Jamaïque : la force de l'amour au coeur des « ghettos »

Le P. Richard Ho Lung, missionnaire des pauvres

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Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer

Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, lundi 26 novembre 2012 (ZENIT.org) – « Pour moi, l’amour est une force miraculeuse qui transforme les gens… Je l’ai remarqué dans les ghettos », affirme le père Ho Lung, présent dans les bidonvilles de Kingston, en Jamaïque, depuis plus de trente ans.

Le fondateur des Missionnaires des pauvres a accordé cet entretien à l’émission radio-télévisée hebdomadaire, Là où Dieu pleure, en collaboration avec L’Aide à l’Eglise en détresse.

Marie-Pauline Meyer – Père Ho Lung, vous aimez profondément la musique et vous êtes un musicien accompli, écrivant des chants et des comédies musicales. Quel don de pouvoir écrire de la musique !

Père Richard Ho Lung – C’est vraiment une joie et une surprise totale dans ma vie. Ce n’est pas quelque chose que j’ai demandé mais je sais simplement que le Seigneur a mis dans mon cœur et dans mon esprit tant de mélodies et d’idées poétiques que je suis obligé de les écrire. Mais je ne suis pas musicien, je ne sais pas lire la musique. Je ne joue d’aucun instrument. Mais j’entends beaucoup de mots et de chants qui viennent à moi, parfois dans mon sommeil, parfois pendant la journée.

Les Jamaïcains sont-ils naturellement musiciens ?

On le respire. C’est dans l’atmosphère de la Jamaïque. Vous allez à la messe, et les gens balancent leur corps lorsqu’ils chantent. Quand les gens parlent et s’expriment, c’est toujours extrêmement dramatique. L’île est pleine de poésie, elle est magnifique avec ses grandes montagnes, ses rivières, ses lacs et ses forêts. La nature est tellement riche que vous ne pouvez vous empêcher de penser à l’artiste, aux couleurs, à la main de Dieu dessinant les paysages de ce pays. C’est pourquoi je pense que l’art fait partie de la nature ici. Ma mère aimait la musique et très souvent, elle nous emmenait au bord de la rivière et elle nous demandait de rester en silence, d’écouter la musique de la nature, les oiseaux, le vent et l’air, et je crois donc que tout cela fait partie de ma nature.

Nous avons parlé un peu de votre musique, mais vous êtes aussi le fondateur d’un nouveau mouvement ?

Oui, les Missionnaires des pauvres, qui est un ordre de frères. Il s’agit d’une consécration religieuse basée sur les quatre vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et du service gratuit.

Quel est l’objectif des Missionnaires des pauvres ?

Nous sommes très tournés vers les personnes sans abri et sans ressources. La plus grande pauvreté dont on puisse souffrir est de ne pas être voulu ; nous nous adressons donc en priorité aux personnes de la rue ; il y a beaucoup d’enfants qui meurent, handicapés, aveugles, sourds, muets, parfois atteints du sida. Ils sont abandonnés dans les hôpitaux qui nous appellent en nous disant : « Pourriez-vous prendre une personne sans abri, parce qu’ils n’ont pas d’endroit où aller ».

Comment est-ce possible, alors que la Jamaïque est perçue comme une attraction touristique avec toutes ses richesses naturelles ?

Nous sommes à Kingston, qui n’est pas la destination touristique de l’île. Nous sommes au cœur de la région la plus dure, où sévit la plus grande violence et où vivent les gens les plus pauvres, où pratiquement tout le monde est un « squatter ». Les gens n’ont pas de maison. A la Jamaïque, nous utilisons l’expression « capture » : quand ils voient une maison vide, ils s’y installent et vivent là. Parfois, ils vivent dans une pièce minuscule, fabriquée avec des cartons et du zinc, avec un toit fait de bouts de bois, et il y en a des milliers comme ça.

D’un côté, le luxe, et de l’autre, la pauvreté : pourquoi cet écart ?

Il y a un immense fossé entre les riches et les pauvres. Les riches sont extrêmement riches et les pauvres extrêmement pauvres et oubliés. En plus, à la Jamaïque, à cause de notre passé d’esclavage, il y a une mentalité diffuse parmi les hommes et les femmes, selon laquelle les esclaves ne se marient pas. On ne se marie pas parce que ce n’était pas autorisé. Finalement, même maintenant, alors que l’esclavage n’existe plus depuis de nombreuses années, dans le psychisme, dans la mentalité et les émotions des gens, c’est mal pour un noir pauvre de se marier. Ce n’est pas un droit qui leur est accordé. C’est pourquoi nous sommes là. Nous choisissons de vivre dans les bidonvilles parce que nous voulons que les gens aient accès à nous plus facilement et nous à eux. Nous ne sommes pas un institut clérical de prêtres. Nous avons quelques prêtres, mais nous sommes une fraternité avec les pauvres. C’est très parlant. C’est très puissant et émouvant pour les gens de pouvoir s’adresser à un religieux et de l’appeler « frère… tu es mon frère, tu es revenu me voir, tu m’as nourri et habillé ».

C’est difficile de vivre avec les pauvres ?

Non, pas vraiment. Au début, cela peut paraître un peu bizarre et difficile parce que vous faites des travaux simples comme de nettoyer leur désordre et leurs toilettes, de les laver, leur donner un bain, leur brosser les dents mais, au bout d’un moment, vous découvrez l’humour, la joie et le bonheur de ces personnes et c’est vraiment, en profondeur, une découverte du Christ. C’est si intense quand vous rencontrez quelqu’un, vous vous engagez comme je crois que le Christ s’est engagé avec les pauvres, les lépreux que l’on voit dans l’Ecriture. Il y a une telle satisfaction dans votre cœur parce que vous faites les œuvres du Christ. Vous marchez dans les pas du Christ. Vous faites exactement ce qu’il a fait et vous en repartez très, très heureux. Alors, les croix et les difficultés ne sont rien.

Mais c’est un « ghetto », il y a la criminalité …

Oui, à cause de l’absence d’amour. Je pense que l’amour est une force très puissante qui peut supplanter n’importe quelle haine, envie, corruption ou n’importe quel rejet. Pour moi, l’amour est une force miraculeuse qui transforme les gens. C’est vraiment ce qui se passe. Je l’ai remarqué dans les ghettos. Et nous avons constaté, par exemple, que les hommes et les femmes font plus attention les uns aux autres. Nous sommes dans ces ghettos depuis plus de trente ans et on connaît les frères. Les gens voient que ce sont des personnes qui les aiment vraiment et concrètement  et que nous ne les abandonnerons sous aucun prétexte.

Chaque année, quelque 20.000 Jamaïcains émigrent aux Etats-Unis : pourquoi ?

A cause du manque d’opportunités ici, c’est très tentant de partir ailleurs, là où l’on est absolument certain de trouver un travail et de faire progresser sa famille, mais vous vous rendrez compte que la plupart des Jamaïcains n’ont pas vraiment envie de partir. C’est un peuple très fier et ils aiment leur pays à cause de sa beauté et de sa culture et parce qu’ils y sont chez eux, avec leurs proches. Mais malgré cela, les exigences de la vie, le besoin de se loger, se nourrir, s’habiller, les frais de scolarité, etc. c’est un tel poids que si vous avez une opportunité, vous partez.

Le phénomène pourrait-il s’inverser ?

Oui, mais nous devons comprendre que, en tant que nation jeune, nous devons apprendre à travailler, à être indépendants. Nous devons comprendre que la force de Dieu est en nous pour nous aider à devenir un peuple indépendant et capable de construire une nouvelle Jamaïque. Je ne crois pas que cela ait du sens de nous apitoyer sur nous-mêmes. Cela ne sert à rien de nous souvenir de l’esclavage. C’est l’histoir
e mais nous devons avancer dans la vie. C’est cela le christianisme. Nous continuons d’avancer, dans l’espérance.

C’est votre message ?

Oui. Et la musique en fait partie. Et nous restons joyeux, optimiste, dans l’action de grâce et dans une compréhension  plus profonde de la grandeur et de la bonté de la vie.

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ZENIT Staff

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