Prix de Lubac : Allocution de l’abbé Christophe Kruijen

Lauréat 2011

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ROME, Lundi 18 avril 2011 (ZENIT.org) – « On ira tous au paradis ? » Rien d’automatique ! répond le lauréat 2011 du Prix Henri de Lubac, l’abbé Christophe Kruijen, prêtre du diocèse de Metz, official de la Congrégation pour la doctrine de la foi, auquel cette récompense prestigieuse a été remise vendredi dernier 15 avril à l’ambassade de France près le Saint-Siège.

Discours à l’occasion de la remise du Prix Henri de Lubac 

Je remercie M. le cardinal Poupard pour ses paroles bienveillantes, ainsi que Son Excellence M. l’ambassadeur de France près le Saint-Siège, qui nous accueille chez lui.

En plus d’une délégation de sénateurs français présents à Rome ces jours-ci, je voudrais aussi saluer la présence de l’ambassadeur du Royaume des Pays-Bas près le Saint-Siège, venu spécialement de Slovénie pour l’occasion.

Ma reconnaissance s’adresse ensuite tout naturellement aux membres du jury qui ont décerné le Prix Henri de Lubac à mon étude. J’y associe le directeur du Centre culturel Saint-Louis de France, M. Bauquet, qui s’est occupé de l’organisation du Prix.

Le R.P. Morerod, recteur de l’université pontificale Saint Thomas d’Aquin mérite bien évidemment une mention particulière ; en tant que directeur de thèse, la distinction attribuée en ce jour lui revient également pour une bonne part. Qu’il soit une fois encore chaleureusement remercié d’avoir accepté mon projet de recherche, pour sa confiance et pour son aide toujours compétente.

Même s’il n’est pas parmi nous ce soir, je n’oublie pas mon évêque, Son Excellence Mgr Raffin, qui m’a permis de poursuivre des études à Rome.

Enfin, je remercie le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Son Excellence Mgr Ladaria, d’avoir accepté l’invitation de ce soir.

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La thèse primée en ce jour a pour objet un thème difficile et austère – la damnation -, dont on mesurera également sans peine toute la charge existentielle. Je note à ce propos que la délibération du jury a eu lieu un mercredi des cendres, comme s’il y avait là aussi un appel à la conversion.

Le travail dont il s’agit a cherché à concilier un double objectif. Le premier consistait à répondre à la question contenue dans le titre principal : « Salut universel ou double issue du jugement : Espérer pour tous ? ». Autrement dit, que faut-il penser de l’opinion proposant de dépasser l’alternative entre l’affirmation que tous seront sauvés, et l’affirmation contraire que tous ne le seront pas, en introduisant une troisième option, qui serait celle non plus d’affirmer, ou de nier, mais d’espérer un salut absolument universel ? La recherche entreprise m’a conduit à conclure qu’au vu de l’Écriture Sainte, de la tradition – patristique en particulier – et du magistère ecclésiastique, l’opinion dite de l’espérance pour tous, ne pouvait être retenue. Ceci implique aussi que la thèse examinée, s’il est vrai qu’elle s’est répandue de plus en plus dans le catholicisme à partir des années 1950, demeure une opinion discutable et ne peut prétendre représenter l’enseignement de l’Église à ce sujet.

La problématique qui vient d’être esquissée ne pouvait cependant rester confinée au traitement académique d’une opinion théologique. Je me devais de tenir compte du contexte dans lequel évolue cette opinion, c’est-à-dire de la dimension pratique et pastorale de la question en jeu. Nous touchons ici au second objectif de la thèse, qui est celui d’un questionnement critique à l’égard de la catéchèse contemporaine en matière de fins dernières. Qu’en est-il de sa rectitude doctrinale ? En ce sens, j’ai voulu attirer l’attention sur un véritable fossé entre la foi de l’Église et ce qui, fréquemment, est effectivement enseigné et prêché, notamment à l’occasion des funérailles.

Certes, la doctrine catholique maintient ouvert le devenir de l’homme après la mort dans une double direction : « derrière les mystérieuses portes de la mort se profile une éternité de joie dans la communion avec Dieu ou de peine dans l’éloignement de Dieu » (Exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentiae, 26). De son côté, le Catéchisme de l’Église catholique met en garde contre le risque d’être damné : « suivant l’exemple du Christ, l’Église avertit les fidèles de la « triste et lamentable réalité de la mort éternelle » appelée aussi « enfer » » (n° 1056 ; on notera au passage qu’il est question dans ce texte de « réalité » et non de « possibilité réelle »). Force est de reconnaître, cependant, que ce devoir d’avertissement est aujourd’hui largement négligé, au profit d’un automatisme du salut qui représente non seulement une dangereuse mutilation de la catéchèse ecclésiastique, mais aussi une véritable falsification de l’Évangile.

D’aucuns seront peut-être déçus par le maintien d’un jugement eschatologique débouchant sur une séparation définitive entre sauvés et réprouvés, en continuité avec l’enseignement révélé. Je répondrais que nos impressions peuvent être trompeuses : « Tel chemin paraît droit à quelqu’un, mais en fin de compte c’est le chemin de la mort » (Pr 14, 12), sans parler du risque de se résigner à un optimisme de commande ou de céder aux voix toujours actuelles qui jadis, déjà, susurraient aux oreilles des prophètes : « dites-nous des choses flatteuses » (Is 30, 10). J’ajouterais qu’on ne mesure peut-être pas toute la portée du fait que ce soit précisément le Sauveur des hommes, plein de grâce et de vérité, qui a révélé la doctrine de la damnation dans toute son ampleur. Si ce fait rend blasphématoire l’idée d’un Dieu qui chercherait à perdre l’homme, il atteste simultanément que nous pouvons adhérer à cette doctrine, sans crainte de contrevenir à la charité ou à la vérité.

Pour exprimer ce souci pastoral des âmes qui a été, conjointement à la recherche de la vérité, le véritable moteur du travail accompli au cours de ces six dernières années, je vous propose de terminer cette allocution par cette belle élégie attribuée à St Bruno le Chartreux, avec laquelle se clôt aussi la thèse :

« Le Seigneur a créé tous les mortels dans la lumière,

offrant à leurs mérites les joies suprêmes du ciel.

Heureux celui qui oriente, sans fléchir, son âme vers ces cimes,

et, vigilant, se garde de tout mal.

Mais heureux encore celui qui se repent après avoir péché,

et qui pleure souvent sa faute.

Hélas ! les hommes vivent comme si la mort ne suivait pas la vie,

comme si l’enfer n’était qu’une fable vaine.

Alors que l’expérience nous montre que toute vie se dissout dans la mort,

et que la divine Écriture atteste les peines de l’Érèbe !

Malheureux, insensé, celui qui vit sans redouter ces peines ;

mort, il en sentira la brûlante étreinte.

Mortels, ayez souci de vivre, tous,

de telle sorte que vous n’ayez pas à craindre le lac d’enfer ».

 

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ZENIT Staff

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