ROME, lundi 7 novembre 2011 (ZENIT.org) – Un inconnu a sauvé Zuq lors d’un accident de voiture qui aurait dû lui coûter la vie. Puis un jour, en Pologne, il reconnaît cet inconnu. Il a confié ce récit poignant à l’assemblée du 2e congrès apostolique mondial de la Miséricorde divine de Lagiewniki (1er-5 octobre 2011). Un témoignage recueilli par Natalia Bottineau pour France catholique (n. 3279 du 28 octobre 2011).

Au petit déjeuner, dans leur salle à manger flambant neuve, Christoph et Anna, dont la pension de famille se trouve à quelques pas du sanctuaire de Lagiewniki, nous présentent « Karol », un homme réservé, visiblement éprouvé par la vie, mais affable, au regard droit : un sourire plein de bonté attentive éclaire son visage grave. Nos hôtes sont visiblement impressionnés par Karol. Ils lui témoignent un respect qui n’est pas feint. Il sirote son café en silence, au bar, tandis que les pensionnaires, français, italiens, américains, ou polonais, s’installent à la grande table familiale où nos hôtes déjeunent avec nous en nous proposant et re-proposant ces mets copieux des petits déjeuners polonais.

La soif de justice

Nous ne savons pas que nous allons retrouver Karol dans le sanctuaire de la Miséricorde divine. Karol témoigne de ce qui a bouleversé sa vie. Il s’appelait Zuq, Zuq Spanca, musulman du Kosovo.

« Je m’appelle Zuq Spanca et je suis albanais du Kosovo. J’étudiais le droit à Belgrade, mais j’exigeais trop fortement les mêmes droits pour mes compatriotes que pour les Serbes. Ils obtenaient une bourse d’étude d’un montant de 20.000 dinars et moi de 200 dinars. Lors de ma troisième année d’études, j’ai été viré et je me suis trouvé sur la liste noire. Et en 1974, le futur avocat ou juge que j’espérais être, est devenu... agriculteur ». Le cadre est planté. Un accident de voiture va tout changer : sa Ford Escort va quitter la route en Bulgarie.

L’accident de Bulgarie

« En 1991, poursuit Zuq-Karol, je suis allé avec un ami en voiture chez des proches, vivant en Turquie. C’était le 27 mai. Nous avions déjà traversé la frontière bulgare, près de la ville de Keskendil. Je roulais vite, la route était glissante. J’ai heurté un arbre. La voiture – et moi dedans – a fait une chute de 300 mètres et elle a pris feu. Mon ami, du fait de sa corpulence, n’était pas attaché. Il a été éjecté de la voiture avant la chute. Il pensait que j’étais mort. Il est rentré au Kosovo et mes proches ont commencé à préparer mes funérailles. J’ai cependant survécu miraculeusement. La police m’avait extrait de l’épave. Je suis resté inconscient pendant 48 heures. « C’est probablement un Polonais », disaient des Bulgares à l’hôpital de Sofia : bien qu’inconscient, j’essayais de dire quelque chose en polonais. Je me rappelle que je voyais quelqu’un me tenir et j’essayais de le remercier en polonais. Pourquoi en polonais ? Je ne sais. Je me suis réveillé. J’ai dit que j’étais du Kosovo. J’ai envoyé un télégramme à la maison pour dire que j’avais survécu. Mais j’étais toujours couché à l’hôpital avec une fracture de l’articulation de la hanche et de la tête. En juin, je suis rentré chez moi ».

Tu ne tueras pas

Puis survient la guerre et Zuq ne veut pas tuer : « En 1992, j’ai été appelé à l’armée yougoslave (serbe) et, le 13 septembre, j’aurais dû me présenter pour lutter contre les Bosniaques. Or, comme je ne voulais pas tuer, je pensais que les Serbes me tueraient. J’ai demandé à Dieu qu’il me sauve. La nuit du 12 au 13 septembre, j’ai été réveillé par une voix qui disait : « Lève-toi ! » Puis encore : « Lève-toi ! » Je me suis levé, mais personne n’était là. J’ai demandé à ma sœur : « Tu n’as pas entendu ? C’était pourtant fort ». « Non, probablement cet accident t’a endommagé la tête... ». J’ai pensé que j’étais fou et je me suis recouché. Puis, j’entendis à nouveau : « Lève-toi ! Tu as un long et difficile chemin à parcourir ! ». Je me suis levé et je suis allé, en m’appuyant sur mes béquilles, de Mitrovica à Skopje. Là, l’armée serbe m’a arrêté, mais je me suis échappé et je suis passé en Bulgarie à travers les forêts. Puis un chauffeur de taxi m’a emmené à Sofia. Tout ce vagabondage a duré 33 jours. Je ne sais pas si aujourd’hui j’aurais le courage de marcher avec des béquilles pendant 33 jours. »

L’inconnu de Pologne

Ayant échappé à la guerre, Zuq n’a qu’une idée : la Pologne. Il explique : « J’avais à Skierniewice des amis qui venaient chez nous, en Yougoslavie, pour vendre des marchandises et pour passer les vacances dans ma maison au bord de la mer, au Monténégro ». Il prend l’avion pour la Pologne.

Là, Zuq reconnaît celui qui l’a maintenu en vie lors de son accident de voiture ne Bulgarie. Il raconte : « Je suis arrivé en Pologne un vendredi, et le dimanche suivant, je me suis trouvé dans l’église Saint-Jacob à Skierniewice. Il y avait l’icône de Jésus miséricordieux. C’était lui ! Celui que j’avais vu me tenir après mon accident ! Celui qui m’a sauvé! »

Mais sa santé lui impose de se reposer en sanatorium, il y rencontre sa future femme. « Au sanatorium, raconte-t-il, j’ai rencontré Shkurte – Albanaise musulmane qui était soignée en Pologne, comme moi. Elle avait 22 ans, elle étudiait la pédagogie. Pendant une manifestation, à Klina, sa ville natale, un policier serbe lui avait tiré dans le dos. Après un certain temps, elle s’est miraculeusement remise, et nous nous sommes mariés ».

Un catholique « ardent »

L’éloignement de leur patrie leur coûte, mais ils continuent leur chemin avec le Christ: « La vie en Pologne était dure. Tout était différent : pays, culture, langue. Mais, pendant 3 ans, nous nous sommes préparés aux sacrements et le 16 juin 1996, nous avons été baptisés. Ensuite, nous avons reçu la première communion et nous avons célébré notre mariage religieux. Puis tout a changé en moi. Et ce n’était pas si facile. J’avais été un musulman ardent et je suis maintenant un catholique ardent. Seul Dieu pouvait faire cela. Mon nom de baptême - inscrit sur ma carte d’identité - est Karol. C’est en souvenir de Karol Wojtyla car je suis arrivé en Pologne un 16 octobre : c’était le 14ème anniversaire de l’élection de Jean-Paul II. Ma femme, Shkurta, est devenue Anna. Aujourd’hui, je travaille comme gardien à l’hôpital de Skierniewice. J’habite avec ma femme et mes deux filles. Je vis modestement et je répète : C’était le plan de Dieu. Je lui fais confiance. »

Tel est le cœur du message de sainte Faustine : « Jésus, j’ai confiance en toi! ».

D’après le témoignage transcrit par Gość Niedzielny et Jarosław Dudała