Le prof. Guy Coq à l'UNESCO © Mission du Saint-Siège

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UNESCO: don Primo Mazzolari et Emmanuel Mounier, par le prof. Guy Coq

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L’économie dominée par la logique de l’argent c’est «le désordre établi»

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« C’est avec joie que je salue cette rencontre autour de Primo Mazzolari à laquelle la pensée d’Emmanuel Mounier est conviée. J’ai choisi d’évoquer six thèmes importants de l’œuvre de Mounier dont je pense qu’ils ont éclairé le chemin de Primo Mazzolari »: le prof. Guy Coq a introduit ainsi son exposé, mercredi 29 novembre 2018, à l’UNESCO, à Paris (France) dans le cadre du colloque intitulé:
Nous avons publié l’intervention du cardinal Parolin, jeudi, 30 novembre.
« Mounier, a expliqué notamment M. Guy Coq, dénonce une certaine évolution de l’économie : le bénéfice tiré de la spéculation a remplacé le « profit industriel ». Cet état de fait où l’économie est dominée par la logique de l’argent est ce que Mounier nomme précisément « le désordre établi ». C’est le coût humain de cette dérive qui soulève un radical refus chez Mounier ; ce coût, c’est la montée de la misère, l’écrasement des pauvres. »
Plus loin, il évoque la logique de l’Incarnation: « Mounier lui-même insiste : « Il y a dans le christianisme un impératif de présence au temporel, religion de l’universelle imitation du Christ incarné, le christianisme commande à l’homme une présence active à tout le temporel ». »
Il cite encore: « Ainsi le christianisme apporte plus aux œuvres des hommes les plus extérieures quand il croît en intensité spirituelle que quand il se perd en tactique et en aménagement ».
Sous le patronage de l’UNESCO et en collaboration avec la fondation « Don Primo Mazzolari », la Mission d’Observation permanente du Saint-Siège auprès de l’UNESCO et le diocèse de Crémone (Italie) ont organisé un colloque international sur ce prêtre catholique, né en 1890 et décédé en 1959, « grande figure du catholicisme italien, Résistant, et fondateur de la revue « Adesso » ».
Les organisateurs précisent: « Contemporain d’Emmanuel Mounier (1905-1950), philosophe et fondateur du personnalisme communautaire et visionnaire avant l’heure, Don Primo Mazzolari fut un précurseur du modèle de rapport Eglise-monde exprimé par le concile Vatican II dans la Constitution pastorale « Gaudium et Spes ». Il agit pour une pensée sociale, proche des pauvres et des valeurs de paix, accompagnant l’UNESCO engagée dans son objectif de bâtir la paix dans l’esprit des hommes et des femmes d’aujourd’hui. »
Le colloque a été présenté par Mgr Francesco FOLLO, Observateur Permanent du Saint-Siège à l’UNESCO. Le Directeur général adjoint de l’UNESCO, M. XING QU, a présenté le point de vue de l’UNESCO sur l’événement. Mgr Antonio NAPOLIONI, évêque de Crémone, le Prof.Guy COQ, président honoraire de l’association “Amis d’Emmanuel Mounier”, Mme  Mariangela MARAVIGLIA, membre du comité scientifique de la Fondation “Don Primo Mazzolari”, et Don Bruno BIGNAMI, président de la Fondation “Don Primo Mazzolari” sont également intervenus.
AB
Intervention du prof. Guy Coq
C’est avec joie que je salue cette rencontre autour de Primo Mazzolari à laquelle la pensée d’Emmanuel Mounier est conviée. J’ai choisi d’évoquer six thèmes importants de l’œuvre de Mounier dont je pense qu’ils ont éclairé le chemin de Primo Mazzolari.
Dans ce choix j’ai été aidé par Bruno Bignami que je remercie.
I
Mounier penseur de la crise
On l’oublie trop souvent : l’essor de la pensée de Mounier est contemporain de la crise de 1929. Dès la fondation de la revue Esprit en 1932, il inclut la crise économique dans la crise globale, une crise de civilisation. La chose est évidente dès le premier article qu’il signe dans Esprit : refaire la Renaissance. Un style de civilisation né à la Renaissance est en bout de course. La force de Mounier est de discerner, dans cette crise totale, deux plans distincts mais en interaction : le plan anthropologique et le plan économique.
Sur le plan anthropologique, l’homme occidental a été « façonné par l’individualisme renaissant et il l’a été pendant quatre siècles, autour d’une métaphysique, d’une morale, d’une pratique de la revendication ». La métaphysique de l’individu a eu, à la longue, des effets redoutables sur le plan collectif, sur la possibilité d’un monde commun. Les individus « ont démarqué, vidé, encerclé toute réalité collective à leur image. L’univers humain, sous leurs effets anarchiques, s’est détendu en une poussière de mondes clos : professions, classes, nations, intérêts économiques. La liberté individuelle est devenue : « Laissez faire, laissez passer : laissez faire, laissez passer le plus fort »…
Mounier dénonce une certaine évolution de l’économie : le bénéfice tiré de la spéculation a remplacé le « profit industriel ». Cet état de fait où l’économie est dominée par la logique de l’argent est ce que Mounier nomme précisément « le désordre établi ». C’est le coût humain de cette dérive qui soulève un radical refus chez Mounier ; ce coût, c’est la montée de la misère, l’écrasement des pauvres. La solidarité de Mounier avec le prolétariat a une source spirituelle. Dans l’avant-propos de Révolution personnaliste et communautaire Mounier voit « le corps brisé du prolétariat comme un Christ en croix ».
Du coup, on peut bien mieux comprendre pourquoi Mounier récuse l’anticommunisme quand celui-ci est consentement au sort des travailleurs. Il refuse les solutions appliquées par le système soviétique et la philosophie de l’histoire portée par le marxisme. Ses engagements ont deux points d’appui : d’une part le fait que « des communistes ont la confiance des pauvres », d’autre part, dit Mounier : « mon Évangile est l’évangile des pauvres ».
II
La personne au centre
L’individualisme repose sur une vision appauvrie de la réalité humaine. Emmanuel Mounier le récuse, parce qu’il voudrait saisir l’humanité dans sa complétude. La personne est donc, avant tout, le nom d’un effort pour dire de manière exacte la globalité de l’être humain. Certains termes qu’on lui préfère souvent sont en fait des réductions, des mutilations de la personne. Celle-ci dépasse la conscience, car elle est corps et esprit inséparablement : « l’homme est un corps au même titre qu’il est esprit, tout entier corps et tout entier esprit. »
En opposant ci-dessus le mouvement qu’est la personne, aux instances qui tendent à la figer : moi, sujet, personnalité, on rejoignait déjà un terme essentiel dans la description de la personne : la transcendance. Il y a dans la personne un mouvement de dépassement de soi qui se déploie sous trois formes. C’est tout d’abord un mouvement de dépassement de soi vers soi-même dans un effort jamais achevé, toujours remis en cause, d’unification.
Mais en même temps, ce mouvement est dépassement de soi vers autrui, une sortie de soi, construction de la personne à travers la qualité de ses relations avec l’autre personne. Enfin la transcendance vers soi-même, vers autrui serait brisée si la personne n’était pas transcendance vers les valeurs.
Le mouvement de dépassement, de transcendance de soi-même vers soi-même est unification de soi-même. Et ce qui oriente et impulse ce mouvement, c’est la quête de ma vocation.
« Ma personne est en moi la présence et l’unité d’une vocation intemporelle qui m’appelle à me dépasser indéfiniment moi-même, se dévoile dans le mouvement et opère, à travers la matière qui la réfracte, une unification toujours imparfaite, toujours recommencée des éléments qui s’agitent en moi. »
Cette vocation n’est pas donnée d’emblée, elle se dévoile dans le mouvement même qui la recherche : « La mission première de tout homme est de découvrir progressivement ce chiffre unique qui marque sa place et ses devoirs dans la communion universelle et de se consacrer, contre la dispersion de la matière, à ce rassemblement de soi ».
Ce chiffre unique évoque un message codé à déchiffrer. C’est aussi tout un travail de découverte de cette vocation, comme sens de la présence unique d’un être dans le monde. S’agit-il d’un mystère ? Dix ans après le texte précédent, Mounier adopte cette formule d’un mystère : « La personne est la protestation du mystère ». Il est « la présence même du réel, aussi banal, aussi universel que la Poésie à qui plus volontiers il s’abandonne. C’est en moi que je le connais plus purement qu’ailleurs, dans le chiffre indéchiffrable de ma singularité, car il s’y révèle comme un centre positif d’activité et de réflexion, non pas seulement comme un réseau de refus et de dérobades ». On le remarque ici : « le chiffre indéchiffrable » est celui de l’unicité d’un être, unicité qu’on ne peut expliquer.
« La personne prend conscience d’elle-même non pas dans une extase, mais dans une lutte de forces. La force est un de ses principaux attributs. »
Et la logique même de l’amour accorde valeur à la force : « L’amour est lutte, la vie est lutte contre la mort ; la vie spirituelle est lutte contre l’inertie matérielle et le sommeil vital ». La force nécessaire peut aller jusqu’au risque de la vie : « Une personne n’atteint sa pleine maturité qu’au moment où elle s’est choisie des fidélités qui valent plus que la vie ». Le mouvement de progrès dans la société suppose la lutte des forces : « Le droit est un essai toujours précaire pour rationaliser la force et l’incliner vers le domaine de l’amour ».
III
La communauté nécessaire
Par souci de clarté, nous devrions dire aujourd’hui : la communauté selon Emmanuel Mounier exclut tout communautarisme. Parce que fondée sur la personne, elle est ouverture à tout homme.
Si Emmanuel Mounier invente l’expression « personnalisme communautaire », c’est bien parce que pour lui, une personne n’est vraiment elle-même que dans sa participation à telle ou telle communauté. Il est remarquable de constater que dès le début de son œuvre, Mounier aborde la question d’autrui, du prochain à partir de la critique de communautés qui n’en n’ont que le nom.
C’est le nous qui intervient d’emblée entre je et tu. Mais il y a du « je » qui précède le « nous ». Et le je n’est pas lui-même sans le nous. Cela entraîne la possibilité pour le je de s’accomplir comme je dans le nous. Un peu plus loin, le texte précise encore ce rapport je-nous : « Le nous, réalité spirituelle consécutive au je, ne naît pas d’un effacement des personnes, mais de leur accomplissement ». Le nous de la communauté naît de la relation entre deux personnes. La communauté se construit comme tissu de relations interpersonnelles. Un « nous communautaire un peu ample est formé d’autres nous deux, nous trois, etc., croisés à l’infini ». On pourrait dire que c’est l’existence du maximum de relations interpersonnelles qui constitue la communauté, la présence de beaucoup de relations je-tu.
La cohérence de la pensée pourrait se résumer ainsi : pas de communauté vraie sans relations entre des personnes, relations elles-mêmes nécessaires à la constitution de chaque personne.
Les deux, personne et communauté, sont réfléchies simultanément. C’est l’amour qui construit l’unité de la communauté : « Sans lui, les personnes ne parviennent pas à devenir elles-mêmes. Plus les autres me sont étrangers, plus je suis étranger à moi-même. Toute l’humanité est une immense conspiration d’amour penchée sur chacun de ses membres. Mais il manque parfois des conspirateurs ».
La communauté est véritablement le second pilier de la philosophie de la personne élaborée par Mounier. Une formule marque clairement le lien personne-communauté : « Nous trouvons donc la communion insérée au cœur même de la personne, intégrante de son existence même ».
Remarquons que Mounier présente comme nécessaire à la personne à la fois la relation interpersonnelle et la communauté, et cela se comprend dès lors qu’on a retenu que la relation interpersonnelle est constitutive de la communauté.
IV
Une philosophie de l’engagement
« L’homme est un corps au même titre qu’il est esprit, tout entier ‘corps’ et tout entier ‘esprit’. L’un ne va jamais sans l’autre ; il n’y a pas un aspect du corps qui ne serait que corps, ni un aspect de l’esprit qui ne serait qu’esprit. C’est le pôle individuel de la personne, ce lien à la dispersion dans la matière « individualisée ou, ce qui revient au même, matérialisée » qui rend nécessaire l’engagement.
L’engagement a plusieurs formes : il est humain, éthique, politique, spirituel selon la dimension de l’action qui domine. Mais aucune forme de l’engagement ne peut être pensée de manière totalement indépendante par rapport aux autres. La force de Mounier est d’avoir compris la nécessité de penser les engagements dans leur globalité, certes, en les distinguant, mais en même temps dans leur liaison, au niveau de l’unité personnelle de chaque être.
Mounier expose une tension très éclairante entre l’action politique et l’action prophétique. La première, même si interviennent toutes les dimensions de l’action, est soumise à des urgences où s’imposent des décisions efficaces. La seconde dépasse les contraintes immédiates et les limites de l’action politique pour affirmer, au nom des valeurs, la nécessité de faire progresser la conscience collective, de sorte que des objectifs, maintenant hors de portée, s’imposeront de manière évidente et nécessaire à la conscience collective. Cette tension oppose deux types d’engagement : le politique et le prophète ; mais elle traverse aussi bien l’homme engagé dans la politique que l’homme prophète. C’est pourquoi, dit Mounier, le politique en totale rupture avec le prophétique vire au cynisme et le prophète, en totale rupture avec le politique, n’est plus qu’un imprécateur.
De plus, il y a chez Mounier une rigoureuse reconnaissance de ce qu’est la sphère politique. Il ne s’agit pas seulement de lutter pour l’exercice du pouvoir et pour le conserver. L’enjeu du politique, c’est aussi de faire émerger l’intérêt commun, de faire avancer la société vers une meilleure qualité humaine. Le politique a, selon Mounier, une situation intermédiaire entre la sphère économique et la sphère éthique. C’est toujours par l’intermédiaire du politique que l’éthique intervient sur l’économique.
Quant à l’action politique elle-même, Mounier demande qu’on reconnaisse toujours à la fois l’imperfection des fins poursuivies et des moyens utilisés : « Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables sur des causes imparfaites. Refuser pour autant de s’engager, c’est refuser la condition humaine ». L’abstention au nom de la pureté est illusoire : « Le scepticisme est encore une philosophie ; la non-intervention entre 1936 et 1939 a engendré la guerre d’Hitler et ‘qui ne fait pas de politique’ fait la politique du pouvoir établi ».
La conscience de l’imperfection de la cause nous préserve du fanatisme, « c’est à dire de la conviction de vivre en possession d’une vérité absolue et intégrale ». Cette « conscience inquiète » pousse à la critique perpétuelle visant à « une plus grande perfection de la cause ». Aucune cause n’a raison à cent pour cent : « 6 février 1934, Guerre d’Espagne, Front Populaire, Munich, Vichy : il y avait toujours assez de bonnes raisons chez l’adversaire, de sottise et de bassesses chez l’allié, pour risquer d’ébranler non choix ».
Mais, face à l’imperfection des engagements, Mounier dresse un carré de valeurs « pour lesquelles le risque de la vie est légitime. Cette tension entre l’imperfection des fins et des moyens est l’exigence incontournable des valeurs manifeste le caractère tragique de l’engagement selon Emmanuel Mounier.
V
Éthique et valeurs
L’importance de la question éthique dans l’œuvre d’Emmanuel Mounier est trop souvent négligée. L’interrogation sur les valeurs y a une place essentielle. Mais Mounier marque sur ce sujet une rupture avec ses prédécesseurs : il refuse une pensée sur les valeurs qui s’enfermerait dans l’abstraction d’un système ou qui s’en tiendrait à un absolu désincarné.
La solution qu’il propose au statut des valeurs consiste à dégager un lien profond , une radicale solidarité entre la personne et les valeurs. La valeur se situe dans la personne :« Son véritable lieu est le cœur vivant des personnes ». Elle a besoin de la reconnaissance et de l’élan de la personne pour se manifester. C’est l’élan de la personne dans la direction de la valeur qui permet à celle-ci d’exister : « Les personnes sans les valeurs n’existeraient pas pleinement, mais les valeurs n’existent pour nous que par le fiat veritas tua que leur disent ces personnes ».
C’est la reconnaissance de la valeur par la personne qui fait être la valeur. Il y a comme une genèse réciproque entre personne et valeur : la personne elle-même, en effet, a besoin de son engagement vers les valeurs pour exister. Mais elle n’est pas la valeur. Celle-ci est une direction du dépassement de soi. Ce qui compte, c’est le sens du mouvement, de la transcendance, de transcender : « Le verbe est meilleur que le nom ».
Pour Mounier, il n’y a qu’un seul cas où la valeur s’identifie à une personne : « Le personnalisme chrétien va jusqu’au bout : toutes les valeurs se regroupent pour lui sous l’appel singulier d’une Personne suprême ».
Mounier reconnaît qu’il vit de cette foi. Mais en même temps, il propose une pensée philosophique qui s’arrête avant la reconnaissance du Christ comme foyer ultime des valeurs.
L’interaction vitale entre valeur et personne se déploie aussi dans l’analyse de l’intersubjectivité des valeurs et leur présence nécessaire dans l’histoire où elles peuvent s’altérer, se pervertir.
VI
Christianisme et civilisation
Dès le début et avec constance ensuite l’ambition d’Emmanuel Mounier est de « dissocier le spirituel du réactionnaire », de libérer le christianisme de ses compromissions avec les classes dominantes. Deux grandes raisons justifient ce projet : « c’est d’abord le moyen de faire advenir un décisif progrès de civilisation ; c’est aussi travailler à surmonter la cassure entre l’Église et le monde ouvrier et, dans ce but, rendre le message chrétien audible par les plus pauvres, par ces prolétaires voués à la misère. Par cette solidarité avec la misère, Mounier vise à rendre le christianisme enfin en harmonie avec son fondateur.
Ce projet implique une révolution spirituelle pouvant s’accompagner d’une révolution sociale et politique et la rupture définitive avec le rêve de chrétienté, c’est à dire d’une civilisation chrétienne, nominalement. Cet idéal, remarque Mounier, n’était pas inscrit dans la foi des apôtres, ni des premiers siècles du christianisme.
Pour retrouver la fidélité à son Fondateur, le christianisme doit assumer pleinement l’exigence de l’incarnation. Celle-ci impose la totale inscription du spirituel dans le temporel et réciproquement. Dans ce but, Mounier suit la ligne de force marquée par Péguy : distinction claire du spirituel et du temporel, mais coprésence de l’un à l’autre : « Nous n’avons pas à apporter le spirituel au temporel. Il y est déjà. Notre rôle est de l’y faire vivre, proprement de l’y communier. Le temporel tout entier est le sacrement du Royaume de Dieu ».
Mounier lui-même insiste : « Il y a dans le christianisme un impératif de présence au temporel, religion de l’universelle imitation du Christ incarné, le christianisme commande à l’homme une présence active à tout le temporel. ».
Il faudrait prendre le temps de relire ces pages parfois fulgurantes où la prise au sérieux de l’incarnation implique la reconnaissance d’une action de la foi chrétienne dans l’histoire. Cela signifie qu’il n’y a pas deux histoires, l’une temporelle, l’autre spirituelle car le déroulement, même chaotique, de l’histoire, est en même temps progression vers le Royaume : « Ainsi le christianisme apporte t-il plus aux œuvres des hommes les plus extérieures quand il croît en intensité spirituelle que quand il se perd en tactique et en aménagement ».
Mounier insiste : l’Incarnation nous empêche de dire que le « christianisme n’a rien à faire avec les civilisations », mais son action « n’est pas directement orientée à l’œuvre de civilisation ». Il est plutôt question d’aider à l’accomplissement ultime de l’humanité ; à travers le meilleur d’une civilisation, il y a un accès possible au sens ultime de l’humanité.
Il est probable que, dans cette conception des relations du christianisme avec la société et la civilisation, Mounier est en harmonie avec les intuitions les plus fortes de Péguy. Il est clair, en tous cas, que pour Mounier, le christianisme n’est pas lié définitivement à une civilisation. Il va à la rencontre de l’être humain partout et en tous temps quand il essaie de construire une humanité la meilleure possible.
Guy Coq

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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