ROME, lundi 19 mars 2012 (ZENIT.org) – Il y a un an, la Cour européenne des droits de l’homme rendait son arrêt définitif dans la fameuse affaire des crucifix italien (affaire Lautsi). Retour sur une affaire qui a profondément marqué la Cour européenne et sa conception des droits de l’homme à l’occasion de la publication d’une étude de synthèse par l’un des acteurs de cette affaire, Grégor Puppinck.
(liens vers l’étude en italien http://riviste.unimi.it/index.php/statoechiese/article/view/2028
En anglais http://eclj.org/pdf/ARTICLE-LAUTSI-PUPPINCK-English-BYU-Law-Review.pdf )
Cette étude vise à proposer une synthèse des principaux enseignements de l’affaire Lautsi des points de vues institutionnel, juridique, philosophique, politique et religieux. Dès la publication du premier arrêt de la Cour européenne, le 3 novembre 2009, l’affaire Lautsi est devenue un sujet de débats et un enjeu de société à travers l’Europe. Par cet arrêt, la Cour condamnait l’Italie pour violation de la liberté négative de religion du fait de la présence de crucifix dans la salle de classes des écoles publiques. Au-delà de la lettre et de l’esprit original de la Convention, la Cour a alors énoncé comme norme l’association du sécularisme et de la démocratie. Largement choquée par cet arrêt, la société européenne s’est interrogée sur le rôle de la Cour, la relation entre les droits de l’homme et la culture, la signification de la liberté négative, de la neutralité et de la laïcité, et sur la place du christianisme dans l’identité européenne. Cette réflexion se poursuit.
Politiquement, l’arrêt de 2009 faisait basculer la Cour dans une époque nouvelle, détachant la Cour de la culture de la modernité démocrate-chrétienne qui avait inspiré sa création. De fait, cet arrêt a été souvent perçu comme un abus de la Cour, et comme marquant le triomphe de l’athéisme individuel sur la religiosité sociale. En d’autres termes, cet arrêt a été jugé comme marquant un double excès de pouvoir : celui d’une Cour internationale sur la société politique nationale, et celui de l’individu sur la culture nationale. Finalement, la société dans sa dimension politique et culturelle se trouvait délégitimée, comme prise en tenaille entre le niveau individuel et le niveau international qui s’affirment comme les seules et ultimes sources de la légitimité politique.
L’arrêt définitif finalement rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne, le 18 mars 2011, corrige l’arrêt de 2009 et apporte des réponses aux interrogations qu’il avait causées. Alors que l’arrêt de 2009 laissait un vide entre l’autorité supranationale des droits de l’homme et l’individu, l’arrêt de 2011 restitue à la culture et à la société nationale leur qualité et légitimité de biens communs intermédiaires.
L’affaire Lautsi est intervenue alors que les idéologies modernes sont dans une impasse ; l’Europe s’interroge de plus en plus ouvertement sur son projet de civilisation. La question posée par l’affaire Lautsi était de savoir si le christianisme a encore une place dans ce nouveau processus de civilisation, ou s’il doit être effacé de l’identité occidentale à venir. La Cour a finalement réaffirmé la légitimité sociale du christianisme, elle a considéré comme justifié le fait que « la réglementation donne à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l’environnement scolaire (…) vu la place qu’occupe le christianisme dans l’histoire et la tradition de l’Etat ». Cette affirmation prend toute sa portée lorsque l’on note que la Cour a simultanément relativisé le laïcisme en lui déniant toute neutralité ; il n’est pas le modèle obligatoire de la future Europe.
Les conséquences perceptibles de cette affaire sont très nombreuses : religieuses, géopolitiques, juridiques, institutionnelles. Cette affaire a très fortement contribué au processus actuel de réforme de la Cour européenne. L’intervention d’une vingtaine de pays contre l’arrêt de 2009 a permis à la Cour d’apprendre à douter d’elle-même, ce qui est bon et nécessaire quand on a tant de pouvoir !
Depuis, la Cour a commencé à prendre ses distances avec l’idéologie libérale postmoderne. Cela est visible dans une série d’affaires relatives à l’avortement, la bioéthique, ou l’homosexualité. Cette idéologie déraisonnable, culturellement ultra minoritaire en Europe, est encore intellectuellement dominante dans les milieux internationaux proches de la Cour. C’est ce décalage qui, je l’espère pour la Cour, est en train de se résorber : c’est un retour à plus de raison et de réalisme, ce qui est bon et nécessaire pour toute juridiction.