Zenit : Vous êtes revenu d’un voyage en Terre Sainte. Comment est-ce que vous voyez la situation des chrétiens dans cette région ?
Mgr Bürcher : Récemment, ce pèlerinage m’a conduit à Jérusalem, Bethléem et Amman avec des évêques représentant les Conférences épiscopales des Etats-Unis, du Canada et de plusieurs pays d’Europe occidentale. Comme chaque année, nous avons été invités à participer à l’Assemblée des Ordinaires de Terre Sainte pour manifester notre solidarité avec les chrétiens qui vivent actuellement une situation qui s’est dramatiquement détériorée.
La plupart des chrétiens de Terre Sainte sont Palestiniens, et comme tous les Palestiniens, ils se trouvent dans une situation d’occupation. Parmi eux, très nombreux sont ceux qui doivent faire face au chômage, surtout dans le domaine du tourisme et du pèlerinage. Tous, palestiniens et israéliens, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, ressentent l’exigence de la paix et de la justice. De façon urgente, les récentes élections palestiniennes doivent pouvoir y contribuer activement et de manière non violente.
Zenit : Selon vous, quels sont les difficultés et les problèmes les plus urgents ?
Mgr Bürcher : En raison de la situation décrite, la tentation de l’émigration est grande. Le désespoir prend souvent le dessus en raison des attentats et de la menace de bombardements qui doivent disparaître. Il en est de même de l’occupation des territoires palestiniens qui est illégale. Sinon, le cycle de violences ne prendra jamais fin. Bethléem et Gaza sont des régions actuellement très traumatisées. A bien des endroits, le Mur israélien en construction sépare des villages, des familles et leurs propriétés. Et pourtant, il a été déclaré illégal. Et ce Mur ne vient rien résoudre, bien au contraire.
Zenit : Quand on parle d’Israël, on mentionne les israéliens et les palestiniens, mais on oublie les chrétiens. Comment se présente leur futur ? Est-ce qu’ils pourraient vivre avec deux Etats (Israël et Palestine) ?
Mgr Bürcher : Il faut spécifier qu’il y a des israéliens et des palestiniens qui sont chrétiens. Ils sont cependant une minorité. Les chrétiens ont vivement regretté par exemple qu’ils n’aient pas été cités du tout dans la déclaration de Genève.
Les chrétiens peuvent vivre dans les deux Etats. En effet, malgré toutes les difficultés, ils vivent actuellement aussi bien en Israël qu’en Palestine. Cependant, ils doivent pouvoir être respectés comme citoyens à part entière du fait qu’ils habitent la Terre Sainte dès les origines. Ils ont droit à l’exercice concret de leur religion, autant que les juifs et les musulmans. Jérusalem doit demeurer la Cité des trois religions monothéistes.
Le Pape Benoît XVI a déclaré récemment : « L’engagement pour la vérité est l’âme de la justice… Avec une évidence presque exemplaire, ces considérations me semblent applicables en ce point névralgique de la scène mondiale que reste la Terre Sainte. L’État d’Israël doit pouvoir y exister pacifiquement, conformément aux normes du droit international; le Peuple palestinien doit également pouvoir y développer sereinement ses institutions démocratiques pour un avenir libre et prospère ».
Zenit : Personnellement, qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre visite en Terre Sainte?
Mgr Bürcher : C’est notre visite à Bethléem. C’était une journée morne. Mon impression a été encore renforcée quand j’ai vu le Mur dit de sécurité qui encercle la ville. C’est la première fois que j’ai été autant scandalisé en voyant cette construction qui est véritablement un Mur de la honte. Quel contraste avec la Messe que nous avons célébrée à la Basilique de la Nativité ! J’ai été impressionné par l’engagement et le recueillement des fidèles.
Lors d’une rencontre avec des jeunes, ceux-ci nous ont fait part de leurs souffrances. J’ai beaucoup aimé comment ils voyaient en même temps beaucoup de signes d’espérance pour les deux peuples. Un jour ou l’autre, la réconciliation aura lieu. Une ère nouvelle doit advenir.
Zenit : C’est la première fois que les évêques participant à cette réunion rencontrent le roi de Jordanie. Pouvez-vous nous parler un peu de cette rencontre ?
Mgr Bürcher : Cette année, étaient programmées une audience avec le président palestinien Abou Mazen et une autre avec le premier ministre Ariel Sharon, ainsi qu’effectivement pour la première fois avec le Roi de Jordanie. Celui-ci nous a reçus avec un très grand respect. Il nous a notamment parlé de la fameuse déclaration d’Amman préconisant le dialogue interreligieux et qui est encore trop peu connue. L’impact de notre rencontre avec le Roi de Jordanie a été très fort dans la population locale. Les médias ont largement commenté l’événement.
Zenit : Les contacts des évêques avec les représentants politiques israéliens et palestiniens ont-ils conduit à des mesures concrètes ?
Mgr Bürcher : En raison de la situation actuelle, ces rencontres n’ont pas pu avoir lieu notamment en raison de l’hospitalisation de Sharon. Reste cependant que l’impact de notre démarche en Jordanie a été ressenti également en Palestine et en Israël et au-delà.
Zenit : Que faut-il faire selon vous pour aider concrètement les chrétiens de Terre Sainte en ce moment ?
Mgr Bürcher : Concrètement, je vois trois objectifs : premièrement, ne pas ignorer leur situation dramatique, en priant instamment pour la paix et la justice en Terre Sainte. Ensuite, ne pas avoir peur d’organiser des pèlerinages en Terre Sainte. Enfin, leur manifester de manière très diversifiée toute notre solidarité chrétienne. Le moment présent est un défi.
Zenit : Les musulmans doivent faire un pèlerinage. Un chrétien devrait-il faire aussi un voyage pour visiter les lieux où Jésus a vécu ? Est-ce que cela pourrait être une aide pour sa propre foi ?
Mgr Bürcher : De toute évidence, avec conviction je réponds affirmativement à vos deux questions. Les musulmans ont pris eux-mêmes exemple sur les chrétiens qui, dès les premiers siècles, se sont rendus en pèlerinage dans les lieux saints. Leur foi en a été confirmée pour l’édification de tous ceux qui leur ont succédé au long des siècles.
Je tiens à préciser cependant qu’il ne s’agit pas seulement de visiter les lieux saints mais aussi et surtout les pierres vivantes que sont aujourd’hui les communautés chrétiennes présentes en Terre Sainte. Elles attendent notre visite et notre témoignage. Notre foi ne peut qu’en être consolidée. Je connais beaucoup de personnes qui ont été édifiées grâce à un pèlerinage en Terre Sainte. C’est une grâce que je souhaite à chaque baptisé.