Boniface VIII sur la Chaire de Saint Pierre, façade de la cathédrale d’Agnani, détail.

Boniface VIII sur la Chaire de Saint Pierre, façade de la cathédrale d’Agnani, détail.

La France, fille aînée de l’Eglise, 6e partie

Réconciliation entre le pape et le roi

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I La fille aînée se rapproche de sa mère

Introduction : l’action déterminante du pape Benoît XI

 

Boniface avait beau avoir disparu, il était mort pape avec les honneurs dus à son rang. L’ouverture de son tombeau, le 11 octobre 1605, trois siècles plus tard, le prouve. On avait achevé la construction de la nouvelle basilique commencée en 1506 par Jules Il, et il fallait changer de place les tombeaux des papes. Le corps de Boniface était très bien conservé et surtout habillé de superbes habits pontificaux. On ne lui avait pas fait des obsèques à la sauvette !

 

Ce qu’avaient ressenti Philippe le Bel comme la plupart des cardinaux en 1303, se trouva donc confirmé en 1605. Quels qu’aient pu être ses torts, Boniface avait été pleinement pape jusqu’au bout. Sa mort ne réglait donc pas tout, elle nécessitait un travail diplomatique pour restaurer la nécessaire amitié entre la France et le Saint-Siège.

 

Le conclave ne s’y trompa pas en élisant très vite, le 22 octobre 1303, le cardinal Nicolas Boccasini, ancien maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs. Il était fils de berger, ayant passé sa vie chez les dominicains, il n’appartenait pas à une grande famille italienne. Il avait de plus 63 ans, il possédait l’expérience et ne pouvait espérer une grande longévité. Pour un conclave très désuni, mais unanimement d’accord pour rétablir la paix avec la France, c’était parfait. Et celui qui prit le nom de Benoît XI ne déçut pas ! Déjà pendant tout le conflit avec le roi, il était resté silencieux. Boniface l’avait créé cardinal 5 ans auparavant, mais lui n’entendait pas épouser ses querelles, tout en faisant ce qu’il pouvait pour ne pas trop charger la mémoire de son prédécesseur. Il réussit à avoir l’appui des cardinaux pour ne pas convoquer de concile qui jugerait Boniface post mortem, et dans le même temps il put lever toutes les mesures prises contre le roi de France, son royaume et ses conseillers. Les Colonna étaient aussi pardonnés. Mais il y avait une exception pour tous ceux qui avaient participé à « l’attentat d’Agnani », en tête desquels se trouvait Nogaret (et bien sûr Sciarra Colonna et quelques autres). Philippe le Bel, autant fidèle en amitié que dans ses rancunes, quand son autorité royale était menacée, avait généreusement récompensé Nogaret pour la « course de vitesse » qui l’avait fait arriver à temps à Agnani. Aussi l’envoya-t-il à Rome pour solliciter le pardon papal. Mais le pape Benoît refusa de le recevoir en mai 1303, et fulmina contre les hommes d’Agnani le 8 juin 1304 la bulle Flagitiosum scelus (« Scandaleux attentat »). Jean Favier s’étonne à juste titre que le pape, témoin oculaire de la scène d’Agnagni, adopte neuf mois après, un ton aussi grandiloquent d’indignation (1). Je ne donne que quelques exemples « Ô crime au dessus de toute expiation ! Ô forfait inouï ! Ô malheureuse Agnani qui a souffert que de telles choses s’accomplissent dans ton sein ! Que la rosée et la pluie ne tombent jamais sur toi… qu’elles passent sur ta colline maudite sans l’arroser ». En fait, Benoît XI voulait arrêter Nogaret dans sa rage à monter un dossier contre son prédécesseur, affaire qui aurait pu conduire à une réunion de concile, que ni lui ni ses cardinaux ne souhaitaient. Le pape défendait à juste titre l’honneur et les prérogatives du Siège de Pierre. Il pensait aussi que son intransigeance pousserait le roi à se débarrasser de Nogaret. Mais c’était mal connaître ses vis-à-vis. Philippe n’abandonna pas son conseiller, ni Nogaret son dossier, Boniface étant devenu une véritable obsession ! D’autant plus que le pape Benoît allait mourir le 8 juillet 1304. Benoît XI avait certes commencé un admirable travail, qui sera d’ailleurs reconnu quand il sera déclaré bienheureux en 1736, mais le temps lui avait manqué. Aussi le conclave qui s’ouvrît à Pérouse le 18 juillet 1304 s’annonçait bien plus difficile que le précédent. Le pape défunt avait indiqué une direction qui atténuait considérablement les prétentions de la papauté conçues par Boniface et cela allait dans le sens de ce que voulait la France. Mais certains cardinaux trouvaient qu’on en avait un peu trop fait, d’autres avaient le cœur qui penchait pour l’empire. Donc c’est à partir des intérêts français qu’on allait débattre. Le clan du cardinal Napoléone Orsini était pour la France, y compris pour la tenue du concile qu’elle demandait, il va déborder d’activité au conclave et grâce à ses nombreuses initiatives, il va acquérir très vite la conviction qu’aucun membre de cette assemblée ne pourrait être élu. Il ne fallait pas avoir été mêlé de près ou de loin à la politique de Boniface !

 

 

II La lumineuse idée de Napoléone Orsini : Bertrand de Got.

 

C’est lui qui songea le premier à l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got, qui s’était surtout formé en droit à Orléans et avait ainsi la formation des légistes de Philippe le Bel. Il avait pu devenir conseiller juridique du Edouard 1er, duc de Guyenne et roi d’Angleterre. Il était passé par Paris pour suivre les affaires de son maître devant le Parlement. De là, son frère archevêque de Lyon l’avait appelé pour en faire son vicaire général, et l’avait emmené à Rome quand il fut créé cardinal. Bertrand de Got deviendra chapelain du pape, et Boniface le fera évêque de Comminges en 1295, et quatre ans plus tard archevêque de Bordeaux. Mais il réussit ce tour de force de ne jamais mécontenter ni le roi ni le pape pendant toute la durée de l’affrontement. Il avait aussi été loyal envers Edouard 1er. Bertrand fut élu le 5 juin 1305, on alla le chercher à Bordeaux et il fut couronné à Lyon sous le nom de Clément V le 14 novembre de la même année. Il était le deuxième pape français à monter sur le trône de Pierre (le premier étant l’illustre moine savant Gerbert d’Aurillac, contemporain d’Hugues Capet et précepteur de son fils et successeur Robert le Pieux).

 

Deux ans après l’élection du Pape, vers 1307, on connut l’œuvre d’un légiste du diocèse de Coutances, Pierre Dubois : De la récupération de la Terre Sainte. Il avait déjà dédié au roi en 1300 des ouvrages en sa faveur contre Boniface ; il avait donc participé et réfléchi à l’affrontement capital de ce temps et il présentait un certain nombre d’idées pour en tirer la leçon et formuler des projets. Et le moment lui sembla bien venu, puisque comme le premier pape français avait affermi la dynastie capétienne, il se trouvait devant un deuxième pape français, légiste comme lui, sous un roi qui avait brillamment poursuivi le travail capétien. Aussi allait-t-il étendre très rapidement sa réflexion au delà de la Terre Sainte et préciser sa pensée dès 1308. Et c’est parce que celle-ci vise à bien manifester que la France est la Fille aînée de l’Église que je crois bon de m’y arrêter et d’en préciser quelques contours.

 

 

III. La France dans l’Europe, et sa place dans le monde selon Pierre Dubois (1255-1321)

 

Notre légiste comprend trois choses importantes à partir de ce qu’il a vécu et en pensant à l’avenir. En premier lieu, il croit à la nécessité de l’entente des souverains de l’Europe comme indispensable pour maintenir la paix, celle-ci étant la condition du succès d’une croisade absolument nécessaire. Deuxièmement, il veut arracher les lieux saints à la puissance musulmane contre laquelle tous les États chrétiens doivent se liguer. Ce but doit sceller l’union des États chrétiens, mais certainement pas sous la domination du pape dont il entend réduire les pouvoirs politiques. Et troisièmement, seul le roi de France, aidé par des membres de sa famille peut faire aboutir ces projets.

 

Mais il y a au moins deux points faibles dans ce raisonnement, comme l’a très bien montré Jean Favier (2). Personne parmi les souverains de cette époque ne songe sérieusement à une croisade (les Papes mis à part). Et Dubois se fait de grandes illusions sur la facilité d’une union entre le royaume latin de Jérusalem (déjà occupé par les musulmans) et l’empire de Byzance, tout comme d’ailleurs les responsables politiques occidentaux.

 

Mais là où il est plus réaliste, c’est quand il voit dans le roi de France le bras armé de la chrétienté. Certains membres de sa famille règnent déjà en Europe, il suffira d’étendre la chose. Quant au roi, il veillera particulièrement à l’Italie du Nord et aux États pontificaux. Il déchargera le pape de leur administration pour qu’il se consacre au spirituel, et on le dédommagera par une forte somme d’argent. Les États confisqueront les biens d’Église pour payer la croisade mais feront vivre le clergé. On fusionnera les ordres de chevalerie, et les États confisqueront leur fortune, d’ailleurs amassée pour la croisade (Nogaret reprendra ces propos de 1306 quelque temps plus tard contre les Templiers). Pour le Saint-Empire romain germanique, il prône l’hérédité en faveur des Habsbourg, l’empereur étant le beau-frère de Philippe le Bel. Mais à la mort de ce dernier, il préconisera que le pape couronne empereur le roi de France lui-même ! Comme l’écrit justement Jean Favier « Pierre Dubois a bien lu l’histoire de Charlemagne. » (3)

 

 

IV La rencontre de Poitiers entre Clément V et Philippe IV le Bel.

 

C’est le 26 mai 1308 qu’elle se produisit. Il faut d’abord relever que le Pape ne s’était fixé nulle part. Il menait une vie itinérante dans le Languedoc avec une cour réduite de quatre cents personnes, ne manifestant aucune envie de s’installer à Rome, sachant très bien qu’il n’y serait pas en sécurité. Et il ne changea jamais d’avis. Le roi Philippe était arrivé à Poitiers avec une cour nombreuse à laquelle il avait adjoint les représentants des villes, et ce, dans le même esprit que celui qui avait présidé aux États généraux de 1302 : le pouvoir royal s’exprimerait au nom de la Nation ! Guillaume de Plaisians, un des principaux légistes du roi, ouvrit les débats par un discours en français, alors qu’il aurait très bien pu le faire en latin, manifestant d’emblée l’urgence qu’il y avait à régler le problème des Templiers, ce qui pouvait apparaître comme le début de l’application du plan de Dubois sur les ordres de chevalerie, c’était là un préalable obligatoire avant toute croisade ! Nogaret obtint du roi la demande au pape de béatifier Célestin V et de réunir un concile pour juger Boniface ! Surpris, le pape demanda un délai de réflexion qui lui permit de répondre le 12 août positivement. Une enquête allait être ouverte concernant Boniface, et l’on s’occuperait de la cause de Célestin V qui fut canonisé cinq ans plus tard le 5 mai 1313 comme « confesseur » et non comme « pape et martyr », comme l’aurait souhaité Philippe le Bel.

 

On apprit lors de cette réunion la mort de l’empereur le 1er mai. La tentation était grande pour Philippe de mettre en application les idées de Dubois, le pape n’étant apparemment pas contre. Le roi et son conseil réfléchirent suffisamment pour laisser entrevoir un arrangement possible sur l’affaire des Templiers, ce qui plaisait à ce pape qui, d’une manière générale, détestait toute forme de précipitation. Cependant, Philippe renonça à se présenter pour ne pas faire de son élection (si elle avait lieu, et c’était loin d’être certain) un « casus belli », aussi présenta-t-il son frère, Charles de Valois, homme peu intelligent mais qui rêvait d’une couronne ! On se demande, aujourd’hui encore, pourquoi un tel choix ? Pour faire bref, on peut dire qu’en cas d’échec, c’était un signe pour les Capétiens, sous forme d’avertissement ; sans trop de frais, en cas de victoire, on avait ce qu’il fallait pour aider Charles. Prudemment, Clément V resta officiellement neutre, mais pas sur le candidat, car il intervint discrètement pour le Luxembourgeois, le roi Philippe ne lui en tint pas rigueur. Et le comte de Luxembourg fut élu ! C’était un ami de Philippe le Bel. Charles de Valois continua alors ses rêves, en les tournant vers l’Orient, mais sans aide réelle du roi son frère. Philippe gardait bien en tête les idées de Pierre Dubois, mais il voulait éviter la guerre. Clément V à ses yeux avait su se montrer à la hauteur de sa tâche. Il avait accepté un concile, à Vienne, hors du royaume, mais tout à côté. Il avait donné satisfaction sur certains points, mais tenait à garder son indépendance et son autorité. Le roi, qui n’avait pas l’ambition de vouloir gouverner le monde, mais essentiellement la France telle qu’il la voyait, savait qu’il pouvait s’en faire un allié sûr ! Celui-ci avait de plus montré qu’il était un fin diplomate. Par exemple, il avait reconnu au bout de huit mois l’élection impériale, ce qui avait tout de même déplu au roi, mais il tardait à le couronner, ce qui versait du baume au cœur du Capétien. Cependant le pape s’installa en Avignon en 1309, pour une courte durée, car il voulait tenir son concile en 1311 à Vienne, en Dauphiné. Dans les deux cas on était hors du royaume de France, mais toujours à côté ! Clément V, pas plus que les autres papes d’Avignon avant le grand schisme, ne fut jamais l’employé servile du trône de France. Il devait simplement régler un contentieux qui ne pouvait durer.

 

 

V La paix du Saint-Père pour sa fille aînée

 

Clément V prouva ses qualités de diplomate en sachant gagner du temps. Il avait parfaitement compris la situation politique de son temps. Le roi de France était le grand vainqueur de la papauté mais ne maîtrisait pas tout. Il devait continuer à se battre pour donner à son pays la taille qu’il estimait devoir lui revenir et son influence en Europe. Il avait donc toujours besoin d’argent, d’autant plus que les Flamands vaincus ne payaient pas à la France ce qu’ils devaient. Clément savait qu’il pouvait intervenir, car il y avait eu traité juré (4). Il pouvait donc menacer d’excommunication. Ce traité durement établi à Athis (23 juin 1305) entre le roi de France et le comte de Flandre était suivi de tractations dont les dernières se firent à Poitiers en mai 1307 en présence de Clément V. Le comte Robert de Béthune et les représentants des villes de Flandre confirmaient leur accord et leur soumission aux sentences canoniques. L’investiture du comte lui fut donnée avec effet différé.

 

Le pape Clément V avait mis six mois pour reconnaître l’élection d’Henri VII (le 29 juillet 1309) nouvel empereur du Saint-Empire, mais il ne l’avait pas couronné. Alors que le 5 août de la même année, il avait couronné en Avignon Robert d’Anjou roi de Naples. On s’agitait en Italie, et des projets politiques ne manquaient pas concernant la maison d’Anjou qui pouvait inquiéter le roi de France et le dresser contre l’empereur. Et pour la tranquillité en Italie, il fallait la paix avec l’empire, laquelle était nécessaire pour la croisade prévue, qui dans l’instant permettait au roi de France de toucher la décime, mais sur ce point précis, Clément V n’avait pas trop d’illusions, même s’il continua à laisser payer l’impôt. Il vit que l’important pour lui et le rôle même du Saint-Siège était de ne pas laisser juger la mémoire de Boniface VIII. C’eût été rabaisser la papauté, quelles qu’aient été les fautes du pape défunt, et la soumettre aux conciles. Et nous verrons que sur cette dernière question les princes temporels ne pouvaient avoir des positions définitives parce que cela risquait de se retourner contre leurs intérêts, par exemple leur propre autorité sur le clergé (laquelle est toujours sauvegardée s’il y a un accord entre le roi et le pape et que le pape est au dessus du concile). Quant à l’autorité du roi sur les évêques, elle n’effraie pas le pape, car lui seul peut investir ! Aussi, dès février 1311, Philippe le Bel fit savoir à Clément V, par les ambassadeurs envoyés en Avignon, qu’il était prêt  à cesser de demander de poursuivre la mémoire de Boniface, pourvu qu’on reconnaisse « le juste zèle du roi » et qu’on pardonne à ses serviteurs. Il faut voir là l’influence d’Enguerran de Marigny, qui à la mort de Pierre Flote était devenu le deuxième personnage du royaume : En 1309, il était gardien du trésor (il était donc particulièrement sensible au paiement des sommes dues par les Flamands) et fut nommé grand chancelier de France en 1311, il avait déjà le titre de coadjuteur. Il avait pu relativement facilement convaincre Philippe en ce qui concerne Boniface, qui était mort, alors que l’Ordre du Temple était toujours vivant et que des problèmes politiques pouvaient être résolus avec l’aide du pape. Clément publia la bulle Rex gloriae le 27 avril 1311 qui annulait tous les actes mettant en cause le roi de France et qui accordait l’absolution aux acteurs d’Agnani (qui devaient tout de même effectuer un pèlerinage), sauf à ceux qui avaient pillé les lieux. Nogaret voyait son excommunication levée, mais par absolution avec pénitence, donc comme coupable pardonné, ce qui le fit enrager, il ne fit jamais le pèlerinage. Les « incidents Boniface » étaient clos. La France rétablie à sa place dans l’Église.

 

 

VI Le concile de Vienne

 

Clément V put enfin l’ouvrir en octobre 1311, sûr que l’affaire Boniface n’y serait pas évoquée (et quand on sait ce que les accusateurs de Boniface avaient commencé à développer en Avignon devant le pape à partir du 13 septembre 1309, on voit que Clément V a évité un événement qui aurait été funeste pour tout le monde. Le concile ne commença ses travaux que le 11 octobre. Il ne restait à l’ordre du jour que l’affaire du Temple, la réforme de l’Église et éventuellement la croisade. Le pape avait invité les rois de France et d’Angleterre, ainsi que l’empereur, auxquels il faut ajouter trois cents évêques et abbés. Des princes, seul le roi de France vint sur le tard, et pour les ecclésiastiques ils n’y eut que cent quatorze participants, essentiellement français et italiens.

 

La raison ? Le concile n’avait plus grand intérêt et pour certains le déplacement était coûteux et les conditions du séjour peu exaltantes. On savait que la croisade ne pouvait être décidée que par les princes, et que pour la réforme de l’Église, Clément V n’avait pas besoin de conseils. Seule l’affaire du Temple aurait pu susciter de l’intérêt, sauf qu’à cette époque elle était pratiquement réglée. Je ne veux pas ici entrer dans le détail d’une affaire qui dépasse mon sujet, je ne puis que constater que le pape au concile de Vienne ne pouvait plus agir autrement que dans le sens du roi de France. Aurait-il pu faire quelque chose avant ? Il a essayé, mais je remarque qu’à chaque fois que le pape a voulu freiner la colère du roi contre les Templiers, la menace d’un procès contre la mémoire de Boniface revenait. Le 13 octobre 1307, tous les Templiers de France avaient été arrêtés en même temps. La grande majorité avait avoué toutes sortes de crimes, souvent imaginaires. Et la répression s’était accélérée, le 11 mai  1310, cinquante quatre templiers avaient été brûlés vifs à Paris à la suite de la condamnation de l’évêque Philippe de Marigny, frère du ministre. Et il y eut d’autres bûchers en province, les chefs Templiers, dont le grand maître, demeurant emprisonnés. Comme le concile se proposait d’entendre les Templiers prêts à défendre l’Ordre, Philippe le Bel fit savoir son mécontentement et envoya Enguerrand de Marigny à Vienne pour s’entretenir avec le pape. Réaliste, il n’a aucune peine à faire comprendre au pape que l’Ordre du Temple étant définitivement déshonoré, la seule façon de mettre fin au scandale était de le supprimer. L’évêque d’Avignon, Jacques Duèze (qui succèdera à Clément), excellent juriste, conseilla cette voie. Le pape avait l’assurance qu’on le laisserait décider pour l’attribution des biens du Temple et on pourrait parler de la croisade. L’accord papal fut donné, et le 20 mars 1312, Philippe le Bel arriva au concile avec ses deux frères et ses trois fils. Le consistoire des cardinaux approuva à une très forte majorité la suppression du Temple. Clément V publia alors la bulle Vox clamantis le 3 avril 1312, qui supprimait l’Ordre du Temple, mais sans le condamner. On annonça la croisade et le 3 mai, la bulle Ad providam attribuait les biens du Temple aux Hospitaliers. En mai 1312, le pape ratifia la mainmise royale sur Lyon qui fit désormais officiellement partie du royaume de France. En lui-même le concile n’avait pas servi à grand-chose, sinon à montrer à la face du monde la réconciliation entre le roi de France et le pape. Ce qui était avantageux pour les deux. Car il était clair que le roi n’avait pas eu besoin du concile pour neutraliser les Templiers, il l’avait fait lui-même ; quant à l’imposition des clercs, c’est le pape lui-même qui avait maintenu la décime dans l’espoir d’une croisade. Quant au pape, il n’avait abdiqué d’aucun pouvoir, ni rabaissé le Saint-Siège. Nul  ne pouvait juger le successeur de Pierre, même si celui-ci était mort, comme Boniface. Et l’Église conservait toute sa liberté, le pape était sur ses terres en Avignon, et surtout en sécurité, ce qui n’aurait pas été le cas à Rome à cette époque précise qui va d’ailleurs durer.

 

 

 

1) Jean Favier, Philippe Le Bel, Editions Fayard 1988, p. 395-396.

2) Jean Favier, op. cité, p. 404

3) Jean Favier, op. cité, p. 407

4) Les deux parties avaient juré sur les évangiles. Celui qui ne respectait pas les clauses du traité encourait donc des peines ecclésiastiques, et Clément V aurait pu excommunier les Flamands et jeter l’interdit sur le pays.

 

Lisez aussi :

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

France, Fille aînée de l’Église, 2e partie

France, Fille aînée de l’Église, 3e partie

France, Fille aînée de l’Église, 4e partie

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

La France, Fille aînée de l’Église, 5e partie (2)

 

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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