ROME, Mardi 11 septembre 2007 (ZENIT.org) –Nous publions ci-dessous le texte de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de la messe qu’il a présidée dans la cathédrale Saint-Etienne, à Vienne, dimanche matin, 9 septembre, dans le cadre de son voyage de trois jours en Autriche pour le 850e anniversaire de la fondation du sanctuaire de Mariazell.
Chers frères et sœurs !
Sine dominico non possumus ! Sans le don du Seigneur, sans le Jour du Seigneur, nous ne pouvons pas vivre : c’est ainsi que répondirent, en l’an 304, plusieurs chrétiens d’Abitène, dans l’actuelle Tunisie, lorsque, surpris au cours de la célébration eucharistique dominicale qui était interdite, ils furent conduits devant le juge et on leur demanda pourquoi ils avaient célébré le Dimanche la fonction religieuse chrétienne, alors qu’ils savaient bien que cela était puni par la mort. Sine dominico non possumus. Dans le mot dominicum/dominico sont liées de façon indissoluble deux significations, dont nous devons à nouveau apprendre à percevoir l’unité. Il y a tout d’abord le don du Seigneur – ce don est Lui-même : le Ressuscité, au contact et à la proximité duquel les chrétiens doivent se trouver pour être eux-mêmes. Cela n’est cependant pas seulement un contact spirituel, intérieur, subjectif : la rencontre avec le Seigneur s’inscrit dans le temps à travers un jour précis. Et, de cette façon, elle s’inscrit dans notre existence concrète, corporelle et communautaire, qui est temporalité. Elle donne à notre temps, et donc à notre vie dans son ensemble, un centre, un ordre intérieur. Pour ces chrétiens, la célébration eucharistique dominicale n’était pas un précepte, mais une nécessité intérieure. Sans Celui qui soutient notre vie, la vie elle-même est vide. Abandonner ou trahir ce centre ôterait à la vie elle-même son fondement, sa dignité intérieure et sa beauté.
Cette attitude des chrétiens de l’époque a-t-elle également de l’importance pour nous, chrétiens d’aujourd’hui ? Oui, elle vaut également pour nous, qui avons besoin d’une relation qui nous soutienne et donne une orientation et un contenu à notre vie. Nous aussi avons besoin du contact avec le Ressuscité, qui nous soutient jusqu’au-delà de la mort. Nous avons besoin de cette rencontre qui nous réunit, qui nous donne un espace de liberté, qui nous fait regarder au-delà de l’activisme de la vie quotidienne vers l’amour créateur de Dieu, dont nous provenons et vers lequel nous sommes en marche.
Toutefois, si nous prêtons à présent attention au passage de l’Evangile d’aujourd’hui, au Seigneur qui nous parle dans ce passage, nous prenons peur : « Celui qui ne quitte pas toutes ses possessions et qui n’abandonne pas aussi tous ses liens familiaux, ne peut pas être mon disciple ». Nous voudrions objecter : mais que dis-tu Seigneur ? Le monde n’a-t-il pas besoin précisément de la famille ? N’a-t-il pas besoin de l’amour paternel et maternel, de l’amour entre parents et enfants, entre homme et femme ? N’a-t-on pas besoin de l’amour de la vie, de la joie de vivre ? N’a-t-on pas besoin de personnes qui investissent dans les biens de ce monde et qui édifient la terre qui nous a été donnée, de manière à ce que tous puissent avoir une partie de ces dons ? Ne nous a-t-on pas aussi confié le devoir de nous occuper du développement de la terre et de ses biens ? Si nous écoutons mieux le Seigneur et surtout si nous écoutons l’ensemble de ce qu’Il nous dit, alors nous comprenons que Jésus n’exige pas la même chose de tous. Chacun a sa tâche personnelle et le type de sequela préparé pour lui. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus parle directement de ce qui n’est pas la tâche des nombreuses personnes qui s’étaient associées à lui dans le pèlerinage vers Jérusalem, mais qui est un appel particulier aux Douze. Ceux-ci doivent tout d’abord surmonter le scandale de la Croix et doivent ensuite être prêts à vraiment tout quitter et à accepter la mission apparemment absurde d’aller jusqu’aux extrémités de la terre et, avec leur peu de culture, d’annoncer à un monde plein d’une présumée érudition et d’une formation fausse ou véritable – ainsi que bien sûr d’annoncer en particulier aux pauvres et aux simples – l’Evangile de Jésus Christ. Ils doivent être prêts, sur leur chemin dans le vaste monde, à subir en première personne le martyre, pour témoigner ainsi de l’Evangile du Seigneur crucifié et ressuscité. Si la parole de Jésus au cours de ce pèlerinage vers Jérusalem, où une grande foule l’accompagne, s’adresse tout d’abord aux Douze, son appel atteint naturellement, au-delà du moment historique, tous les siècles. De tous temps, Il appelle des personnes à compter exclusivement sur Lui, à tout quitter et à être totalement à sa disposition, et ainsi à la disposition des autres : à créer des oasis d’amour désintéressé dans un monde dans lequel, si souvent, ne semblent compter que le pouvoir et l’argent. Rendons grâce au Seigneur, car tout au long des siècles, il nous à donné des hommes et des femmes qui par amour pour Lui ont tout quitté, devenant des signes lumineux de son amour ! Il suffit de penser à des personnes comme Benoît et Scholastique, comme François et Claire d’Assise, Elisabeth de Thuringe et Edwige de Silésie, comme Ignace de Loyola, Thérèse d’Avila, jusqu’à Mère Teresa de Calcutta et Padre Pio ! Ces personnes, à travers toute leur vie, sont devenues une interprétation de la parole de Jésus, qui en eux devient proche et compréhensible pour nous. Et nous prions le Seigneur, afin qu’à notre époque également, il donne à de nombreuses personnes le courage de tout quitter, pour être ainsi à la disposition de tous.
Si, toutefois, nous nous consacrons à présent à nouveau à l’Evangile, nous pouvons nous rendre compte que le Seigneur n’y parle pas seulement de quelques-uns et de leur tâche particulière ; le noyau de ce qu’il entend vaut pour tous. Ce dont il s’agit à la fin est exprimé une autre fois ainsi : « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera. Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? » (Lc 9, 24sq). Qui veut posséder seulement sa propre vie, la prendre seulement pour soi-même, la perdra. Seul celui qui se donne reçoit sa vie. En d’autres termes : seul celui qui aime trouve la vie. Et l’amour exige toujours de sortir de soi-même, exige toujours de se quitter soi-même. Celui qui se retourne pour se chercher et veut avoir l’autre uniquement pour soi, se perd ainsi précisément lui-même et perd l’autre. Sans cette perte plus profonde de soi-même il n’y a pas de vie. La soif fébrile de vie qui aujourd’hui ne laisse pas les hommes en paix finit dans le vide de la vie perdue. « Qui perdra sa vie à cause de moi… », dit le Seigneur : une manière de se quitter soi-même de manière plus radicale n’est possible que si à travers cela, en fin de compte, nous ne tombons pas dans le vide, mais dans les mains de l’Amour éternel. Seul l’amour de Dieu, qui s’est perdu lui-même pour nous en se livrant à nous, nous permet à nous aussi de devenir libres, de nous laisser aller et ainsi de trouver véritablement la vie. Ceci est le cœur de ce que le Seigneur veut nous communiquer dans le texte de l’Evangile apparemment si dur de ce Dimanche. Avec sa parole, Il nous donne la certitude que nous pouvons compter sur son amour, sur l’amour du Dieu fait homme. La sagesse dont nous a parlé la première lecture consiste à reconnaître cela. Il est vrai ici aussi que tout le savoir du monde ne nous sert à rien, si nous n’apprenons pas à vivre, si nous n’apprenons pas ce qui compte vraiment dans la vie.
Sine dominico non possumus ! Sans le Seigneur et le jour qui Lui appartient, on ne réussit pas sa vie. Le dimanche, dans nos sociétés occidentales, s’est mué en « week end », en temps libre. Le temps libre, en particulier
dans la frénésie du monde moderne, est une chose belle et nécessaire ; chacun de nous le sait. Mais si le temps libre n’a pas un centre intérieur, d’où provient une orientation pour l’ensemble, il finit par être un temps vide qui ne nous renforce pas et ne nous détend pas. Le temps libre a besoin d’un centre, la rencontre avec Celui qui est notre origine et notre but. Mon grand prédécesseur sur la chaire épiscopale de Munich et Freising, le cardinal Faulhaber, l’a exprimé un jour ainsi : « Donne à l’âme son Dimanche, donne au Dimanche son âme ».
Précisément parce que, le Dimanche, on traite en profondeur de la rencontre, dans la Parole et dans le Sacrement, avec le Christ ressuscité, le rayon de ce jour embrasse la réalité tout entière. Les premiers chrétiens ont célébré le premier jour de la semaine comme Jour du Seigneur, parce que c’était le jour de la résurrection. Mais très vite, l’Eglise a pris conscience également du fait que le premier jour de la semaine est le jour du matin de la création, le jour où Dieu dit : « Que la lumière soit ! » (Gn 1, 3). C’est pourquoi le Dimanche est dans l’Eglise également la fête hebdomadaire de la création, la fête de la gratitude et de la joie pour la création de Dieu. A une époque où, à cause de nos interventions humaines, la création semble exposée à de nombreux dangers, nous devrions accueillir consciemment cette dimension du Dimanche également. Pour l’Eglise primitive, le premier jour a ensuite assimilé progressivement également l’héritage du septième jour, du sabbat. Nous participons au repos de Dieu, un repos qui embrasse tous les hommes. Ainsi, nous percevons ce jour-là quelque chose de la liberté et de l’égalité de toutes les créatures de Dieu.
Dans l’oraison de ce dimanche, nous rappelons tout d’abord que Dieu, à travers son fils, nous a rachetés et adoptés comme des fils bien-aimés. Ensuite, nous le prions de poser un regard bienveillant sur les croyants dans le Christ et de nous donner la vraie liberté et la vie éternelle. Nous prions pour le regard de bonté de Dieu. Nous-mêmes avons besoin de ce regard de bonté, au-delà du Dimanche, jusque dans la vie de chaque jour. En priant, nous savons que ce regard nous a déjà été donné, et nous savons même que Dieu nous a adoptés comme fils, Il nous a accueillis véritablement dans la communion avec Lui-même. Etre fils signifie – l’Eglise primitive le savait très bien – être une personne libre, pas un esclave, mais quelqu’un qui appartient personnellement à la famille. Et cela signifie être un héritier. Si nous appartenons à ce Dieu qui est le pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, alors nous sommes sans peur et libres, et alors nous sommes des héritiers. L’héritage qu’il nous a laissé c’est Lui-même, son Amour. Oui, Seigneur fais que cette conscience pénètre profondément dans notre âme et que nous apprenions ainsi la joie des rachetés. Amen.
© Copyright du texte original : Librairie Editrice Vaticane
Traduction réalisée par Zenit