Irak : les défis de l'Église syriaque-catholique

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Entretien avec le patriarche Ignace Youssef III Younan

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Les défis actuels de l’Église syriaque-catholique au Moyen-Orient et les réponses à apporter étaient au centre du synode ordinaire syro-catholique qui a eu lieu du 8 au 10 décembre 2014 à Rome. Les participants ont rencontré le pape François vendredi dernier, 12 décembre.

Le patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des Syriens, Ignace Youssef III Younan, chef de l’église syriaque-catholique, témoigne à Zenit de la situation des chrétiens du nord de l’Irak, où plus de 120.000 familles ont été contraintes par État islamique en Irak et au Levant (EIIL) d’abandonner leurs terres de Mossoul et Karakosh pour se réfugier dans le Kurdistan irakien.

Zenit – Votre Béatitude, dans votre discours d’ouverture vous avez indiqué que le synode porterait sur la formation sacerdotale. Expliquez-nous la raison de ce choix, à un nomment aussi critique et dramatique pour votre Église ?

Patriarche Ignace Youssef III Younan – Les événements douloureux qui ont frappé notre Église, au cours de ces derniers mois, ont été la raison principale qui nous a poussé à choisir ce thème, et à discuter de notre présence et de notre destin en tant qu’Église syriaque au Moyen Orient.

Le défi qui se pose actuellement à nous, chrétiens syriens, est immense. Nos prêtres se sont retrouvés tout à coup dans une situation gravement déséquilibrée. Et nous avons senti l’exigence de nous rassembler pour étudier les moyens les plus efficaces qui nous permettraient d’affronter la situation actuelle.Par exemple, dans l’éparchie de Mossoul seulement, un évêque et 25 prêtres ont fui. Beaucoup d’entre eux vivent maintenant avec les réfugiés. Nous tenions vraiment à étudier cette situation si difficile.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est réellement passé?

Jusqu’en juin, comme tous les chrétiens du nord de l’Irak, nous souffrions d’une situation précaire d’insécurité et d’un manque de protection officielle de l’État. Les minorités payaient le prix fort de cette situation.

Au mois de juin, nous avons été littéralement déracinés de Mossoul. Nous étions plus de 15 000 familles. Mais la grande tragédie a eu lieu en août, quand 120 000 familles chrétiennes de la Plaine de Ninive ont été chassées, du jour au lendemain, de leurs terres d’origine. Ils avaient là-bas neuf églises.

De toutes les minorités, les chrétiens formaient le plus grand groupe, 40% de la population. En quelques heures, la plaine s’est vidée de ses chrétiens. Un second exode tragique et douloureux.

Vous avez dit de l’Église syriaque catholique qu’elle est « une Église témoin et martyre depuis les temps les plus reculés »…

Ce qui est arrivé à la plaine de Ninive a frappé davantage les syro-catholiques que toute autre minorité, car ils constituaient la majorité. Nous étions environ 60 000 personnes. Maintenant que nous sommes au Kurdistan, nous n’avons pas d’éparchie sur laquelle nous appuyer. Si bien que nous sommes des personnes déplacées à tout point de vue.

Contrairement à nos frères chaldéens, qui forment le plus grand nombre de chrétiens, et qui ont le patriarcat de Babel, nous n’avons plus de structures. Alors nos fidèles vivent sous des tentes dans une situation de douloureuse précarité.

Statistiquement, nous pouvons dire que – malheureusement – plus d’un tiers des fidèles de l’Église syriaque catholique vit dans un état d’errance ou en diaspora. Seul Dieu sait quand ils reviendront et s’ils reviendront.

Dans le document final du synode, il a été demandé à la communauté internationale d’« accélérer l’opération visant à libérer Mossoul et les villes de la Plaine de Ninive ». Que pensez-vous de la politique internationale actuelle en Syrie et en Irak ?

Nous avons lancé un vibrant appel à la communauté internationale. Devant la tragédie qui nous a frappés, nous ne pouvons que condamner tous ceux qui ont contribué à sa genèse. Il est évident que ces criminels ne sont pas sortis de nulle part. Il y a un projet politique plus grand qui suit une politique machiavélique, abusant des plus faibles à des fins géopolitiques particulièrement mesquines.

D’où le devoir des nations qui ont créé cette situation monstrueuse de s’employer à libérer les terres qui nous ont été volées. Ils ont l’obligation de nous rendre notre dignité et de bâtir pour nous les conditions d’une situation de vie digne et durable.

Que pensez-vous des attaques aériennes contre l’armée de l’EIIL ?

Toute personne de bonne volonté et dotée d’un minimum de bon sens sait que ces attaques aériennes sont loin de suffire. Les bandits de l’EIIL ne sont pas une armée régulière, si bien qu’ils arrivent à se fondre dans la population et il devient vraiment difficile de les toucher. Ils ont en plus profité des affrontements interconfessionnels (entre sunnites et chiites). Donc les attaques aériennes peuvent les blesser légèrement, mais n’ont pas la possibilité de les détruire complètement ni même de les atteindre sérieusement.

Le synode s’est félicité de déclarations faites au Congrès d’Al-Azhar contre le terrorisme les 3-4 décembre derniers au Caire, notamment de celle disant que « les musulmans et les chrétiens en Orient sont des frères, qu’ils font partie d’une seule et même civilisation et d’une seule et même nation ». Quelle importance revêt une telle déclaration, selon vous ?

En tant que patriarches et évêques chrétiens, nous avons longuement invité nos frères musulmans à se rassembler et à dénoncer officiellement le terrorisme au nom de la religion. Mais également à le combattre concrètement et à protéger les minorités, comme la minorité chrétienne.

L’initiative d’Al-Azhar est vraiment un signal positif. Il a été affirmé que le terrorisme au nom de la religion ne fait pas partie de l’identité musulmane.

Nous espérons que ces déclarations auront des effets sur le terrain, qu’elles seront vraiment appliquées, en demandant aux États de combattre les terroristes, et de lancer une sérieuse formation à la tolérance dans les congrès religieux, dans les mosquées et dans les écoles.

Hier, votre visite ad limina apostolorum a commencé. Que demanderez-vous au pape François durant vos entretiens ?

Nous serons une grande délégation d’environ 320 membres entre le patriarche, les évêques, les pères synodaux et les prêtres. Notre visite chez le Saint-Père est une visite filiale qui veut réaffirmer les liens d’unité entre le siège d’Antioche et le siège de Rome, l’Église qui préside dans l’amour, selon l’heureuse expression de saint Ignace d’Antioche.

Au cours de cette semaine, pendant laquelle notre Église fait mémoire de saint Jean Baptiste, nous souhaitons que le pape François continue d’être la voix qui crie pour la vérité et pour l’affirmation de la justice. Nous souhaitons qu’il poursuive sa lutte pour la cause des chrétiens au Moyen Orient, spécialement ceux de l’Église syrienne d’Antioche persécutés dans le nord de l’Irak.

Je suis convaincu que cette visite sera source de bien et de bénédiction pour nous, et une touche de réconfort pour toutes les personnes en détresse, dans notre Église.

Traduction de Zenit

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Robert Cheaib

Docente di teologia presso varie università tra cui la Pontificia Università Gregoriana e l’Università Cattolica del Sacro Cuore. Svolge attività di conferenziere su varie tematiche che riguardano principalmente la pratica della preghiera, la mistica, l’ateismo, il rapporto tra fede e cultura e la vita di coppia. Gestisce un sito di divulgazione teologica www.theologhia.com. Tra le sue opere recenti: Un Dio umano. Primi passi nella fede cristiana (Edizioni san Paolo 2013); Alla presenza di Dio. Per una spiritualità incarnata (Il pozzo di Giacobbe 2015); Rahamim. Nelle viscere di Dio. Briciole di una teologia della misericordia (Tau Editrice 2015); Il gioco dell'amore. 10 passi verso la felicità di coppia (Tau Editrice 2016); Oltre la morte di Dio. La fede alla prova del dubbio (San Paolo 2017).

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