ROME, dimanche 25 mars 2012 (ZENIT.org) – L’Eglise cubaine attend avec enthousiasme la venue imminente du pape – du 26 au 28 mars prochains – qui ouvre « l’espérance d’un avenir meilleur » pour le pays, souligne l’archevêque de La Havane.
Depuis l’« évènement capital » de la visite de Jean-Paul à Cuba en 1998, le pays a connu de nombreux changements. Benoît XVI y trouvera donc une Eglise « plus présente » et des chrétiens « qui expriment davantage leur foi », déclare le cardinal Ortega.
Le cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, archevêque de San Cristóbal de La Havane, revient sur l’évolution de Cuba et décrit l’Eglise actuelle, dans un entretien avec L’Osservatore Romano en italien, le 23 mars 2012.
L’Osservatore Romano – Qu’est-ce qui resté dans votre cœur après la visite de Jean-Paul II?
Card. Ortega – Il m’est resté au cœur une reconnaissance profonde et filiale. Ce sentiment a prévalu en moi depuis le moment où je suis monté dans l’avion qui avait porté le pape à La Havane. J’ai été très ému en pensant qu’il avait fait un voyage de presque douze heures pour nous visiter, malgré ses limites physiques. Son programme à Cuba était épuisant et malgré cela le pape a conclu sa dernière célébration à La Havane plein d’enthousiasme.
Qu’est-il resté de cet évènement historique dans le pays?
Les effets des actions qui sont liées à la vie spirituelle des personnes et des peuples ne sont pas réductibles à des statistiques. Parfois il se produit une transformation dans les cœurs des hommes et dans l’âme des peuples, qui en face du fait religieux expérimentent une nouvelle ouverture à la transcendance, une compréhension de leurs racines nationales, une appréciation des valeurs léguées par la foi chrétienne dans la vie personnelle et sociale et une acceptation renouvelée de ces valeurs. En présence d’une visite pastorale, comme celle de Jean-Paul II à Cuba, tout change dans la sphère spirituelle des peuples et ceci constitue un évènement capital dont les effets persistent.
Comme la situation a-t-elle évolué dans le pays et dans l’Eglise?
Quatorze ans se sont écoulés depuis cette visite, qui est advenue à un moment économiquement beaucoup plus difficile que maintenant pour Cuba. Aujourd’hui, il y a de nouvelles structures dans le gouvernement; il y a quatre ans, il y a eu un changement dans la présidence, avec de nouveaux ministres et fonctionnaires. Une réforme économique importante a été mise en route, pour ce qui concerne la culture de la terre, la construction de logements, la légalisation des travaux à son compte et des coopératives privées, le crédit, l’achat et la vente de maisons et de voitures, la création de petites entreprises privées. L’Eglise aujourd’hui dispose de plus d’agents pastoraux: prêtres et religieuses. L’arrivée de missionnaires est permise, l’Eglise a ses propres publications, un meilleur accès aux moyens de communication, bien que ce ne soit pas encore systématique. A La Havane, nous avons construit un nouveau séminaire national, le nombre de séminaristes a augmenté et les célébrations publiques de l’Eglise sont facilitées.
Les media internationaux ont beaucoup parlé ces jours-ci d’une influence accrue de l’Eglise dans les questions sociales. Est-ce vrai ?
Plus que d’influence, je préfère parler de présence sociale. Il y a quinze ans, avant la visite de Jean-Paul II, il semblait que l’Eglise était absente de la société. Aujourd’hui ce n’est plus le cas; peu à peu elle s’est transformée en une réalité sociale dont il faut tenir compte.
Avez-vous accueilli la libération de détenus comme un geste de conciliation ?
L’Eglise a participé activement comme médiatrice entre le gouvernement et les familles des détenus du groupe des 75, parmi lesquels 53 étaient encore en prison. Accueillant notre médiation en faveur de ces détenus, le gouvernement a décidé de les remettre en liberté. Mais il a aussi libéré 130 autres détenus soi-disant politiques. De nombreux noms de ces détenus étaient dans les listes des opposants, d’autres ont été désignés par le gouvernement cubain, de façon à ce qu’il ne reste pas de détenus de cette nature dans les prisons cubaines. Dans ce cas également, il y a eu une sorte de médiation de l’Eglise. Par ailleurs, à l’approche de Noël, en vue de la visite de Benoît XVI à Cuba, de l’année jubilaire pour les 400 ans de la découverte de l’image de la Vierge de la Charité, patronne de Cuba, et par désir exprès de l’Eglise catholique et d’autres confessions chrétiennes, le président Raúl Castro a remis la peine de 3.000 détenus de droit commun, pour bonne conduite et pour raisons de santé.
Quelles sont aujourd’hui les relations avec les autorités du pays?
Le rapport est plus direct et fluide. La participation au processus de libération des détenus m’a permis, ainsi qu’au président de la Conférence épiscopale, de rencontrer en diverses occasions le président Raúl Castro, avec lequel nous avons pu aborder des thèmes d’intérêt national ou relatifs à l’Eglise à Cuba. La préparation de la visite du pape s’est passée dans un climat positif, avec toutes les facilités nécessaires pour son organisation.
Quelles sont les attentes suscitées par la visite de Benoît XVI?
Le peuple cubain sait déjà ce que signifie la visite d’un pape, mais beaucoup de ceux qui étaient enfants lorsque Jean-Paul II est venu, sont aujourd’hui des jeunes. Aujourd’hui le peuple exprime davantage sa foi qu’il y a 14 ans. L’Eglise est devenue plus présente et le thème religieux n’est plus un tabou. Le pèlerinage national de la Vierge de la Charité a été une authentique démonstration de foi populaire et les sentiments religieux qui semblaient cachés ou éteints se sont manifestés de façon très évidente. C’est le climat spirituel que le pape trouvera. Sur le passage de la Vierge pèlerine, le peuple nous demandait la bénédiction que nous, prêtres et diacres, avons dû donner personnellement jusqu’à l’épuisement. Lorsque, dans les grandes célébrations publiques, je dis que le peuple cubain aspire aux bénédictions de Dieu et que le pape vient nous visiter pour nous apporter la bénédiction du ciel, tous applaudissent. Les attentes du peuple sont bien sûr des attentes de foi, mais elles incluent aussi le bien du pays, le bien-être des familles, la réconciliation entre les Cubains, l’espérance d’un avenir meilleur. Nous qui avons été durant tant d’années les pasteurs de ces personnes, nous savons combien il est important pour le peuple cubain que le pape vienne bénir Cuba.
© L’Osservatore Romano – 2012
Traduction de Zenit, par Anne Kurian