ROME, Vendredi 14 septembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 16 septembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 15, 1-32
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Si l’un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.
Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’
De même, je vous le dis : Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part d’héritage qui me revient.’ Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette région, et il commença à se trouver dans la misère. Il alla s’embaucher chez un homme du pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il réfléchit : ‘Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes ouvriers.’
Il partit donc pour aller chez son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de pitié ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils…’ Mais le père dit à ses domestiques : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent la fête.
Le fils aîné était aux champs. A son retour, quand il fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des domestiques, il demanda ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘C’est ton frère qui est de retour. Et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a vu revenir son fils en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père, qui était sorti, le suppliait. Mais il répliqua : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait bien festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Le père courut à sa rencontre
La liturgie de ce dimanche prévoit la lecture de tout le chapitre quinze de l’Evangile de Luc, qui contient les trois paraboles dites « de la miséricorde » : la brebis perdue, la pièce d’argent perdue et le fils prodigue. « Un père avait deux fils… ». Ces trois ou quatre mots suffisent pour que celui qui a un minimum de familiarité avec l’Evangile s’exclame spontanément : parabole du fils prodigue ! J’ai déjà à d’autres occasions souligné la signification spirituelle de cette parabole ; je voudrais cette fois souligner un aspect peu développé mais extrêmement actuel et proche de la vie de cette parabole. Au fond, elle n’est que l’histoire d’une réconciliation entre père et fils et nous savons tous qu’une telle réconciliation est vitale, aussi bien pour le bonheur des parents que celui des enfants.
On pourrait se demander pourquoi la littérature, l’art, le monde du spectacle, la publicité, n’exploitent qu’un seul aspect des relations humaines : la relation sur fond érotique entre l’homme et la femme, entre mari et femme. Il semblerait qu’il n’existe pas autre chose dans la vie. La publicité et le monde du spectacle ne font que cuisiner le même plat avec mille sauces différentes. Nous omettons en revanche d’explorer un autre aspect des relations humaines, tout aussi universel et vital, une autre des grandes sources de joie de la vie : la relation père – fils, la joie de la paternité. En littérature, la seule œuvre qui traite vraiment de ce thème est la « Lettre au père », de F. Kafka (le célèbre roman « Pères et fils » de Tourguéniev ne traite pas en réalité de la relation entre pères et fils naturels mais entre générations différentes).
Si, en revanche, on creuse avec sérénité et objectivité dans le cœur de l’homme, on découvre que dans la majorité des cas, une relation réussie, intense et sereine avec ses enfants n’est pas, pour un homme adulte et mûr, moins important et moins épanouissant que la relation homme – femme. Et nous savons combien cette relation est également importante pour un fils ou une fille et le vide que laisse une rupture.
De même que le cancer attaque généralement les organes les plus sensibles chez l’homme et la femme, la puissance destructrice du péché et du mal attaque les centres les plus vitaux de l’existence humaine. Rien n’est plus soumis aux abus, à l’exploitation et à la violence que la relation homme – femme et rien n’est plus exposé à la déformation que la relation père – fils : autoritarisme, paternalisme, rébellion, refus, incommunicabilité.
Il ne faut pas généraliser. Il existe des cas de relations très belles entre père et fils et j’en ai moi-même connu plusieurs. Nous savons toutefois qu’il existe également, et ils sont plus nombreux, des cas négatifs de relations difficiles entre parents et enfants. Dans le livre d’Isaïe on lit cette exclamation de Dieu : « J’ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi » (Is 1, 2). Je crois qu’aujourd’hui, de nombreux parents savent, par expérience, ce que signifient ces paroles.
La souffrance est réciproque ; ce n’est pas comme dans la parabole, où la culpabilité est entièrement et uniquement celle du fils… Il existe des pères dont la souffrance la plus profonde dans la vie est celle d’être rejetés voire même méprisés par leurs enfants. Et il existe des enfants dont la souffrance la plus profonde et inavouée est celle de se sentir incompris, non estimés, voire même refusés par leur père.
J’ai insisté sur le côté humain et existentiel de la parabole de
l’enfant prodigue. Mais il ne s’agit pas seulement de cela, c’est-à-dire d’améliorer la qualité de la vie en ce monde. Cela entre dans l’effort pour une nouvelle évangélisation, l’initiative d’une grande réconciliation entre pères et fils et le besoin d’une guérison profonde de leur relation. On sait combien la relation avec le père terrestre peut influencer, de manière positive ou négative, la relation avec le Père des Cieux et donc la vie chrétienne elle-même. Lorsque naquit le précurseur Jean-Baptiste, l’ange déclara que l’une de ses tâches aurait été de ramener le cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des fils vers leurs pères (cf. Lc 1, 17). Une tâche plus actuelle que jamais.