Le carême du Père Marie-Eugène : « Regarder Jésus »

Par le P. Louis Menvielle

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ROME, dimanche 4 mars 2012 (ZENIT.org) – Que dirait le P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus pour le carême ? Tout d’abord, « regarder Jésus », répond le P. Louis Menvielle, official de la Congrégation pour le Clergé, et vice-postulateur de la cause de béatification du Carme français, fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie. Voici le premier de trois volets de cet entretien pour approfondir ce que signifie le carême à l’école du P. Marie-Eugène.

Zenit – Père Louis Menvielle, vous êtes vice-postulateur de la cause de béatification du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Carme et Fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie. Avant de l’écouter parler du carême, dites-nous où en est sa cause …

P. Louis Menvielle – Zenit l’a annoncé en son temps, le Pape Benoît XVI a déclaré le Père Marie-Eugène « Vénérable » le 19 décembre dernier. Cela signifie que l’Eglise reconnaît la haute valeur évangélique de sa vie, ce qu’on appelle les « vertus héroïques ». Actuellement, la Congrégation pour les causes des Saints étudie une guérison qui lui est attribuée, pour voir si elle peut être retenue comme un miracle, ce qui permettrait sa béatification. Le Père Marie-Eugène (1894-1967) a été ordonné prêtre le 4 février 1922 et les témoins de sa cause ont rapporté combien ils avaient été impressionnés par sa grâce sacerdotale. Pour ses plus proches, il était avant tout prêtre, c’est-à-dire un homme saisi par le Christ Prêtre, un homme pour ainsi dire identifié au Christ bon Pasteur, un homme dont la vie, les actions, les attitudes, les paroles vous renvoyaient à Jésus qui, avec bonté et miséricorde, donne la vie et conduit son troupeau. Ils ajoutent que la vocation du Père Marie-Eugène au Carmel lui a donné le moyen de vivre en plénitude cette dimension sacerdotale : l’oraison l’a enraciné dans le Christ, la spiritualité du Carmel lui a donné les mots pour conduire les autres au Christ. Dans le Christ on trouve tout le mystère, la Plénitude, comme dit saint Paul et, à sa suite, saint Jean de la Croix. Cette cause nous présente un disciple de l’Evangile qui est à la fois un Père qui se penche avec amour sur tous nos besoins et un Maître qui nous montre le chemin de l’union à Dieu.

C’est le temps du carême. Qu’est-ce que le Père Marie-Eugène peut dire aux chrétiens pour vivre ce temps fort de l’année liturgique ?


En fils de sainte Thérèse d’Avila, il nous dit en premier lieu : regardez Jésus. Le carême est ce temps de 40 jours qui nous prépare à Pâques. C’est une montée vers Jérusalem avec Jésus. La première grande résolution que nous devons prendre, c’est de rester en compagnie de Jésus pendant ce temps de grâce qui nous est offert. Comment cela va-t-il se concrétiser ? Chaque jour, je vais prendre un temps de prière un peu prolongée pour retrouver le Christ, me plonger dans son mystère, le regarder, m’unir à lui, le laisser m’aimer et me transformer jour après jour. Les Evangélistes Marc et Luc insistent tout particulièrement sur la prière de Jésus qui n’hésite pas à tout lâcher pour se retirer dans la solitude et retrouver son Père. Il nous invite à faire pareil : « …Entre dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret, et ton Père te le rendra » (Mt 6, 6). Entrer dans sa chambre et fermer la porte, c’est une image qui nous appelle au recueillement en quittant nos activités habituelles : éteindre la télévision, lâcher l’ordinateur, couper le téléphone, fermer nos agendas, pour être tout au Christ. Si je peux, je profite d’une église voisine de ma maison ou de mon travail. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique a toute une partie sur la prière et le moyen de la vivre (n. 2558 et suivants). Il suggère de créer un « coin prière » à la maison (2691).

La prière, quand on essaie quelque temps, on découvre vite que ce n’est pas facile. On est distrait…

Je vais vous étonner, mais le Père Marie-Eugène explique que la distraction et la sécheresse sont bien souvent le climat habituel de la prière. Dans son maître ouvrage Je veux voir Dieu, il y a tout un chapitre sur cette question : « distractions et sécheresses ». Bien sûr, si ma vie est dissipée, si je vis dans la tiédeur, je ne dois pas m’étonner d’être distrait et sec quand je prie. Il faut alors une conversion. Mais si je cherche à vivre avec Jésus dans la foi et l’amour, il est normal qu’en entrant dans la prière, je me plonge dans une certaine obscurité. La lumière de Dieu est tellement forte qu’elle m’éblouit. Si vous regardez le soleil en face, vous ne voyez plus rien parce que vos yeux ne sont pas faits pour fixer une lumière si intense. Vous avez l’impression de voir tout noir. De même Moïse, quand il montait sur la montagne ou s’approchait de la tente de la Rencontre, entrait dans la nuée. Même chose pour les trois apôtres qui étaient avec Jésus sur la montagne de la transfiguration : dès que le Père se manifeste, ils sont pris dans la nuée. Comment se concrétise pour nous cette nuée ? C’est l’obscurité de la prière, le sentiment parfois que Dieu est bien loin, ce sont les distractions et la sécheresse. Comment on reste dans cette nuée ? par la foi. Au milieu de la sècheresse, des distractions, le Père Marie-Eugène invitait à rester là à fixer le mystère dans la foi : je ne vois rien, mais je crois et j’adhère de tout mon être au mystère de Dieu qui veut m’envahir et me transformer. Il avait écrit un jour : « la foi, c’est le face à face dans les ténèbres ». On ne voit pas, on ne sent rien, mais on croit que Dieu est là, on reste en sa présence même si elle est très mystérieuse. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique va exactement dans ce sens lorsqu’il affirme que « La foi est une adhésion filiale à Dieu, au-delà de ce que nous sentons et comprenons » (n. 2609).

Mais Dieu, il faut bien le connaître un peu pour adhérer à lui et à sa présence.

Oui, la foi s’appuie sur l’intelligence. Ce n’est pas pour rien que Jean-Paul II a publié une encyclique sur foi et raison, et que Benoît XVI insiste tant sur cette relation. La lecture spirituelle est essentielle pour avancer dans la prière. Tous ces thèmes sont développés dans Je veux voir Dieu, où il y a un chapitre sur la foi, un autre sur foi et théologie, un autre encore sur les lectures spirituelles. Si nous revenons au carême, voilà un moyen de le vivre en profondeur : prendre un évangile et le lire en entier, petit bout par petit bout chaque jour. Lire aussi de façon attentive un livre sur Jésus pour aider à comprendre un peu qui il est, comment il agit, quelles sont ses réactions. Le Père Marie-Eugène donnait des titres d’ouvrages de son époque. Aujourd’hui, on pourrait conseiller, par exemple, de lire ou de relire les deux ouvrages de Benoît XVI sur Jésus de Nazareth. Les idées qu’on trouve en lisant nourrissent notre intelligence et elles nous aident à la fixer un peu quand nous prions. Mais attention, il ne s’agit pas de réfléchir pendant la prière, ce n’est pas le moment. Sainte Thérèse d’Avila disait : « L’important n’est pas de penser beaucoup, mais d’aimer beaucoup » (IV Demeures, 1,7). Cependant, lorsqu’on aime quelqu’un, on est très aidé en considérant un aspect de sa personnalité, de son mystère. Une intelligence non nourrie et vide, favorise la distraction et la sécheresse, qui ne correspondent plus alors à la nuée de la présence de Dieu. Le Père Marie-Eugène était d’origine campagnarde. Il savait utiliser les images de la nature. Voilà comment il explique l’importance de la lecture spirituelle : la contemplation de ce
lui qui ne nourrit pas son intelligence est « une espèce de regard vague, celui du petit veau qui est en train de paître et qui ne regarde rien » ! La foi n’est pas un regard vague. Dieu est lumière et amour. Nous l’aimons en le connaissant, nous le connaissons en l’aimant, il se donne à nous comme connaissance et amour. C’est l’enseignement de saint Paul aux Ephésiens.

(à suivre, demain, lundi 5 mars et mardi, 6 mars)

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ZENIT Staff

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