rançois Dubois (peintre du XIXe siècle), Couronnement de Pépin le Bref, Musée national, Château de Versailles, détail © Wikicommons, G.Garitan

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France, Fille aînée de l’Église, 2e partie

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Persistance et renforcement de l’idée

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Après avoir étudié l’enracinement de principes chrétiens dans le trône du jeune royaume des Francs, le présent exposé décrit une consolidation du chétif implant évangélique, qui s’inscrira de manière indélébile en son histoire de « fille aînée de l’Église ». 

Le déclin de la première race royale préparant l’avènement d’une autre

La première partie du titre concerne les successeurs de Dagobert 1er qui vont régner à partir de 639 et que l’on va appeler « rois fainéants ». Quand j’écris « on », je désigne leurs chroniqueurs voulant justifier la prise du pouvoir de la dynastie suivante, les Carolingiens, et la mettre en valeur, sans oublier d’autres historiens qui au cours des siècles se feront les chantres du pouvoir royal aussi centralisé qu’absolu, ainsi que les historiens républicains qui ont inspiré les livres d’histoire de mon enfance. 

Assez rapidement les premiers rois capétiens se méfièrent des grandes familles aristocratiques, ceux qu’on appelait les grands féodaux, tout comme d’un ministre placé au dessus des autres. 

En 639 une classe aristocratique existe déjà, participe de près ou de loin au pouvoir et nourrit des ambitions sans sentiments d’infériorité vis à vis de la famille régnante ! Après tout, elle est de fraîche date et ressemble beaucoup à la leur. De plus quand Clovis Il doit succéder à son père Dagobert 1er, il n’a que quatre ans. Sa mère Nantilde, qui ne semble pas douée pour la politique, doit exercer la régence en compagnie d’Æga, maire du palais, opposé comme elle à la noblesse bourguignonne. Elle apaise les choses avec lui, mais le fait acclamer par la foule, et mourant dès 642, elle laisse Clovis Il encore enfant, seul avec un maire du palais très populaire, et qui entend bien profiter de la disparition de la régente. Il commence par choisir une épouse au roi, une esclave anglo-saxonne, la future sainte Bathilde, qui lui donnera trois fils. Il ne voulait pas lui faire contracter un mariage trop glorieux et le roi meurt à 22 ans, après avoir sombré dans la folie ; mais cela n’empêchera pas les trois fils de régner dans un royaume partagé. L’un des trois, Clotaire III, récupérera le titre de roi des Francs, mais il va se trouver devant un maire du palais plus ambitieux que d’autres, Ébroïn. Sa mère, Bathilde, pouvant cependant régner à ses côtés en s’appuyant sur les évêques, abolit l’esclavage pour les Francs chrétiens et diminua les impôts. Elle fut tellement populaire, que cela décida Ébroïn de la faire entrer dans un monastère, profitant de l’assassinat de son principal conseiller, l’évêque de Paris Sigebrand en 665. Le roi mourut à 23 ans, en 673, sans héritier, et son frère Thierry IlI lui succéda.

Obstacles à l’avènement d’une solide monarchie

Ces quelques exemples des règnes de ceux qu’on appellera très vite les rois fainéants peuvent déjà montrer, avec la fonction de maire du palais, les difficultés de l’établissement d’une réelle monarchie. À cette époque, il n’y a que deux pouvoirs stables pour faire avancer cette entreprise, l’Église catholique et la fidélité réciproque qui l’a liée depuis Clovis à la famille des Mérovingiens. Les obstacles viennent de la succession des rois qui maintiennent un partage du territoire, modalité devenue dangereuse. Je dis « devenu », car une aristocratie s’est créée et estime qu’elle a intérêt à maintenir ces partages, sources de divisions. Et le deuxième obstacle est l’institution d’un maire du palais, par région éventuellement, un procédé convenant à l’aristocratie pour contrôler les affaires du royaume, sans trop se mettre en avant. Si on laisse le roi être ce qu’il est, même faible, il est symbole d’unité grâce à l’Église, et le maire du palais supplée à ses supposées faiblesses. On veut bien lui concéder une certaine puissance, mais pas trop, pas au point de faire de l’ombre à la grande aristocratie régionale qui l’a fait nommer et qui le considère plus comme son fondé de pouvoirs, que comme celui du roi. Ce système suffira à sauvegarder la liberté des grands propriétaires, qu’on appellera les grands féodaux, tant que la Gaule, assemblage de régions, ne sera pas sérieusement menacée. Mais il faut que le roi se contente d’exercer un pouvoir très limité et que le maire du palais ne soit pas trop ambitieux. 

La figure emblématique du maire du palais

Et c’est de ce dernier personnage que les problèmes vont venir, car c’est lui qui se trouvait dans la position la plus inconfortable. Grisé par ses succès sous le règne de Clotaire IlI, le maire du palais Ébroïn qui avait réussi à cloîtrer la reine Bathilde, va susciter l’inquiétude chez les grands du royaume dès l’avènement de Thierry IlI en 673. Une révolte a lieu et le roi et son maire du palais sont tonsurés et envoyés au couvent. Childéric Il, roi d’Austrasie succède à son frère. Mais Childéric est assassiné deux ans plus tard (675). Ébroïn en profita pour s’enfuir de son couvent et régla ses comptes : il élimina le nouveau maire du palais, restaura Thierry IlI, fit mettre à mort l’évêque Léger accusé de complicité dans l’assassinat de Childéric. Puis, il renversa Thierry, et installa un roi de sa « fabrication » Clovis III qu’il osa faire passer pour un fils de Clotaire III, alors qu’on savait que ce dernier n’avait pas eu d’enfants. C’était bien évidemment trop, Ébroïn avait perdu tout sens de la mesure. L’Aquitaine et l’Austrasie se détachèrent du royaume franc. Ébroïn ne se laissa pas démonter pour autant et s’attaqua aux rebelles en remportant une victoire sur Pépin de Herstal maire du palais d’Austrasie en 680. Auparavant il avait quand même eu la sagesse d’abandonner Clovis III et de rétablir le roi légitime Thierry III. Mais il en avait trop fait, et les grands ne le lui pardonnèrent pas. Il sera assassiné en 684 par Ermenfroi, un noble qu’il avait honteusement volé. 

C’est le principal adversaire qu’il avait vaincu quelques années auparavant qui va profiter de la situation et de la leçon, à savoir Pépin de Herstal, chef de famille des Warratonides, les futurs Carolingiens. Maire du palais d’Austrasie et de Neustrie, il va étendre ses conquêtes au-delà du royaume franc, en délaissant le sud. Il s’attaque à des gens extérieurs au royaume, ce qui rassure la noblesse franque. De plus, il veille à christianiser les régions conquises. Il crée par exemple l’évêché d’Utrecht. Il meurt en 714, son pouvoir est disputé par ses fils et c’est Charles, fils d’une de ses concubines qui va l’emporter. Mais il est contesté à cause de sa naissance et la femme légitime, Plectrude prend la tête de la révolte. Les nobles Neustriens font alors sortir d’un couvent un « Mérovingien » qu’on couronnera sous le nom de Chilpéric Il, vraisemblablement un moine du nom de Daniel, qui aura son maire du palais. Ils seront vaincus tous deux par Charles Martel en 717 qui installa un Mérovingien, Clotaire IV en Austrasie pour légitimer son combat. Hélas, ce roi a la mauvaise idée de mourir en en 719. Entre temps Charles s’est réconcilié avec Eudes d’Aquitaine et Chilpéric et peut alors le rappeler pour en faire le roi. Ce dernier, Chilpéric, meurt en 721 et Charles continue la tradition, ce qui montre au passage, qu’elle était solide, en appelant au trône un autre jeune Mérovingien Thierry IV (fils de Dagobert IlI). Tout en gardant l’entière réalité du pouvoir, il va faire la guerre à l’extérieur comme son père et apparaît comme défenseur du royaume, ayant passé plusieurs fois le Rhin. Il s’avérera surtout comme le défenseur du royaume franc et de l’Europe chrétienne contre les musulmans : les armées omeyyades venues d’Espagne étaient arrivées jusqu’à Bordeaux qu’elles avaient pillée, sous la conduite d’un guerrier brillant, Abd al Rahmân. La rencontre eut lieu aux alentours de Poitiers le 25 octobre 732. Pour payer son armée, Charles avait dû s’emparer de biens d’Église. En faisant sa jonction avec Eudes, duc d’Aquitaine, il dirige une armée de 30 000 hommes. La victoire sera totale et le chef musulman tué au cours du combat. En 739, Charles devra reprendre la lutte contre l’invasion islamique en Provence, et c’est son fils Pépin le Bref qui chassera de cette région les derniers musulmans. L’importance de cette bataille a donné lieu à des polémiques qui continuent toujours, plus pour des raisons idéologiques qu’historiques. Il n’empêche que cette action guerrière contre ceux qu’on appelait les infidèles, tout comme les guerres au nord et à l’est de la Gaule contre les Barbares non-chrétiens vont donner à la famille des Pépinides une importance telle, qu’elle va pouvoir succéder aux Mérovingiens sans guerre civile ou clanique. 

Une définition politico-religieuse de la nature du pouvoir précède l’avènement de la deuxième race 

Les victoires militaires et la renommée de Charles Martel auraient pu l’inciter à se faire roi. Il avait l’appui de l’Église et une gloire connue du peuple. Il eut la sagesse de n’en rien faire, parce que, se trouvant tout près du pouvoir, il avait pu constater l’importance de la légitimité, même pour des rois qui ne gouvernaient pas. Quand on a voulu s’opposer à lui, nous avons vu qu’on avait fait ressortir de couvents des « Mérovingiens », dont l’ascendance n’était pas toujours certaine, (Chilpéric Il, par exemple). Aussi Charles Martel avait-il eu l’habileté de faire sortir d’un couvent un autre Mérovingien, Thierry IV qu’il proclame roi de Neustrie et d’Austrasie (il le restera jusqu’à sa mort en 737) ce qui lui vaut d’être nommé maire du palais. À la mort du roi Thierry, il n’installe pas de Mérovingien, ni aucun autre roi mais ne s’empare pas pour autant de la couronne. Il sent que les choses ont changé, mais il hésite tout de même et à juste titre. Il mourra en 741, comme maire du palais, ses deux fils seront immédiatement acclamés comme son successeur, d’autant plus qu’ils ne se querellent pas et montrent qu’ils vont travailler ensemble dans la continuité de l’œuvre de leur père : la consolidation des frontières et la réforme de l’Eglise, réclamée par beaucoup d’évêques dont Saint Boniface. Les fils de Charles Martel, Pépin le Bref et Carloman ne se voient donc pas contester le pouvoir à la mort de leur père. Personne d’autre qu’eux n’auraient pu être acclamé. Mais cette emprise grandissante suscite des jalousies et en l’espace de deux ans ils seront attaqués sur leur légitimité ! Les deux maires du palais reprennent alors les vieilles recettes et confirment par là même le bien fondé des hésitations de leur père Charles à se faire proclamer roi. Ils font sortir d’un couvent Childéric IlI, présenté comme Mérovingien mais sur l’ascendance duquel les historiens ne sont toujours pas d’accord. 

La genèse du sacre 

À l’époque il n’y avait pas de doute sur la légitimité de Childéric, ce qui montre que la succession héréditaire avait bien supplanté l’élection. Et le temps va jouer en faveur des Pépinides. Pépin va pouvoir faire un beau mariage avec la fille du duc de Laon, Berthe « au grand pied ». Comme elle lui donna une descendance, son frère Carloman se sentit libre de suivre sa vocation religieuse et entra au couvent en 747. Pépin fut seul à exercer le pouvoir, très au fait des affaires religieuses par sa grande proximité des évêques, il comprit que le pape allait avoir besoin de lui contre les Lombards ariens et que la querelle iconoclaste qui sévissait en Orient empêcherait tout secours de l’empereur Constantin V. Pépin se décida alors à consulter le pape Zacharie, par le biais d’une ambassade pour savoir si, selon lui il était préférable que ce soit celui qui détenait véritablement le pouvoir qui devait porter le titre de roi, ou un roi qui ne gouvernait pas. Le pape répondit en faveur de celui qui gouvernait effectivement. Pépin déposa alors Childéric en 751, et le fit rentrer au couvent. Ayant reçu les acclamations des nobles francs et des évêques, Pépin se fit sacrer à Soissons la même année par l’archevêque de Mayence, Boniface : il reçut l’onction du Saint-Chrême, en dehors des sacrements institués (il était déjà baptisé) au cours d’une cérémonie spéciale, le sacre, qui sera immédiatement suivi du couronnement. Il inaugure ainsi une pratique qui sera observée jusqu’en 1825. 

Pépin comprit néanmoins que cela ne suffisait pas pour établir une légitimité durable, et là il fut grandement aidé par ce qu’il savait de l’expérience de son père et la sienne. Un conseil de la papauté lui avait permis de sauter le pas que son père n’avait pas osé faire. Mais il lui fallait plus qu’un conseil, il avait besoin d’être en communion avec une légitimité incontestable qui authentifie la sienne. 

Garante de la légitimité, l’alliance avec la papauté

Le pape Zacharie lui avait ouvert une porte. Il eut l’intelligence de comprendre qu’il ne s’agissait que d’une étape, importante certes, mais pas suffisante pour ce qu’il projetait. La communion entre le successeur de Pierre et celui qui avait pour ambition de construire un pays lié directement à la paternité de l’évêque de Rome ne pouvait pas être fondée que sur un simple conseil politique et diplomatique ! La valeur accordée à l’hérédité, en vue de la légitimité, devait comporter une dimension religieuse plus grande. La cérémonie du sacre de Pépin à Soissons prouve que les principaux protagonistes de l’accession de Pépin à la royauté en étaient conscients. Mais les représentants du « religieux » qui y avaient agi étaient des évêques dépendant de Pépin ! C’est la décision du nouveau pape Étienne II en 752 qui fit avancer la question d’une manière durable, puisqu’à titre d’un seul exemple, le sacre de Napoléon 1er en fut une lointaine conséquence en 1804 ! D’autres considérations politiques n’étaient certes pas absentes, mais elles faisaient converger vers une seule solution : la nécessité absolue pour la papauté d’être protégée par le royaume franc. 

La querelle iconoclaste se poursuivait avec violence en Orient, l’empereur considérant comme de l’idolâtrie la vénération des icônes. Il faudra attendre le concile de Nicée Il en 787 pour que l’hérésie soit condamnée, ce qui n’empêchera pas cette hérésie de reprendre de 814 à 843. Le pape ne pouvait donc toujours pas compter sur l’appui de l’Orient pour le défendre contre les Lombards ariens. Étienne Il comprit que la liberté de l’Église catholique, et son rayonnement dépendaient de l’attribution d’États dont l’évêque de Rome serait le chef temporel. Il ne serait donc le sujet de personne, et en défendant leur frontière avec d’autres pays alliés, il défendrait la liberté de l’Église. Mais ce qui apparaîtra relativement vite comme une évidence, aussi utile que nécessaire pour tous les pays catholiques exigeait une initiative. 

Étienne Il va donc lui-même se rendre auprès de Pépin qui prendra soin de lui envoyer un guide et de l’accueillir à son palais de Ponthion en Champagne. Pépin confirmera la suzeraineté du pape sur les territoires qui entourent Rome, il y ajoutera l’exarchat de Ravenne à conquérir sur les Lombards (ce qui nécessitera deux guerres, malgré de réelles discussions diplomatiques, Astolfe, le roi des Lombards s’étant montré d’une mauvaise foi et particulièrement cynique). À partir du VIIIe siècle, la papauté se servira de la Donation de Constantin qui se révélera être un faux, mais augmentera ses territoires, très souvent appuyée par la France, jusqu’à leur assimilation au royaume d’Italie en 1870.  Quant au pape, il sacra une nouvelle fois Pépin à l’abbaye royale de Saint-Denis en 754, ainsi que sa femme et ses deux fils, le futur Charlemagne et son frère Carloman. C’est au cours de la cérémonie que le pape proclama Pépin « défenseur de l’Église », et son « compère en esprit », et ses deux fils comme « ses fils spirituels ». Et à la fin de ses campagnes victorieuses contre les Lombards le pape décernera à Pépin le titre de « Protecteur, Fils aîné de l’Église, et de Roi Très Chrétien ». 

Et le lien entre sainte Pétronille et la royauté française est la conséquence de la désignation de Charlemagne et de Carloman comme fils spirituels du pape. Après 800, ils seront appelés fils adoptifs de saint Pierre, lequel avait comme fille adoptive Pétronille. Elle deviendra tout naturellement patronne des rois de France et aura dans la basilique Saint-Pierre de Rome une chapelle particulière qui sera propriété de la France. Une messe y est toujours dite tous les 31 mai pour la France et tous les français. Dès 800, avec la vénération de sainte Pétronille, l’image de la France comme « fille aînée de l’Église » s’impose clairement et ne fera que s’affirmer par la volonté de certains Papes, mais aussi de quelques uns de nos rois. 

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

Le Père Michel Viot a développé ces sujets dans deux livres édités aux éditions Via Romana, « L’heure du royaume de France est-elle venue ? », et « La France a besoin d’un Roi ». 

Illustration : François Dubois (peintre du XIXe siècle), Couronnement de Pépin le Bref, Musée national, Château de Versailles, détail © Wikicommons, G.Garitan

 

Lisez aussi :

France, Fille aînée de l’Église, 1re partie

France, Fille aînée de l’Église, 3e partie

France, Fille aînée de l’Église, 4e partie

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie

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