Colombe de Esprit Saint, gloire du Bernin, Saint-Pierre de Rome, capture CTV

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«Gaudete et exsultate»: Léon Bloy et Joseph Malègue

La sainteté, c’est « pour tous »

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On les attendait et ils sont au rendez-vous: Léon Bloy et Joseph Malègue, ces deux écrivains français que le pape avait déjà cités en 2013 sont présents dans son exhortation apostolique « sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel » intitulée « Gaudete et exsultate » – « Soyez dans la joie et l’allégresse » – publiée ce 9 avril 2018, au lendemain du Dimanche de la miséricorde (premier indice), en la fête de l’Annonciation (deuxième indice)et signée en la « solennité » de saint Joseph, le 19 mars dernier (troisième indice).
Le pape cite aussi d’autres auteurs et saints français comme Vincent de Paul, François de Sales, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld et les moines de l’Atlas. Ce faisant le pape exprime son optimisme foncier, qui vient d’abord de sa confiance dans la miséricorde divine : oui, la sainteté, c’est pour tous ! Et dans les « petites choses » comme le recommandent deux saints souvent cités par le pape, Ignace de Loyola et Thérèse de Lisieux.
Mais il ne s’agit rien moins que de « refléter Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui ».
La vigueur de Léon Bloy
Le vigoureux polémiste, Léon Bloy (1846-1917), originaire de la Dordogne, et mort en région parisienne, à Bourg-la-Reine, a été cité par le pape François dès sa première homélie – « décapante » -, au lendemain de son élection, le 14 mars 2013, devant les cardinaux réunis dans la chapelle Sixtine: il demandait une Eglise qui témoigne du Christ avec audace.
Il avait eu, en italien, cette phrase : « Si nous ne confessons pas Jésus-Christ, cela ne va pas. Nous deviendrons une ONG humanitaire, mais pas l’Eglise, Epouse du Seigneur ». Et il citait Léon Bloy : « Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, me vient la phrase de Léon Bloy : ‘Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable.’ Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon.  »
Dans ce nouveau document, le pape cite « La femme pauvre » de Léon Bloy, à propos de la sainteté, en appelant à « viser haut », sans crainte: « N’aie pas peur de viser plus haut, de te laisser aimer et libérer par Dieu. N’aie pas peur de te laisser guider par l’Esprit Saint. La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie « il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints » (n. 34).
Le pape invite à dire « non » à la « médiocrité », et avec la vigueur du pasteur qu’il a en commun avec le polémiste.
Les « classes moyennes de la sainteté »
Quant à Joseph Malègue (1876-1940), l’autre écrivain français cité, originaire du Cantal, mort à 64 ans, à Nantes, il était de trente ans – une génération! – plus jeune que Léon Bloy.
Il souligne fortement l’importance de l’intelligence dans la démarche de la foi, notamment dans son premier roman “Augustin et le Maître est là” (1933, réédité au Cerf, après avoir été cité par le pape, en 2014). Il y évoque le parcours à la fois psychologique, intellectuel et spirituel d’Augustin Méridier, l’alliance d’une recherche de foi et de raison. Mais le fil conducteur, c’est l’amour. Le roman a été traduit en partie en italien et en allemand.
Le pape a cité une seconde fois Joseph Malègue, en 2013 également, le 14 avril, en paraphrasant le titre de « Pierre noires. Les classes moyennes du Salut », un roman posthume inachevé dont les deux premières parties ont été publiées en 1958, et qui traite de l’autre crise, celle de la laïcisation et de la déchristianisation. Cependant, le pape ne le suivait pas sur ce versant du diagnostic, mais dans cette idée que l’on pourrait exprimer sous forme d’un slogan : la « sainteté pour tous ».
Lors de sa « prise de possession » de la basilique papale Saint-Paul-hors-les-Murs, le pape François a en effet appelé les chrétiens au « témoignage de la foi », faisant observer que ce témoignage pouvait prendre « plusieurs formes », et que toutes étaient « importantes, mêmes celles qui n’apparaissent pas ».
« Dans le grand dessein de Dieu, chaque détail est important, même ton témoignage et le mien, humbles et petits… Il y a les saints de tous les jours, les saints « cachés », une sorte de « classe moyenne de la sainteté », comme le disait un auteur français, dont nous pouvons tous faire partie », a poursuivi le pape.
Cet auteur français, qu’alors il n’avait pas nommé, c’était déjà Joseph Malègue. Mais l’idée est déjà là, et l’exhortation apostolique transforme l’essai de l’homélie de 2013.
Les saints « cachés » de tous les jours
La définition exacte de l’expression « classes moyennes du Salut », remplacée parfois par « classes moyennes de la sainteté » dans le livre, n’est pas univoque, expliquait alors Anne Kurian. Elle se rapproche cependant d’une critique de ceux qui vivent une foi « moyenne », avec un peu de tiédeur en somme.
Mais le pape François, prenant cette définition à contrepied, a redonné ses lettres de noblesse à l’expression : les « classes moyennes de la sainteté », ce sont ces « saints de tous les jours, les saints « cachés », … dont nous pouvons tous faire partie ».
Pour le pape, cette sainteté sans éclat apparent est aussi nécessaire et même « importante » aux yeux de Dieu.
D’ailleurs si Joseph Malègue constate une certaine « fatalité » dans la vie de foi des « classes moyennes de la sainteté », il envisage cependant un réveil, un sursaut possible grâce au témoignage d’un saint, d’un « martyr ».
Autrement dit, le pape transfigure l’expression de Malègue désignant une certaine médiocrité de la vie chrétienne : il hisse ces « classes moyennes » à la hauteur conciliaire de l’appel universel des baptisés à la sainteté, sous toutes ses formes, c’est-à-dire la sainteté des innombrables non-canonisés que la Toussaint célèbre et qui ont suivi le Christ, dans l’Esprit Saint.
La sainteté dans les « petites choses »
Dans son exhortation apostolique « Gaudete et exsultate », c’est cette sainteté-là que le pape salue en écrivant: « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté ‘‘de la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, ‘‘la classe moyenne de la sainteté’’» (n.7).
Il appelle à la sainteté dans les petites choses du quotidien à l’instar de Thérèse de Lisieux citée plusieurs fois, et à l’instar de saint Ignace de Loyola dont il cite l’épitaphe : « Il est divin de ne pas avoir peur des grandes choses et en même temps d’être attentif aux plus petites » (note 124).
Le pape recommande d’affiner le discernement spirituel dans les petites choses : « Souvent cela se joue dans les petites choses, dans ce qui paraît négligeable, parce que la grandeur se montre dans ce qui est simple et quotidien » (n. 169).

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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