« La vie consacrée montre qu’il est possible de vivre tous les jours ce que, d’une manière particulière, les chrétiens sont appelés à vivre pendant le carême » : en d’autres termes, elle montre que « donner la première place à Dieu est possible, toujours », souligne Mgr Follo.
Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), à Paris, livre aux lecteurs de Zenit une réflexion sur le carême 2015, année vécue sous le signe de la Vie consacrée.
Zenit – Lors du Mercredi des Cendres, le pape a encouragé à demander « le don des larmes » pour se convertir du fond du cœur, sans hypocrisie. Comment comprendre ces larmes ?
Mgr Francesco Follo – Je pense que le pape François a suggéré de demander « le don des larmes » sous l’influence de la béatitude « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5,4) et de saint Ignace de Loyola qui, surtout dans son Autobiographie, écrit qu’il a reçu le don des larmes, au point que souvent, pendant plusieurs jours, il ne note que le mot « larmes ». Cette expression du « don des larmes », comme la béatitude de ceux qui pleurent, ne veut pas décrire seulement le fait qu’« on sème en pleurant et on récolte en chantant ». Cela veut dire que les larmes qui viennent de l’Esprit ne sont pas des larmes de tristesse mais des larmes de consolation, qui donnent un sentiment de libération et qui ouvrent la personne à de nouvelles décisions de service de Dieu, de l’Évangile et de l’homme. La « consolation » comporte aussi un sentiment d’élévation vers Dieu, un goût des choses spirituelles et une croissance en intensité des vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité. Grâce au don des larmes, on n’obtient pas seulement ni tant un cœur meilleur, mais un cœur nouveau et sincère. En luttant contre l’hypocrisie, on a un cœur sincère et avec sincérité, nous nous abandonnons au cœur du Christ.
Quel est le sens du « désert » durant ce chemin de carême ?
Le mot « sens » a trois sens : direction, signification et sensation. Le sens du désert comme direction implique qu’on laisse l’esclavage de l’Égypte pour (vers) la liberté de la Terre promise, dans l’Ancien Testament, et qu’on laisse l’esclavage du péché pour aller vers la maison du Père et notre maison définitive. Le sens du désert comme signification veut dire que c’est le temps et le lieu de l’épreuve et de la purification, mais aussi le lieu et le temps où Dieu parle au cœur de l’homme (cf. Osée 2). Le sens du désert comme sensation, c’est faire l’expérience que l’on est constamment accompagné par Dieu qui pourvoit. C’est une expérience d’abandon total et de confiance amoureuse en Dieu qui soutient toujours, même si c’est en nous mettant à l’épreuve. C’est, en somme, un espace de silence qui réalise pour toi un désert qui t’aide à prier et une sobriété de vie qui te permet de partager.
Avez-vous des conseils pratiques à donner pour « aller au désert », malgré ses occupations quotidiennes ?
En faisant les trois œuvres du carême : la prière, le jeûne et l’aumône.
Prier plus souvent et en particulier, si l’on peut, surtout durant le temps du carême, on devrait assister chaque jour à la messe avec dévotion, faire une visite, même très brève, dans une église et prier le Christ devant le tabernacle, réciter la troisième partie du rosaire [mystères douloureux, ndlr], lire tous les jours une page de la Bible (éventuellement l’Évangile de la messe du jour), dire fréquemment des oraisons jaculatoires, qui soutiennent les moments de la journée, sans manquer pour autant à nos devoirs professionnels. Utiliser la prière des cinq doigts du pape François.
Jeûner, en renonçant à la nourriture, non pas pour se sentir bien avec soi-même mais pour « être bien » avec Dieu. Le but du jeûne est remarquablement résumé par saint Thomas d’Aquin : « On pratique le jeûne dans un triple but ». En premier, dans le but de maîtriser la concupiscence de la chair. En second lieu, nous devons avoir recours au jeûne afin que notre esprit puisse s’élever plus librement dans la contemplation des choses célestes. Enfin, dans le but de répondre à ses péchés : comme il est écrit (Joël 2,12) : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! ». Saint Augustin dit la même chose dans un sermon (De Oratione et Jejunio) : « Le jeûne purifie l’âme, élève l’esprit, soumet la chair à l’esprit, rend le cœur contrit et humilié, disperse les nuées de la convoitise, éteint l’ardeur des passions, rend vraiment brillante la lumière de la chasteté » (Somme théologique, question 147, article 1).
L’aumône. Faire l’aumône ne veut pas simplement dire donner aux pauvres « la monnaie », des petites pièces en plus, mais leur donner un peu plus de notre temps. Vivre l’aumône « spirituelle » du pardon réciproque et de la patience. L’aumône n’est pas simplement un acte d’humanité, mais elle s’élève à la dignité d’un acte de religion qui monte directement à Dieu et « satisfait » sa justice.
Quel est l’éclairage que peut apporter l’Année de la Vie consacrée sur le carême ?
La vie consacrée ne se réduit pas à l’observance d’une règle vécue en communauté ou individuellement, mais c’est la concrétisation d’un projet d’amour. Le chrétien, pour avoir une relation avec Dieu, ne doit pas exhiber sa connaissance d’une doctrine mais la conscience de son propre appel fondé sur le don de Dieu. La vie consacrée montre qu’il est possible de vivre tous les jours ce que, d’une manière particulière, les chrétiens sont appelés à vivre pendant le carême, c’est-à-dire d’entrer dans une relation stable avec le Christ, et pas uniquement avec lui, mais aussi avec tous ceux qui le rendent présent dans l’histoire, prolongeant son incarnation. Pour les « simples » chrétiens, les personnes consacrées ne doivent pas être vues comme des personnes qui « travaillent à temps plein » pour Dieu, mais comme des exemples d’une relation authentique de « sainte amitié » avec Dieu et avec leurs frères. Le christianisme a deux dimensions : la dimension verticale, par laquelle le croyant se lie à Dieu qui transcende toute chose, et la dimension horizontale par laquelle le chrétien enveloppe le monde entier et est enveloppé par lui. L’importance de l’amour du prochain est essentielle dans le christianisme, mais pas comme une alternative à l’amour de Dieu, ni comme un moyen exclusif de réaliser l’union avec lui. La vie consacrée montre que donner la première place à Dieu est possible, toujours. Le carême est le chemin vers l’amour du Christ ressuscité et les personnes consacrées sont les garanties de cet amour, qui s’est immolé pour nous sur la croix. Dans la consécration, s’exprime la perfection de la charité et plus le chrétien, en particulier pendant le carême, tend vers la sainteté, plus il essaiera de vivre une unité d’amour non seulement avec Dieu mais aussi avec tous ses frères et sœurs en humanité et avec la création tout entière.
Propos recueillis par Anne Kurian et traduits par Constance Roques