A quelques semaines de la publication de la lettre que le pape Benoît XVI a rédigée à l’intention des catholiques de Chine, le P. Jeroom Heyndrickx s’est rendu en Chine populaire où il a, notamment, rencontré Mgr Francis An Shuxin, l’évêque auxiliaire du diocèse de Baoding, dans la province du Hebei, qui a accepté, après onze années de détention, d’exercer son ministère au grand jour (1). Selon le P. Heyndrickx, directeur du Centre Ferdinand Verbiest à l’université de Louvain, en Belgique, et observateur attentif des réalités de l’Eglise de Chine, les catholiques chinois attendent avec impatience de prendre connaissance de la lettre du pape. Cet événement devrait ouvrir une nouvelle page de l’histoire de leur Eglise et seule « une nouvelle Pentecôte » permettra aux « officiels » comme aux « clandestins » de dépasser les blessures nées du passé et de parvenir à l’unité. C’est par une lettre du 22 mars dernier, diffusée en chinois et en anglais, que le P. Heyndrickx a fait connaître son point de vue.
A l’issue de la rencontre à haut niveau qui a eu lieu au Saint-Siège en janvier dernier, le pape a annoncé qu’il rédigeait une lettre à l’adresse de l’Eglise de Chine. Ce texte, qui sera rendu public en chinois, en anglais et en italien, devrait paraître quelque temps après Pâques. Le P. Heyndrickx rappelle l’enjeu de cette lettre. Il n’est pas tant diplomatique qu’ecclésial. L’enjeu diplomatique est connu : l’absence de relations diplomatiques rend problématique la nomination des évêques, à l’heure où près de la moitié des sièges épiscopaux en Chine sont vacants. L’enjeu ecclésial, souligne le P. Heyndrickx, est sans doute aussi, sinon plus important : il consiste à apporter des réponses à des questions que les catholiques chinois se posent et, par les réponses que le pape apportera dans sa lettre pastorale, c’est « une nouvelle phase de l’Eglise de Chine » qui s’ouvrira.
S’il est question d’unité dans l’Eglise de Chine, le P. Heyndrickx met en avant le fait que la question la plus urgente à résoudre est celle de la participation des catholiques « officiels » et des catholiques « clandestins » à la même table eucharistique. Le débat est ancien, rappelle le prêtre belge, et, depuis les années 1980, des avis divergents existent sur le fait de savoir si des catholiques chinois peuvent ou non prendre part à une célébration eucharistique présidée par un membre « officiel » du clergé. Des anathèmes ont été échangés au sein des communautés catholiques de Chine et, aujourd’hui encore, des prêtres « clandestins » interdisent à leurs fidèles de recevoir les sacrements des mains du clergé « officiel ». Ils justifient leur position en citant la « Directive en huit points » publiée en 1988 par le cardinal Josef Tomko, texte où il est écrit que « la communion sacramentelle » (communicatio in sacris) avec les évêques (ou le clergé) membres de l’Association patriotique des catholiques chinois doit être évitée (2). Ce texte n’ayant jamais été contredit par les autorités de l’Eglise, « relativement peu de catholiques clandestins ont répondu positivement aux appels répétés du pape Jean-Paul II à la réconciliation ». Le P. Heyndrickx fait part du désarroi de Mgr Francis An, qui lui a expliqué avoir accepté de « faire surface » par fidélité aux appels à la réconciliation de Jean-Paul II mais qui se trouve aujourd’hui vigoureusement critiqué par une partie de ses prêtres. « Après des décennies de dispute à l’intérieur de l’Eglise de Chine au sujet des célébrations eucharistiques communes, seul le pape a l’autorité nécessaire pour apporter une réponse libératoire » aux questions posées par ces divisions, écrit le P. Heyndrickx.
La lettre du pape portera un appel à l’unité, mais dans quelle mesure l’Eglise de Chine est-elle capable d’entendre cet appel et d’y apporter une réponse positive, s’interroge le P. Heyndrickx. Aujourd’hui, chacun attend du pape une confirmation de l’attitude qu’il a choisie. Les « officiels » pour s’être engagés sur la voie de la collaboration avec les autorités et les « clandestins » pour être demeurés fidèles envers et contre tout. Au sein de chacun de ces groupes, « nombreux sont ceux qui sont prêts pour la réconciliation, mais d’autres ne le sont pas », écrit le P. Heyndrickx.
Au sein de nombreuses familles et communautés, les blessures du passé sont encore à vif. Les souffrances et les humiliations des années de persécution remontent aujourd’hui à la surface et les sites Internet de catholiques de Chine sont pleins de documents et de témoignages à ce sujet. Le P. Heyndrickx cite des « clandestins » qui entendent les appels à la réconciliation, mais qui se sentent proches des ouvriers de la première heure qui ont souffert le feu des persécutions alors que, désormais, l’Eglise préférerait les ouvriers de la onzième heure (Matthieu 20). La réconciliation est l’attitude à laquelle les appelle l’Evangile, mais ils ressentent comme une injustice terrible le fait que leurs souffrances pourraient passer aux « poubelles de l’histoire ».
Dans les communautés « officielles », poursuit le P. Heyndrickx, les catholiques peuvent être enclins à percevoir les appels à la réconciliation comme un appel adressé aux « clandestins » pour les rejoindre « au grand jour ». Ils perçoivent les « clandestins » comme le fils prodigue qui retourne vers la maison du père, sans voir que ces mêmes « clandestins » considèrent que ce sont les « officiels » qui sont comme le fil prodigue qui doit faire le pas de revenir vers le père. Pourtant, estime le P. Heyndrickx, ce n’est pas la parabole du fils prodigue qui est adaptée à la situation présente. L’Eglise de Chine est plutôt comparable à la communauté des apôtres après la Résurrection. « Chaque apôtre a réagi à sa manière lorsque Jésus a été arrêté, condamné, puis crucifié. Certains ont sans doute continué à croire dans le secret de leur cœur. D’autres ont douté et n’étaient pas fiers d’avoir fui. Beaucoup ne disaient rien, réunis au Cénacle, et je suppose que Pierre ne disait rien du tout », écrit le missionnaire belge.
Sachant le Christ ressuscité, les apôtres prient avec Marie au Cénacle, dans l’attente de l’Esprit-Saint, le souffle qui leur permettra d’être unis et de dépasser leurs faiblesses passées. Les communautés chrétiennes en Chine sont aujourd’hui dans le même état d’esprit ; la lettre pastorale que le pape finit de mettre au point leur rappellera la présence du Christ ressuscité dans leur Eglise, conclut le P. Heyndrickx. « Une nouvelle Pentecôte unira ceux qui sont divisés et guérira ceux qui sont blessés. » Quant aux autorités chinoises, leur responsabilité est grande. Elles ont autant sinon plus d’intérêts que les catholiques à voir les divisions perdurer, écrit en substance le P. Heyndrickx, mais il est possible de les prendre au mot, elles qui promeuvent sans cesse « une société harmonieuse ».
Il semble que ces mêmes autorités chinoises attendent avec une certaine nervosité la publication de la lettre du pape. Si Rome insiste sur la dimension pastorale de cette lettre, le gouvernement chinois ne l’envisage pas du même angle. Des informations concordantes indiquent que des ordinations épiscopales qui devaient avoir lieu au début de cette année ont été reportées à une date ultérieure, le gouvernement chinois attendant la publication de cette lettre pour décider de sa réaction.
(1) Voir EDA 447, 453
(2) Voir EDA 56. Le 3 octobre 1988, à l’issue d’un travail de deux années, le cardinal Tomko, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a rédigé un document confidentiel destiné à tous les évêques et supérieurs du monde entier. Comportant huit points, ce texte,
tout en conseillant d’entretenir avec l’Eglise de Chine des relations de charité fraternelle, précisait que le Saint-Siège ne reconnaissait pas l’Association patriotique. Les directives demandaient clarté et charité dans les relations avec l’Eglise de Chine. Clarté : il ne peut y avoir d’Eglise catholique sans le pape, successeur de saint Pierre. Charité : les personnes adoptant des positions erronées sont souvent victimes de pressions insurmontables et demandent à être comprises. Tout en étant fermes doctrinalement, ces directives tenaient compte pour la première fois d’un groupe intermédiaire de chrétiens fidèles qui acceptent une certaine collaboration avec l’Association patriotique. Elles précisaient ainsi qu’il était autorisé d’envoyer des candidats dans les séminaires « officiels » en l’absence d’autre moyen satisfaisant de les préparer au sacerdoce. Les responsables de l’Association patriotique réagirent à ce texte en signifiant à leurs visiteurs que Rome devait l’annuler. Les « clandestins » y trouvèrent un réconfort moral (voir le Dossier publié en avril 1990 en supplément d’EDA 85).