« Les Tsiganes ont besoin de l’humanité des sociétés au sein desquelles ils vivent pour se sentir membres de la famille humaine, en bénéficiant des droits dont jouissent les autres membres de la communauté », rappelle le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, qui énumère les « questions qui demeurent un défi pour l’Europe, berceau des droits de l’homme ».
Dans un message adressé aux membres du Comité catholique international pour les tsiganes, réuni en Italie du 4 au 6 avril 2014, le dicastère appelle les Européens à « un travail tenace et patient » pour « affronter les dilemmes qui sont à la base des désagréments humains des Roms ».
Il précise quatre domaines d’attention : « les conditions d’habitation précaires » de très nombreux tsiganes ; « les différences entre les indicateurs de santé des Roms et ceux de la population majoritaire » ; « les difficultés dans l’accès à l’éducation » et « les difficultés dans le domaine du travail ».
Dans tous ces domaines « ils sont souvent victimes de discrimination » et « ils sont exclus précisément parce que ce sont des Tsiganes », dénonce-t-il.
Message du dicastère pour les migrants
Du Vatican, 2 avril 2014
Message du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement aux membres du Comité catholique international pour les tsiganes (CCIT)
(Cavallino – Treporti, Italie, 4-6 avril 2014)
Cher Père Dumas,
Chers membres du Comité,
Chers participants,
Je regrette de ne pas pouvoir être présent aux travaux de votre Rencontre comme le souhaitait votre Président. Je vous transmets cependant mes salutations chaleureuses et je vous exprime mon intérêt le plus profond pour le sujet que vous avez choisi de traiter : « Abattre les murs de l’isolement et de l’exclusion : défi évangélique d’une dynamique sociale ».
Dans notre monde globalisé, en effet, on continue à ériger des murs qui divisent les peuples d’un même continent, les gens d’un même pays ou les personnes d’une même ville. Même entre les pays européens, certains sont encore influencés de manière négative dans leurs choix politiques envers les Roms, dont vous êtes proches dans vos engagements pastoraux respectifs.
En apportant la bonne nouvelle aux hommes, Jésus s’est aussi chargé de leurs conditions. Il a ouvert les portes, il a abattu les murs de la division et de l’inimitié, comme il le prouve dans la rencontre avec la Samaritaine, au puits de Jacob (cf. Jn 4, 1-42). Il fait tomber une très vieille séparation entre deux peuples voisins, en proposant une culture de la rencontre, basée sur la sincérité du dialogue.
Jean-Paul II, exhortant à construire un monde ouvert et inclusif, libéré des peurs et des séparations, disait : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes…! …les frontières des Etats, les systèmes économiques et politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait ‘ ce qu’il y a dans l’homme ’. Et lui seul le sait ! » (Homélie du début de son Pontificat, 22 octobre 1978, n° 5). L’année dernière, précisément, vous avez consacré votre Rencontre au thème de l’ouverture et de l’accueil. La vie des Tsiganes semble parfois une énigme, mais le Christ, qui fait se mouvoir vos cœurs vers eux, sait ce qu’il y a dans l’homme et il vous le révèle comme un don précieux dans l’amitié que vous forgez avec eux. Au cours des années, vous avez acquis la conscience que l’histoire des Tsiganes « est une histoire sacrée », comme celle de tous les hommes faits « à l’image de Dieu ».
Le défi que vous affrontez avec un vrai courage évangélique dans vos activités pastorales démontre que, pour abattre les murs, il faut commencer par le cœur, premier espace où l’on peut inclure l’autre ; et tant que les cœurs ne seront pas ouverts, il ne sera pas facile de bâtir une société inclusive. Ce temps de réflexion vous offre donc l’opportunité de rassembler vos énergies pour créer une dynamique sociale où les différentes cultures peuvent vivre ensemble.
Durant l’Audience accordée aux représentants des diverses ethnies de Tsiganes et de Roms, Benoît XVI, après avoir rappelé leur histoire douloureuse, décrivait ainsi leur situation actuelle : « Aujourd’hui, grâce à Dieu […], de nouvelles opportunités s’ouvrent à vous, tandis que vous acquérez une nouvelle conscience […] De nombreuses ethnies ne sont plus nomades, mais cherchent la stabilité et nourrissent de nouvelles attentes face à la vie. L’Eglise marche avec vous et vous invite à vivre selon les exigences rigoureuses de l’Evangile, en ayant confiance dans la force du Christ, pour un avenir meilleur […] Je vous invite, chers amis, à écrire ensemble une nouvelle page d’histoire pour votre peuple et pour l’Europe ! La recherche de logements et d’un travail digne, ainsi que d’instruction pour les enfants sont la base sur laquelle construire l’intégration dont vous tirerez profit, ainsi que la société tout entière. Apportez, vous aussi, votre contribution concrète et loyale, afin que vos familles s’insèrent dignement dans le tissu civil européen ! Parmi vous, nombreux sont les enfants et les jeunes qui désirent s’instruire et vivre avec les autres et comme les autres » (Allocution aux Représentants de diverses ethnies de Tsiganes et de Roms, 11 juin 2011).
Tout ceci, naturellement, requiert du temps et vous, chers agents pastoraux, vous avez sagement adopté la ligne de la foi et de l’espérance qui aident à faire tout avec la patience qui mène aux résultats attendus. Le pape François, dans l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, parle d’un temps supérieur à l’espace. Un tel principe, écrit le pape, « permet de travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats. Il aide à supporter avec patience les situations difficiles et adverses, ou les changements des plans qu’impose le dynamisme de la réalité ». Puis il poursuit en disant que c’est « une invitation à assumer la tension entre plénitude et limite, en accordant la priorité au temps » (n° 223). Oui, l’engagement pour les Roms requiert cette patience, sans laquelle il est facile de croire que tout est inutile.
Les Tsiganes ont besoin de l’humanité des sociétés au sein desquelles ils vivent pour se sentir membres de la famille humaine, en bénéficiant des droits dont jouissent les autres membres de la communauté dans le respect de leur dignité et de leur identité (cf. Orientations pour une pastorale des Tsiganes, n° 48).
Cela peut être la façon d’aborder quelques questions qui demeurent un défi pour l’Europe, berceau des droits de l’homme. Un travail tenace et patient est nécessaire de la part de tous. L’Eglise peut inspirer et faire converger les efforts dans un engagement commun pour affronter les dilemmes suivants qui sont à la base des désagréments humains des Roms :
1. De très nombreux Tsiganes vivent encore dans des conditions d’habitation précaires, dues à des problèmes économiques aggravés par la crise. En plus des habituels logements de fortune, de nombreuses « familles habitent dans des logements sociaux surpeuplés ». Vivre dans des bidonvilles et sur les trottoirs des villes, sujets à la pollution, près des autoroutes et des zones industrielles, habiter dans des logements délabrés « sans eau potable, ni électricité, ni système de ramassage des déchets », est un scandale que l’on ne peut admettre. Certains voudraient en sortir, mais ils rencontrent souvent d’énormes difficultés qui découragent leur volonté et qui les font retomber dans le status quo.
2. Dans de nombreux pays européens, il existe des différ
ences entre les indicateurs de santé des Roms et ceux de la population majoritaire ; le fait qu’ils ne disposent pas de papiers d’identité complique l’accès aux services ordinaires de santé, sans oublier les discriminations qu’ils subissent dans certains cas de la part du personnel de santé, comme les médecins généralistes qui refusent de se rendre dans les quartiers ou dans les campements roms.
3. En outre, les Roms affrontent des difficultés dans l’accès à l’éducation. En Europe, la moitié des enfants roms en âge d’aller à l’école n’a jamais été scolarisé; 50% des adultes sont analphabètes ; dans de nombreuses régions européennes, les enfants roms n’ont pas d’instruction qualifiée ; ils sont exclus du tissu social et du débat politique et culturel, bien qu’ils soient européens. La situation logistique de leurs habitations, la pauvreté extrême, les préjugés et leurs traditions familiales les conduisent souvent à abandonner l’école.
4. Ils rencontrent également d’énormes difficultés dans le domaine du travail. Ils sont souvent victimes de discrimination parce qu’ils n’ont pas une instruction suffisante et ne peuvent rivaliser avec d’autres travailleurs plus qualifiés. La plupart du temps, ils sont exclus précisément parce que ce sont des Tsiganes. Tout cela les pousse bien souvent vers un milieu pratiquant des activités illégales, vers la mendicité et vers des activités dangereuses pour leur santé.
Le Conseil de l’Europe encourage toutes les expériences qui se sont révélées positives en ce domaine. Celles-ci sont menées à bien par des médiateurs entre les Roms et les populations majoritaires, mises en œuvre au niveau local et proposées ensuite à plus grande échelle. En ce qui concerne l’éducation, l’exemple de l’ex-République yougoslave de Macédoine est intéressant, avec le projet « Insertion des enfants roms dans l’éducation préscolaire », lancé en 2006. Il en va de même pour l’Albanie et la Slovaquie. L’expérience de l’Espagne qui indique les étapes à accomplir dans cette médiation est également une bonne expérience. De même que celle de la Bulgarie pour leur intégration dans le secteur de la santé.
Enfin, le document « Orientations pour une pastorale des Tsiganes » demeure pour vous une référence fondamentale, à exploiter encore mieux pour votre service au milieu de ce peuple, car il offre des lignes directrices importantes qui sont le fruit d’un travail commun.
Chers frères et sœurs, ces défis ne sont-ils pas ceux qu’il nous faut affronter ? Et n’est-ce pas cette dynamique dont nous avons besoin, c’est-à-dire de donner un espace aux rêves des Tsiganes et de les motiver pour qu’ils puissent se réaliser ? Les Roms ont le droit d’être reconnus au moins comme minorités ethniques dans les pays où ils vivent, étant donné que dans l’Union Européenne ils constituent la minorité la plus nombreuse. L’Eglise a le droit d’apporter l’Evangile de Jésus au milieu d’eux, mais aussi de soutenir leur rêve d’intégration qui passe par l’éducation, la santé, le travail et le logement. Tout cela en collaboration avec les hommes et les femmes de bonne volonté.
Je vous souhaite des journées de travail fructueuses et que Dieu vous bénisse tous !
Cardinal Antonio Maria Vegliò, Président
Joseph Kalathiparambil, Secrétaire