Michel Aoun : Pour survivre, le Liban a besoin de la participation de tous

Chrétiens, chiites et sunnites

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ROME, Mercredi 13 juin 2007 (ZENIT.org) – « Le Liban ne peut survivre sans gouvernement équilibré avec la participation de tous, chrétiens, chiites et sunnites », a affirmé le général Michel Aoun en visite à Rome et au Vatican pour des entretiens avec Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les Etats, et des responsables du Ministère italien des Affaires étrangères, la semaine dernière.

Successivement commandant de l’armée libanaise, chef de gouvernement intérimaire, le général Aoun, né à Beyrouth le 17 février 1935, est connu pour la lutte qu’il a menée contre la présence syrienne au Liban, son refus des accords de Taëf, son exil en France et son retour en 2005. Il dirige actuellement le Mouvement patriotique libre, parti d’opposition.

Zenit a interrogé le général Aoun sur le sens de sa visite au Vatican, sur sa conception de la chrétienté arabe et de son statut dans l’histoire du Liban, mais aussi sur la réalité des rapports islamo-chrétiens au Liban.

Zenit : Quelle signification revêt votre visite au Vatican?

M. Aoun – Le Vatican est pour moi la référence spirituelle suprême au sein de l’Eglise catholique. Nous pouvons également dire qu’il s’agit d’une autorité morale importante dans l’ensemble du monde chrétien, catholique ou non-catholique. Les positions du Vatican ont une influence sur les plans éthique et moral. Pour notre part, en tant que maronites, nous faisons partie du monde catholique et, cela dit, lorsque le Liban traverse des crises ou des épreuves, nous considérons qu’il est important d’informer les responsables au Vatican de la situation, étant donné que l’image diffusée par les médias reflète davantage les intérêts de ceux qui la produisent que la réalité du vécu des citoyens et du peuple libanais et celle de la réalité sur le terrain. D’où l’importance de venir en personne, de dialoguer et de discuter avec les autorités vaticanes. Certes, nous nous entretenons avec des personnes dotées d’un sens critique et capables, par suite, de discerner le vrai du faux. Ainsi, les prises de position de l’Eglise, qu’elles soient des positions morales, des conseils ou autres, sont plus utiles et plus objectives.

Zenit – Selon votre expérience personnelle de foi, est-il possible de parler de « chrétienté arabe » ?

M. Aoun – La chrétienté arabe est l’une des premières formes de chrétienté à s’être répandue dans la péninsule arabe, en Mésopotamie et jusqu’aux confins de l’Inde. En effet, le Nord de la Syrie renferme une multitude de vestiges chrétiens que vous pouvez toujours voir aujourd’hui et l’histoire arabe écrite montre que les chrétiens étaient largement répandus. Il ne reste qu’une toute petite partie des chrétiens arabes mais, historiquement parlant, ceux-ci étaient présents dans toute la péninsule arabe.

Zenit – Quel est le rôle de ces chrétiens arabes de nos jours ?

M. Aoun – Les chrétiens du Liban sont constitués des maronites, des grecs-orthodoxes, des grecs-catholiques et d’autres confessions. Sans compter qu’il existe cinq patriarches qui portent le titre de «patriarches d’Antioche». Nous savons tous que c’est d’Antioche que sont partis les premiers chrétiens et la Bonne Nouvelle. Dans mon livre, j’ai évoqué la présence chrétienne en Orient, nos racines historiques et le fait que nous ne sommes pas des émigrants mais des habitants autochtones établis en Orient 662 ans avant la naissance de l’islam. Il existe quelque part une confusion chez les occidentaux lorsqu’ils entendent l’arabe. Tout ce qui est arabe n’est pas obligatoirement musulman. L’arabe, en tant que race, englobe toutes les religions. Pour ce qui est de la civilisation arabe, ce sont les chrétiens qui ont le plus œuvré pour la maintenir et qui ont conservé la langue arabe. Ils comptaient parmi les écrivains les plus illustres et même au temps du Califat, les poètes de la cour étaient des chrétiens, comme par exemple le poète Al-Akhtal. Les arabes font donc partie de la région orientale, d’où l’importance de l’Exhortation apostolique post-synodale pour le Liban de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, publiée en mai 1997, qui parle des chrétiens du Liban et de l’Orient. Par ailleurs, les chrétiens du Liban demeurent, à l’heure qu’il est, une référence au Moyen-Orient, et leur modèle de relations avec leur entourage constitue une assurance et une garantie pour la présence des chrétiens dans les autres pays arabes de la région.

Zenit – Comment percevez-vous les rapports entre chrétiens et musulmans au Liban actuellement ?

M. Aoun – Le Liban, de par sa nature, est une terre de tolérance; et la tolérance chez nous n’est pas chose artificielle. La mettre en pratique ne suppose pas de notre part des efforts extraordinaires puisqu’elle fait partie de notre mode de vie: chacun de nous vit donc sa vie sociale en fonction de ses traditions et convictions. Il existe certainement une sorte d’interaction entre certaines traditions et coutumes, mais de ce côté-là, même dans les pires tourmentes qu’a connues le Liban, tout comme au cours de la guerre civile et en dépit de tous les obstacles physiques et psychologiques qui séparaient les gens, le peuple libanais ne s’est pas laissé influencer, aussi bien sur le plan social et en ce qui concerne son mode de vie, que par les conditions difficiles qui prévalaient. La vie sociale a suivi son cours comme à l’ordinaire. Quant à l’autre aspect, et je parle ici de la dimension politique, il n’a eu de cesse et continue d’avoir un impact négatif sur la réalité libanaise.

Zenit – Dans l’islam existe un lien intrinsèque entre la politique et le social. Pensez-vous que le Liban arrivera un jour à établir la distinction entre les domaines politique et religieux ?

M. Aoun – Comme mouvement politique, nous oeuvrons en vue de séparer les pratiques politiques et religieuses. Le Liban a connu des périodes – comme durant le règne ottoman qui était l’un des plus cruels et injustes – pendant lesquelles les gens étaient contraints de s’«affilier» à une religion donnée, du fait de la politique de marginalisation et de persécution mise en œuvre dans la société. Par la suite, la situation s’est améliorée jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et la mise sous mandat et protection de la France, et ce, jusqu’à l’indépendance en vertu du pacte national. A ce stade, l’influence chrétienne dans la vie sociale était remarquable et les chrétiens étaient des éléments actifs dans la vie politique jusqu’aux débuts des événements des années 70 qui ont consacré tout un processus qui a bouleversé l’équilibre politique, entraînant la marginalisation des chrétiens. Le Liban ne peut survivre sans gouvernement équilibré avec la participation de tous, chrétiens, chiites et sunnites. Michel Chiha – qu’il repose en paix – l’une des figures les plus éminentes qui ont bien compris la réalité libanaise, disait : « Quiconque cherche à annuler la foi au Liban veut en réalité supprimer le Liban ».

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ZENIT Staff

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