Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 9, 11-17
La foule s’en aperçut et le suivit. Il leur fit bon accueil ; il leur parlait du règne de Dieu, et il guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger : ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons… à moins d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde. » Il y avait bien cinq mille hommes.
Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante. » Ils obéirent et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit douze paniers.
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Faites ceci en mémoire de moi (solennité du Corps et du sang du Christ)
Dans la deuxième lecture de cette fête, saint Paul nous présente le plus ancien récit de l’institution de l’Eucharistie, écrit une vingtaine d’années après l’événement. Essayons de découvrir quelque chose de nouveau du mystère eucharistique, à partir du concept de mémorial : « Faites ceci en mémoire de moi ».
La mémoire est l’une des facultés les plus mystérieuses et les plus grandioses de l’esprit humain. Tout ce que nous avons vu, entendu, pensé, fait, depuis la petite enfance, est conservé dans cette mémoire immense, prêt à se réveiller et à jaillir à la lumière, déclenché par un élément extérieur ou notre propre volonté. Sans mémoire, nous cesserions d’être nous-mêmes. Nous perdrions notre identité. Une personne victime d’amnésie totale erre, perdue, à travers les rues, sans savoir ni comment elle s’appelle, ni où elle habite.
Lorsque le souvenir se présente à l’esprit il a le pouvoir de catalyser tout notre monde intérieur et de le conduire vers son objet, spécialement si cet objet n’est pas une chose ou un fait mais une personne vivante. Lorsqu’une mère se souvient de son enfant né il y a quelques jours seulement, et qu’elle a laissé à la maison, tout en elle-même vole vers sa créature, un élan de tendresse monte en elle et voile peut-être son regard de quelques larmes.
Non seulement la personne, mais le groupe humain également – famille, clan, tribu, nation – a sa mémoire. La richesse d’un peuple ne se mesure pas tant à l’or qu’elle conserve dans ses coffres-forts qu’aux souvenirs qu’elle garde dans sa conscience collective. C’est le partage de souvenirs communs qui cimente l’unité du groupe. Pour conserver ces souvenirs vivants, on les associe à un lieu, à une fête. Les Américains ont le « Memorial Day », jour où ils se souviennent de tous ceux qui sont morts à la guerre ; les Indiens ont le « Gandhi memorial », un parc vert à New Delhi qui a pour but de rappeler à la nation ce que Gandhi a été et ce qu’il a fait pour elle. Nous aussi, Italiens, avons nos mémoriaux : les fêtes civiles rappellent les événements les plus importants de notre histoire récente et des rues, places, aéroports, sont dédiés à nos personnages les plus célèbres…
Ce très riche arrière-plan humain concernant la mémoire devrait nous aider à mieux comprendre ce qu’est l’Eucharistie pour le peuple chrétien. Celle-ci est un mémorial car elle rappelle l’événement auquel toute l’humanité doit désormais son existence, comme humanité rachetée : la mort du Seigneur. Mais l’Eucharistie possède quelque chose qui la distingue de tout autre mémorial. Elle est à la fois la mémoire et la présence, et la présence réelle, pas seulement intentionnelle ; elle rend la personne réellement présente, même si elle est cachée sous les signes du pain et du vin. Le « Memorial Day » ne peut pas redonner la vie aux morts, le « Gandhi memorial » ne peut pas faire revivre Gandhi. Mais le mémorial eucharistique, selon la foi chrétienne, le fait en revanche en ce qui concerne le Christ.
Mais en même temps que toutes les belles choses que nous avons mentionnées de la mémoire, nous devons également souligner un danger inhérent à celle-ci. La mémoire peut se transformer facilement en nostalgie stérile et paralysante. Ceci se produit lorsque la personne devient prisonnière de ses propres souvenirs et finit par vivre dans le passé. Le mémorial eucharistique n’appartient absolument pas à ce type de souvenirs. Au contraire, l’Eucharistie nous projette en avant ; après la consécration le peuple acclame : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus. Nous proclamons ta résurrection. Nous attendons ta venue dans la gloire ». Une antienne attribuée à saint Thomas d’Aquin (O sacrum convivium) définit l’Eucharistie comme le banquet sacré au cours duquel « on reçoit le Christ, on célèbre la mémoire de sa passion, l’âme se remplit de grâce et le gage de la gloire future nous est donné ».