ROME, Jeudi 13 mai 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie prononcée par le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat, au cours de la messe qu’il a présidée sur le parvis du sanctuaire de Fatima, le 12 mai, après la bénédiction des flambeaux et la prière du chapelet.
Vénérés Frères dans l’Épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,
Chers pèlerins de Fátima !
Jésus dit : « Si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux » (Mt 18, 3). Pour entrer dans le Royaume, nous devons devenir humbles, toujours plus humbles et petits, devenir le plus petit possible : c’est là le secret de la vie mystique. La vie spirituelle débute sérieusement quand une personne fait un authentique acte d’humilité, quittant la posture illusoire de qui se considère être toujours le centre de l’univers pour s’abandonner dans les bras du mystère de Dieu, avec une âme d’enfant.
Dans les bras du mystère de Dieu ! En Lui, n’existe pas seulement la puissance, la science et la majesté, mais aussi l’enfance, l’innocence, la tendresse infinie, parce qu’il est Père, infiniment Père. Nous ne le savions pas auparavant, ni ne pouvions le savoir. Il fut nécessaire qu’il nous envoie son Fils pour que nous le découvrions. Celui-ci s’est fait enfant et ainsi, il a pu nous demander de devenir nous-mêmes des enfants pour entrer dans son Royaume. Lui qui est le Dieu d’infinie grandeur, il s’est fait si petit et si humble devant nous que seuls les yeux de la foi et des simples peuvent Le reconnaître (cf. Mt 11, 25). Ainsi a-t-il remis en question l’instinct naturel qui porte au premier rôle qui domine en nous : « Devenir comme Dieu » (cf. Gn 3, 5). Eh oui ! Dieu est venu sur terre comme un enfant. À présent, nous savons qui est Dieu : c’est un enfant. Il fallait voir pour le croire ! Il est venu à la rencontre de notre besoin impérieux d’apparaître, mais il en a inversé la direction en nous proposant de la mettre au service de l’amour. Apparaître, oui, mais comme le plus pacifique, le plus indulgent, le plus généreux et le plus serviable de tous : le serviteur et le dernier de tous.
Frères et sœurs, c’est là « la sagesse qui vient d’en-haut » (cf. Jc 3, 17). À l’inverse, la « sagesse » du monde exalte le succès personnel et le recherche coûte que coûte, éliminant sans scrupules quiconque est considéré comme un obstacle à sa propre suprématie. C’est ce que beaucoup appellent la vie, mais la traînée de mort que celle-ci laisse derrière elle, les contredit aussitôt. « Tout homme qui a de la haine contre son frère – nous l’avons entendu dans la deuxième lecture – est un meurtrier, et vous savez qu’un meurtrier n’a jamais la vie éternelle demeurant en lui. » (1 Jn 3, 15). Seul celui qui aime son frère possède en lui-même la vie éternelle, c’est-à-dire la présence de Dieu, qui, par le moyen de l’Esprit, communique au croyant son amour et le fait participer au mystère de la vie trinitaire. En effet, de même qu’un émigrant dans un pays étranger, même s’il s’adapte à sa nouvelle situation, conserve en lui – au moins dans son cœur – les lois et les habitudes de son peuple, ainsi, Jésus, quand il est venu sur terre a apporté aussi, en tant que pèlerin de la Trinité, la manière de vivre de sa patrie céleste qui « communique à son humanité son propre mode d’exister personnel dans la Trinité » (Catéchisme de l’Église Catholique, n. 470). Au Baptême, chacun de nous a renoncé à la « sagesse » du monde et s’est tourné vers la « sagesse d’en-haut », qui s’est manifestée en Jésus, Maître incomparable dans l’art d’aimer (1 Jn 3, 16). Donner sa vie pour ses frères est le sommet de l’amour a dit Jésus (cf. Jn 15, 13) ; il l’a dit et il l’a fait, en nous commandant d’aimer comme Lui (cf. Jn 15, 12). Passer de la vie comme possession à la vie comme don, est le grand défi, qui révèle – à nous-mêmes et aux autres – qui nous sommes et qui nous voulons être.
L’amour fraternel et gratuit est le commandement et la mission que le divin Maître nous a laissés, capables de convaincre nos frères et sœurs en humanité : « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13, 35). Parfois nous nous plaignons à cause de la marginalisation du christianisme dans la société actuelle, de la difficulté de transmettre la foi aux jeunes, de la diminution des vocations sacerdotales et religieuses…, et nous pourrions énumérer d’autres motifs de préoccupations. Et, de fait, nous nous sentons souvent des perdants face au monde. Mais l’aventure de l’espérance néanmoins nous porte plus loin. Elle nous montre que le monde appartient à celui qui l’aime le plus et le lui démontre le mieux. Dans le cœur de toute personne, il y une soif infinie d’amour, et nous, avec l’amour que Dieu répand dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5), nous pouvons la satisfaire. Naturellement, notre amour doit s’exprimer « non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité », en venant en aide avec joie et avec sollicitude, grâce à nos biens, aux nécessités de ceux qui sont dans le besoin (cf. 1 Jn 3, 16-18).
Chers pèlerins et vous tous qui m’écoutez, « partagez avec joie, comme Jacinthe ! ». Tel est l’appel que ce sanctuaire a voulu mettre en avant à l’occasion du centenaire de la naissance de la voyante privilégiée de Fatima. Il y a dix ans, en ce même lieu, le Vénéré Serviteur de Dieu Jean-Paul II l’a élevée à la gloire des autels ainsi que son frère François. Ils ont parcouru, en peu de temps, la longue marche vers la sainteté, guidés et soutenus par les mains de la Vierge Marie. Ils sont deux fruits mûrs de l’arbre de la Croix du Sauveur. En nous tournant vers eux, nous comprenons que cette saison est celle des fruits…, des fruits de sainteté. Vieux tronc portugais de sève chrétienne, dont les branchages s’étendent jusqu’à d’autres mondes et sont enterrés là-bas comme le germe de nouveaux peuples chrétiens, sur toi la Reine du ciel, a posé son pied – pied victorieux qui écrase la tête du serpent trompeur (cf. Gn 3, 15) – à la recherche des petits du Royaume des cieux. Fortifié par la prière de cette nuit de veille et les yeux fixés sur la gloire des bienheureux François et Jacinthe, accueille le défi de Jésus : « Si vous ne changez pas pour devenir come les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux » (Mt 18, 3). Pour des personnes comme nous, minées par l’orgueil, il n’est pas facile de devenir comme les enfants. C’est pourquoi Jésus nous avertit aussi durement : « Vous n’entrerez point … » ! Il ne nous laisse pas d’alternative. Cher Portugal, ne te résigne pas à des formes de pensée et de vie qui n’ont pas d’avenir, parce qu’elles ne s’appuient pas sur la certitude ferme de la Parole de Dieu, de l’Évangile. « Ne crains pas ! L’Évangile n’est pas contre toi, il est en ta faveur. […] Dans l’Évangile, qui est Jésus, tu trouveras l’espérance forte et durable à laquelle tu aspires. C’est une espérance fondée sur la victoire du Christ sur le péché et sur la mort. Cette victoire, il a voulu qu’elle soit tienne, pour ton salut et pour ta joie » (Exhort. Ap. Ecclesia in Europa, 121).
La première lecture nous montre que Samuel a trouvé un guide en la personne du Prêtre Eli. Il fait preuve à l’égard du jeune homme de toute la prudence que requiert la tâche du véritable éducateur, qui est en mesure de percevoir la nature de l’expérience profonde que Samuel est en train de faire. Personne, en effet, ne peut décider quant à la vocation d’un autre. C’est pourquoi, Eli oriente Samuel à l’écoute docile d
e la parole de Dieu : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 S 3, 10). En un certain sens, nous pouvons lire sous ce même éclairage cette Visite du Saint-Père, qui a pour thème : « Pape Benoît XVI, nous marchons avec toi dans l’Espérance : ». Ce sont des paroles qui ont la saveur aussi bien d’une confession de foi collective et d’une adhésion à l’Église et à son fondement visible en Pierre, que d’un apprentissage dans la confiance et la loyauté à l’égard de la conduite paternelle et sage de celui que le ciel a choisi pour indiquer à l’humanité de notre temps le chemin sûr qui y conduit.
Saint-Père, « avec toi nous marchons dans l’Espérance » ! Avec toi, nous apprenons à distinguer la grande Espérance des petites espérances toujours limitées comme nous ! Quand, au milieu de la défection générale pour retourner aux petites espérances, retentira le défi de Jésus, la grande Espérance : « Voulez-vous partir vous aussi ? », réveille-nous, Pierre, avec ta réponse définitive : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu. » (Jn 6, 68). Vraiment – nous rappelle celui qui est Pierre aujourd’hui, le Pape Benoît XVI -, « celui qui ne connaît pas Dieu, tout en pouvant avoir de multiples espérances, est dans le fond sans espérance, sans la grande espérance qui soutient toute l’existence (cf. Ep 2, 12). La vraie, la grande espérance de l’homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce peut être seulement Dieu – le Dieu qui nous a aimés et qui nous aime toujours « jusqu’au bout », « jusqu’à ce que tout soit accompli » (cf. Jn 13, 1 et 19, 30) » (Enc. Spe salvi, n.27).
Chers pèlerins de Fatima, faites en sorte que le Ciel soit toujours l’horizon de votre vie ! On vous a dit que le Ciel peut attendre, mais on vous a trompés… La voix qui vient du Ciel n’est pas comme les voix comparables à celle de la légendaire sirène trompeuse, qui endormait ses victimes avant de les précipiter dans le gouffre. Depuis deux mille ans, résonne de la Galilée jusqu’aux confins de la terre la voix insurpassable du Fils de Dieu disant : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1, 15). Fatima nous rappelle que le Ciel ne peut attendre ! Demandons donc avec une confiance filiale à la Vierge de nous enseigner à donner le Ciel à la terre : Ô Vierge Marie, apprends-nous à croire, à adorer, à espérer et à aimer en même temps que toi ! Indique-nous le chemin vers le Royaume de Jésus, le chemin de l’enfance spirituelle. Toi, l’Étoile de l’Espérance, qui nous attend, impatiente, dans la Lumière sans déclin de la Patrie céleste, brille sur nous et guide-nous dans les vicissitudes quotidiennes, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen
Traduction française distribuée par la salle de presse du Saint-Siège