Saint-Exupéry @ DP

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« L’éternelle jeunesse » de Saint-Exupéry, dans L’Osservatore Romano

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120 ans après sa naissance

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« Les grands auteurs de littérature sont toujours jeunes, parce que leurs œuvres traversent le temps et ont quelque chose d’actuel à dire à la génération présente » : à l’occasion du 120ème anniversaire de la naissance d’Antoine de Saint-Exupéry, le quotidien en italien du Vatican rend hommage à l’écrivain dans un article d’Enzo Romeo intitulé « L’éternelle jeunesse d’Antoine ».

Ce « compagnon de voyage », « rempli de passion et de feu intérieur, capable de nous guider sur des sentiers fascinants à la découverte du cœur humain », cet « explorateur de l’absolu, à la recherche de quelque chose qui remplisse de sens son existence », analyse Enzo Romeo, « fut certainement l’interprète des inquiétudes de l’homme moderne, de son nomadisme spirituel et de cette beauté insaisissable dont il éprouve une profonde nostalgie ».

Voici notre traduction de l’article paru dans L’Osservatore Romano du 28 juin 2020.

HG

 

L’éternelle jeunesse d’Antoine

Les grands auteurs de littérature sont toujours jeunes, parce que leurs œuvres traversent le temps et ont quelque chose d’actuel à dire à la génération présente. C’est le cas d’Antoine de Saint-Exupéry : cent-vingt ans après sa naissance, nous le percevons encore comme un compagnon de voyage, un peu “foufou“ et casse-cou, mais rempli de passion et de feu intérieur, capable de nous guider sur des sentiers fascinants à la découverte du cœur humain.

Saint-Exupéry vint au monde à Lyon le 29 juin 1900, dans une famille de vieux lignage. C’était le milieu de la petite noblesse de province, monarchique et catholique, désormais en décadence en ce début de siècle. A l’âge de quatre ans il perd son père, mort brutalement d’un accident vasculaire cérébral, mais il eut cependant une enfance sereine, surtout grâce à la présence de sa maman, Marie, femme profondément religieuse, pleine de charité et de sensibilité artistique. La magie de l’enfance fut précisément l’un des éléments d’inspiration majeure dans la littérature et la pensée de Saint-Exupéry. Dans Pilote de guerre (1942), il écrit que l’enfance est le « grand territoire d’où chacun est sorti ».

Il fit ses études chez les frères des Ecoles chrétiennes, les jésuites et les pères marianistes mais, pour lui, amateur de vol, les « dogmes » religieux étaient des choses inutiles qui empêchaient l’esprit de planer librement dans l’air. Il servit comme pilote sur la ligne Paris-Dakar et fut même chef d’escale dans un lieu perdu sur la côte atlantique, aux confins du Sahara. En Argentine, il lança les premières liaisons aériennes avec la Patagonie ; c’est là qu’il connut sa femme, Consuelo Suncin, qui le poussa à se lancer dans l’écriture. Elle sera la rose « unique au monde » de qui prendre soin, en dépit de mille trahisons et contradictions. Le succès de Courrier Sud, en 1929, consacra Saint-Exupéry comme écrivain, activité qu’il ne dissocia jamais de celle d’aviateur. Les multiples et souvent dramatiques aventures de vol alimentèrent sa production littéraire, offrant symboles et substance. Outre les récits déjà évoqués, sa production comprend aussi Vol de nuit (1930), Terre des hommes (1939) et Le petit prince (1943). Citadelle (1948), récit élégiaque où l’on peut trouver de nombreuses métaphores sur l’homme et sur Dieu, est une œuvre posthume.

Ses raids aériens exprimaient sa volonté de s’élever au-dessus des choses, de tout regarder d’en-haut et d’avoir une vision purifiée de la vie. La Terre retrouvait sa beauté harmonieuse, enfin réconciliée avec le Ciel : « Les montagnes, les éclairs, le sable, voilà mes dieux familiers » (Lettre à Nelly de Vogüé, 1937). Les longs voyages, surtout de nuit, étaient un lavage de l’âme ; les détails de la superficie terrestre disparaissaient et seule la lumière des étoiles restait visible ; toutes les préoccupations que l’on croyait capitales étaient peu à peu effacées.

Chez Saint-Exupéry, la solitude féconde du ciel rencontrait celle, tout aussi prolifique, du désert. Lorsqu’en 1927 il fut affecté à la petite escale du Sahara, il put faire sa « cure de silence » (Lettre à Henry de Ségogne), dans un lieu où tout avait une signification différente et où l’on devenait presque des esprits désincarnés. Une expérience transcrite dans la fable du Petit Prince. Le dialogue entre le petit homme et le pilote se situe parmi les dunes, alors qu’ils cherchent une source où se désaltérer : « Qu’il s’agisse de la maison, des étoiles ou du désert, ce qui fait leur beauté est invisible ». Cette phrase renvoie à une autre, très célèbre : « L’essentiel est invisible pour les yeux » : une invitation à chercher la source d’eau jaillissante, cachée en quelque endroit de notre désert personnel. Le désert est également le lieu où Saint-Exupéry écrivait pendant de longues heures, assis dans une cellule, tel un moine cloîtré. Il aimait en effet le chant grégorien et disait qu’il voulait se retirer un jour dans le monastère bénédictin de Solesmes, dans la Loire. Il percevait inconsciemment que là, et seulement là, il y avait quelque chose d’important et d’inexprimable, capable de donner à sa vie une plénitude.

Lorsque la seconde guerre mondiale éclaté, Saint-Exupéry servit comme pilote de reconnaissance : il ne voulait pas tuer, mais il éprouvait le devoir d’apporter sa contribution à sa patrie menacée par le nazisme. La capitulation de la France le mena à l’exil volontaire à New York, où il écrivit Le petit prince, avant de repartir aussitôt sur le front en Afrique du nord. Malgré la limite d’âge, il parvint à entrer dans son ancienne équipe de reconnaissance aérienne. Il avait conscience qu’il mettait sa vie en danger, notamment en raison de sa condition physique, devenue précaire en raison de tous les accidents qu’il avait connus dans sa carrière. Son ami commandant chercha en vain à le convaincre de ne pas voler ; mais Saint-Exupéry expliqua qu’il ne pouvait pas rester chez lui en pantoufles tandis qu’en France ses lecteurs risquaient d’être déportés. Il avait déjà vu la mort de près et n’avait pas peur de l’affronter. « Mourir n’est rien quand on sait pour qui on meurt », disait-il. « On meurt pour un peuple, par amour, pour l’homme ». Son avion fut abattu au large de Marseille le 31 juillet 1944 et l’on ne retrouva jamais son corps.

Pendant les dernières années de sa vie, la guerre, la vision d’une humanité aveuglée par la haine fratricide l’avaient conduit à repenser à ces valeurs – humaines et religieuses – qui avaient nourri son enfance et sa jeunesse. Laissées de côté bien que jamais oubliées, elles lui apparaissaient utiles, en cette circonstance, pour sauver la civilisation menacée par la barbarie. Au fond, se disait-il, pour quoi ses compagnons de patrouille tombés en mission avaient-ils offert leur vie, sinon pour un certain goût des fêtes de Noël ? « Le sauvetage de cette saveur-là, dans le monde, lui semblait justifier le sacrifice de leur vie. Si nous avions été le Noël du monde, le monde se fût sauvé à travers nous » (Pilote de guerre, chapitre XXIV). Et lorsqu’il voulut exprimer le concept de responsabilité, il rappela l’holocauste de Jésus qui, bien qu’innocent, s’est sacrifié pour tous : « Je comprends pour la première fois l’un des mystères de la religion dont est sortie la civilisation que je revendique comme mienne : “Porter les péchés des hommes…“. Et chacun porte tous les péchés de tous les hommes » (ibidem).

Saint-Exupéry fut un explorateur de l’absolu, à la recherche de quelque chose qui remplisse de sens son existence. Si ce « quelque chose » recherché par l’auteur du Petit prince était Dieu, et en particulier le Dieu des chrétiens, cela restera à jamais un mystère ». Le pilote-écrivain fut certainement l’interprète des inquiétudes de l’homme moderne, de son nomadisme spirituel et de cette beauté insaisissable dont il éprouve une profonde nostalgie.

 

Dans l’attente du jour sans réponse

Seigneur, je cherche à tâtons tes divines lignes de force.
J’avance vers toi à la manière de l’arbre

qui se développe selon les lignes de force de sa semence.

L’aveugle ne sait rien du feu.

Mais il y a, dans le feu, des lignes de force sensibles aux paumes des mains.

Et il marche à travers les ronces, puisque toute transformation est douloureuse.

 

Seigneur,

J’avance vers toi, par ta grâce, sur la pente qui fait devenir.

Je n’espère pas être éclairé par les pathétiques apparitions des archanges,

parce qu’ils ne me diraient rien qui vaille la peine.
Je demande un indice dans le désert de l’abandon.

Je marche en formulant des prières qui ne sont pas exaucées

et pourtant je te loue, Seigneur, pour le fait que tu ne me répondes pas,

puisque, si je trouve ce que je cherche, Seigneur, j’ai fini de devenir.

 

Seigneur,

Je sais qu’être sage ne signifie pas donner une réponse

et qu’aimer signifie ne plus poser aucune question.
Le silence est le port du bateau

et le silence de Dieu est le port de tous les bateaux.

La prière est fertile dans la mesure où Dieu ne répond pas.
Tu ne fais pas le noviciat de l’amour en l’absence de l’amour.

Ce sont les silex et les ronces qui alimentent l’amour.

 

Seigneur,

Quand un jour tu rangeras dans le grenier ta Création,

ouvre-nous grand les portes et fais-nous pénétrer là où nous ne recevrons plus de réponse,

parce qu’il n’y aura plus aucune réponse à donner,

mais seule, la béatitude, solution à chaque question et visage qui apaise.

(Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle)

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

 

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Hélène Ginabat

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