Une homélie doit annoncer le salut, affirme le pape François qui précise ce qu’est pour lui la mission: « Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. »
Ici, sur l’homosexualité, l’avortement, la situation des personnes divorcées remariés, le pape ne parle pas d’un changement sur le fond, mais d’un décentrement pour faire passer en premier l’attention à la « personne », la « rencontre », l' »accueil », le regard de Dieu même sur les personnes. En bref à une « pastorale qui reflète le coeur de l’enseignement de Jésus ».
Le pape explique la priorité, l’ordre à observer, dans l’évangélisation: « L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui, il semble parfois que prévaut l’ordre inverse. »
Une interview du pape François par le père Antonio Spadaro s.j., directeur de la prestigieuse revue des jésuites italiens, La Civiltà Cattolica, a été publié, jeudi 19 septembre, en différentes langues par seize revues des jésuites du monde, et en français par la revue « Etudes« .
Le père Spadaro a rencontré le pape François trois fois, les 19 et 23 et 29 août, à sa résidence, la Maison Sainte-Marthe du Vatican.
Le pape évoque ses goûts artistiques et culturels, la Compagnie de Jésus, le rôle de l’Église d’aujourd’hui, ses priorités pastorales, des questions de société et l’annonce de l’Evangile, l’homosexualité, la situation des divorcés-remariés.
Nous commençons aujourd’hui la publication d’extraits de cet entretien que l’on peut qualifier d’historique. Il a déjà fait le tour du monde, comme le sourire du pape dont parle le P. Spadaro et qui l’a accueilli à Sainte-Marthe.
Aujourd’hui, nous publions aussi deux autres extraits. L’un sur l’autoportrait du pape et l’autre sur sa façon de gouverner l’Eglise.
Anita Bourdin
Une pastorale qui reflète le coeur de l’enseignement de Jésus
Comment faire alors une pastorale missionnaire ? Le pape me fait signe qu’il a compris ce que j’essaye de dire et répond : « Nous devons annoncer l’Évangile sur chaque route, prêchant la bonne nouvelle du Règne et soignant, aussi par notre prédication, tous types de maladies et de blessures. ÀBuenos Aires j’ai reçu des lettres de personnes homosexuelles, qui sont des “blessés sociaux” parce qu’elles se ressentent depuis toujours condamnées par l’Église. Mais ce n’est pas ce que veut l’Église. Lors de mon vol de retour de Rio de Janeiro, j’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le Catéchisme [de l’Église catholique].
La religion a le droit d’exprimer son opinion au service des personnes mais Dieu dans la création nous a rendu libres : l’ingérence spirituelle dans la vie des personnes n’est pas possible. Un jour quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai alors répondu avec une autre question : “Dis-moi : Dieu, quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant ?” Il faut toujours considérer la personne. Nous entrons ici dans le mystère de l’homme. Dans la vie de tous les jours, Dieu accompagne les personnes et nous devons les accompagner à partir de leur condition. Il faut accompagner avec miséricorde. Quand cela arrive, l’Esprit Saint inspire le prêtre afin qu’il dise la chose la plus juste.
C’est aussi la grandeur de la confession : le fait de juger au cas par cas et de pouvoir discerner ce qu’il y a de mieux à faire pour une personne qui cherche Dieu et sa grâce. Le confessionnal n’est pas une salle de torture, mais le lieu de la miséricorde dans lequel le Seigneur nous stimule à faire du mieux que nous pouvons. Je pense à cette femme qui avait subi l’échec de son mariage durant lequel elle avait avorté ; elle s’est ensuite remariée et elle vit à présent sereine avec cinq enfants. L’avortement lui pèse énormément et elle est sincèrement repentie. Elle aimerait aller plus loin dans la vie chrétienne : que fait le confesseur ?
Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Église, nous la connaissons, et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence.
Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales.
Je dis cela en pensant aussi à notre prédication et à son contenu. Une belle homélie, une vraie homélie doit commencer avec la première annonce, avec l’annonce du salut. Il n’y a rien de plus solide, de plus profond et sûr que cette annonce.
Ensuite il faut faire une catéchèse, en tirer une conséquence morale. Mais l’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse.
Aujourd’hui, il semble parfois que prévaut l’ordre inverse.
L’homélie est la pierre de touche pour évaluer la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec son peuple, parce que celui qui prêche doit connaître le cœur de sa communauté pour chercher où le désir de Dieu est vivant et ardent.
Le message évangélique ne peut être réduit à quelques-uns de ses aspects qui, bien qu’importants, ne manifestent pas à eux seuls le cœur de l’enseignement de Jésus. »