut instituer le rapport McCafferty violent le droit à la liberté de conscience des professions médicales, tel que défini et garanti par le droit européen et international, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme, poursuit Grégor Puppinck. En outre, les recommandations de Mme McCafferty contredisent le droit et la pratique de l’immense majorité des réglementations des pays démocratiques occidentaux. Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, aucun médecin ne peut être forcé à pratiquer un avortement. En matière d’avortement ou d’euthanasie, la loi ne peut forcer la conscience morale et professionnelle d’un médecin.

Afin de rendre ces obligations effectives, le rapport McCafferty invite les 47 Etats membres à « mettre en place un dispositif de supervision et de suivi de l’objection de conscience » comprenant notamment la création d’un fichier des objecteurs, ainsi que l’établissement d’un « mécanisme de recours effectif » contre les objecteurs.

Les recommandations de Mme McCafferty portent ainsi violemment atteinte aux droits fondamentaux des profession
s médicales, et notamment à leur liberté de conscience, estime le directeur du ECLJ. Même pour une personne considérant l’avortement comme légitime, ces atteintes au droit fondamental à la liberté de conscience ne peuvent paraître que disproportionnées par rapport au bénéfice escompté en matière d’accès à l’avortement. « Qui pourrait croire, en effet, que l’accès à l’avortement soit si difficile en Europe pour justifier de contraindre ainsi les médecins à le pratiquer quand 300.000 avortements ont lieu chaque année rien qu’en France ? » s’est interrogé Grégor Puppinck.

Plus fondamentalement, l’objectif majeur du texte de Mme McCafferty est non seulement pratique, mais aussi profondément symbolique, a expliqué le directeur du ECLJ. En effet il porte sur la qualification morale de l’avortement et de l’exercice de la conscience : le « droit à l’avortement » devient la règle et l’objection de conscience l’exception. Réduire le droit fondamental de l’objection morale à une simple exception revient à inverser le rapport de moralité entre l’avortement et l’objection de conscience. C’est l’objection de conscience qui devient en quelque sorte immorale, car contraire au droit à l’avortement. Cette exception serait fondée non plus sur l’immoralité objective du fait de mettre volontairement un terme à une vie humaine, mais seulement sur la subjectivité individuelle du praticien de santé, c’est-à-dire sur son opinion, sa religion ou ses convictions individuelles.

Il est important de bien comprendre que le droit de refuser de pratiquer un avortement ou une euthanasie n’est pas une question d’opinion individuelle ou de choix religieux : c’est une question de justice, estime-t-il. Vouloir enfermer la question de l’objection de conscience dans le domaine de la liberté d’opinion, c’est enfermer la justice dans le relativisme. Une telle conception de l’objection de conscience détache la conscience de son rapport au bien commun et au juste. Elle assure finalement la primauté de la loi civile, qui émerge seule au dessus du pluralisme. Dès lors, la loi civile tolère difficilement que des personnes la mettent en cause au nom de la supériorité fondamentale de leur conscience morale.

Cela explique pourquoi le rapport McCafferty entache les objecteurs de conscience d’une présomption de mauvaise foi, en indiquant qu’ils « doivent prouver que leur objection se fonde sur leurs convictions religieuses ou leur conscience et que leur refus est de bonne foi », a ajouté Grégor Puppinck.

Le rapport McCafferty vise précisément à imposer cette conception nouvelle de l’objection de conscience : une conception de la conscience qui soit détachée de son rapport au bien commun et au juste et enfermée dans la loi positive. Pour cela, le rapport ramène l’objection des médecins à la pratique de l’avortement à une simple opinion parmi d’autres, devant être équilibrée avec les opinions et désirs des tiers. Ainsi, tout devient relatif, sauf la loi qui s’impose aux consciences, a souligné Grégor Puppinck.

Si la résolution et les recommandations de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe devaient être adoptées, ce serait une défaite pour les tenants de la liberté de l’homme face aux tentations totalitaires des Etats, estime-t-il.

La liste et les coordonnées des députés nationaux membres de l’Assemblée parlementaire est disponible à l’adresse suivante : http://assembly.coe.int/ASP/AssemblyList/AL_DelegationsList_F.asp

Grégor Puppinck est Directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), une Organisation-Non-Gouvernementale accréditée auprès des Nations Unies et spécialisée dans la défense de la liberté de conscience et de religion. A ce titre, l’ECLJ est intervenue dans de nombreuses affaires devant la Cour européenne des Droits de l’Homme et auprès des autres mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Grégor Puppinck est docteur en droit.

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ZENIT Staff

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