ROME, Dimanche 5 septembre 2010 (ZENIT.org) – Le père Luigi Borriello est un grand expert des mystiques. Il est membre de la famille carmélitaine qui a le privilège d’avoir également compté parmi ses membres : sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein), mais il est aussi professeur de théologie dans de nombreuses universités à Rome, consulteur de plusieurs dicastères du Vatican et, en outre, co-directeur du « Dictionnaire du Mysticisme » de la Libreria Editrice Vaticana.
Pour le père Borriello, la mystique n’est pas simplement un aspect secondaire de la théologie, et il est important, selon lui, de clarifier ce qu’est la « mystique chrétienne », à un moment où le mysticisme connaît un engouement dans toutes les religions.
Dans cet entretien accordé à ZENIT, le père Borriello refuse que l’on fasse passer les mystiques pour des « illuminés » ou des personnes déconnectées de la réalité, car pour lui, la mystique est ce qu’il y a de plus enraciné dans le monde, ce qui existe de plus sublime : l’union avec Dieu.
C’est ce qu’il explique dans « Expérience mystique et théologie mystique » (« Experiencia mística y teología mística« ), de la Libreria Editrice vaticana, ouvrage faisant partie d’une collection qu’il dirige avec la spécialiste Maria Rosaria del Genio, intitulée « Expérience et phénoménologie mystique ». Le livre est préfacé par l’archevêque Luis F. Ladaria, SJ, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Q : Les mystiques sont connus pour être d’un autre monde. Mais vous dites que ce n’est pas le cas…
P. Borriello : Les mystiques sont des femmes et des hommes de ce monde. Aujourd’hui on observe une tendance à banaliser la mystique, comme s’il s’agissait de quelque chose d’un autre monde, qui ne nous concerne pas. Mais ce n’est pas vrai. De plus, l’expérience des mystiques se manifeste dans le cadre de l’Eglise. Elle est liée à la foi. Elle n’est pas en dehors de la foi.
L’expérience mystique est inséparable de la foi ; elle ne peut se vivre que dans la foi. L’expérience mystique requiert une théologie mystique, une réflexion qui repose sur la mystique même.
On observe aujourd’hui une persistance du fait mystique. Il fait partie de la société post-moderne. On retrouve cette richesse mystique universelle dans la religiosité occidentale et orientale. Et le mysticisme oriental a exercé une grande fascination en Occident.
De même, dans le climat actuel de crise, de confusion et de syncrétisme, on est tenté de confondre la nature authentique de la mystique avec les réalités du New Age et du Next Age. Religion et mysticisme sont des réalités différentes, et il faut faire la distinction.
Q : En fait, beaucoup cherchent en Orient ce que la mystique chrétienne contient déjà, non ?
En effet. Il y a là un paradoxe. Beaucoup de chrétiens ne connaissent pas la richesse de leur propre tradition mystique et se tournent vers l’Orient, en quête de ce qui se trouve à l’intérieur de cette tradition.
En outre, il importe de rappeler qu’il y a une mystagogie dans toute expérience mystique : tu peux, toi aussi, vivre l’expérience comme l’autre. Même si le mystique est réservé, ce qu’il dit est pour les autres. En ce sens, nous devons nous dire que nous sommes tous appelés à la sainteté et à la mystique. Et l’expérience mystique est une invitation au témoignage.
La mystique chrétienne, bien que fusion, reconnaît toujours le « Tu » de Dieu…
Oui, elle n’est pas dissolution, elle est rencontre. La mystique chrétienne se caractérise par l’Incarnation, qui est toujours un don, ce n’est pas quelque chose que l’être humain conquiert. En elle, le « Tu », la dualité de Dieu qui se donne et de l’homme qui accueille, même s’il y a fusion, reconnaît toujours l’autre. Nous parlons de dualité dans l’unité, une sorte de mariage spirituel, les deux se reconnaissent toujours, ne se confondent pas, conservent leur identité propre.
Est-il bon de désirer vivre une expérience mystique ?
Il ne s’agit pas de le demander, mais de l’accueillir quand elle vient, si elle vient. L’expérience est une catégorie utilisée dans toutes les disciplines. Je préfère parler d’expérience mystique, quelque chose que Dieu donne à l’homme qui la reçoit passivement, et en réalité fait un effort en l’accueillant. C’est ce que saint Jean de la Croix appelle « la nuit ». Il y a une collaboration dans l’accueil, mais l’initiative est toujours de Dieu, qui se fait connaître. Et la révélation majeure a lieu en Jésus Christ. Par conséquent, l’expérience mystique est toujours christocentrique et trinitaire. Et elle ne se révèle que dans la gratuité, sans mérites de notre part.
Miriam Díez i Bosch