Mgr Piat © Site Internet du diocèse de Port-Louis

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Ile Maurice: priorité aux plus pauvres, "c'est cela qui transforme les sociétés"

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Entretien avec le cardinal désigné Maurice Piat

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« Il faut annoncer aux pauvres la Bonne nouvelle, commencer par les pauvres, et c’est cela qui transforme les sociétés », affirme Mgr Maurice Piat, archevêque de Port-Louis (Île Maurice), cardinal désigné.

Mgr Piat sera en effet parmi les 17 nouveaux cardinaux créés par le pape François le 19 novembre 2016, à la veille de la clôture de l’Année de la miséricorde. La miséricorde « est le cœur de la Bonne nouvelle », souligne-t-il.

A 75 ans, l’archevêque spiritain – de la Congrégation du Saint-Esprit – évoque pour Zenit sa nouvelle mission, interprétée comme un signe de la sollicitude du pape François pour la petite Eglise mauricienne.

Il décrit les caractéristiques de la communauté catholique de l’Ile de l’Océan indien, confrontée au dialogue interreligieux et interculturel dans la vie quotidienne.

Zenit – Un cardinal pour l’Île Maurice : quelle a été votre réaction en apprenant la nouvelle ?

Mgr Maurice Piat – Je ne m’y attendais pas du tout, j’ai été très surpris. J’ai mis un peu de temps avant de réaliser, puis petit a petit je me suis dit que c’était un appel du Seigneur qui me venait à travers le pape François.

Vous avez dit aux Mauriciens que cette nomination n’est « pas zis pou mwa me pou zot tou » (pas pour vous mais pour le peuple) : qu’est-ce que cela signifie ?

Autour de moi, l’Eglise et le pays dans son ensemble sont très heureux : ils voient cela comme un geste d’affection paternelle, d’encouragement du pape pour notre petite Eglise. Il faut comprendre que nous sommes une petite communauté – un seul diocèse – dans un petit pays. Une nouvelle comme celle-là a donc beaucoup plus de résonance et les gens sont très heureux que le pape ait pensé au seul évêque de l’Ile Maurice. Ce n’est pas seulement moi qui suis touché, mais l’ensemble du pays qui se sent reconnu et encouragé.

Quelles sont les caractéristiques de l’Eglise à Maurice ? Est-ce une Eglise des périphéries ?

On peut dire que c’est une petite Eglise « des périphéries », loin dans l’hémisphère sud. L’Eglise mauricienne représente 30 à 32 % de la population de 1,2 millions. La population compte aussi 50 % de personnes de foi hindoue, 18 % de foi musulmane et 1 ou 2 % de foi bouddhiste. Cette « mosaïque » nous demande un grand effort de coexistence, de respect des religions et des cultures très différentes. Un de nos grands défis est le dialogue dans la vie quotidienne : avoir de bonnes relations ne serait-ce que de voisinage. Par ailleurs, à l’intérieur de l’Eglise il y a aussi une variété d’origines. L’histoire de l’Ile Maurice, très récente, a commencé au 18e siècle lorsque des Français de la Compagnie des Indes sont venus y installer le régime de l’esclavage, qui a duré environ un siècle. Ainsi certains chrétiens sont nés d’anciens esclaves, et d’autres chrétiens sont nés d’anciens maîtres. Il faut donc un effort continu de réconciliation, d’accueil mutuel, pour qu’à l’intérieur de l’Eglise des personnes d’origines et de statures différentes, redeviennent des frères.

Y a-t-il une « spiritualité mauricienne » ?

Dans notre histoire, nous avons été très marqués par un grand missionnaire qui est venu chez nous après l’abolition de l’esclavage en 1841, et qui y est resté 23 ans. Il s’agit du missionnaire spiritain normand Jacques Désiré Laval. Il a été béatifié par Jean-Paul II en 1979 et il reste depuis le jour de sa mort le « père dans la foi » de tout le peuple. Tous les Mauriciens, de toutes origines sociales, de toutes cultures, le considèrent comme « l’apôtre de l’unité nationale ». Chrétiens, musulmans et hindous vont spontanément prier sur sa tombe. La venue du père Laval a été comme une expérience de Pentecôte pour notre Eglise et sa spiritualité reste notre grand héritage. Elle se résume ainsi : il faut annoncer aux pauvres la Bonne nouvelle, commencer par les pauvres, et c’est cela qui transforme les sociétés.

Vous êtes aussi spirituellement lié au p. Laval, auquel vous avez confié votre épiscopat. Qu’est-ce que son exemple vous donne comme direction pour votre cardinalat ?

L’attention aux pauvres et le respect pour leur culture, leur langue. Le père Laval a été le premier prêtre à apprendre le créole, à faire le catéchisme en créole, à donner des catéchèses en créole, le soir, à la cathédrale, en s’adaptant aux horaires des travailleurs. Cet effort d’inculturation a eu un grand impact parce que ces personnes entendaient la Bonne nouvelle dans leur langue. A sa suite, depuis une vingtaine d’années, plusieurs prêtres mauriciens ont beaucoup travaillé à standardiser le créole et à traduire les Saintes Ecritures en créole. Les personnes d’origine créole, qui sont la majorité des chrétiens, entendent ainsi la Parole de Dieu dans leur langue et cela résonne d’une manière très différente que lorsqu’ils l’entendent en français.

Vous serez créé cardinal au terme de l’Année de la miséricorde : cela dit quelque chose pour votre mission ?

J’ai réfléchi en effet au sens de cette nouvelle mission confiée à la fin de l’Année de la miséricorde. Je dirais que la miséricorde n’est pas un thème parmi d’autres, qui serait terminé et auquel succéderait je-ne-sais quel autre thème. La miséricorde est le cœur de notre foi. Avec les cardinaux créés le 19 novembre et avec toute l’Eglise, nous sommes appelés à devenir missionnaires de la miséricorde, toute l’année et tous les ans, parce que c’est le cœur de la Bonne nouvelle. C’est la miséricorde qui nous sauve.

Avez-vous déjà rencontré le pape François ?

Je l’ai rencontré brièvement lors du synode sur la famille de 2015. J’attends avec plaisir l’occasion qui m’est donnée le mois prochain, de pouvoir le rencontrer un peu plus personnellement. C’est pour moi une très grande figure, un apôtre providentiel pour l’Eglise au début du 21e siècle, avec tous les défis qui se présentent. Il ne nous donne pas « des solutions » mais un souffle, un goût d’annoncer l’Evangile.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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